Il aura fallu attendre janvier 2025 pour que, soudainement, me vienne la curiosité de chercher une définition classique du terme « rebelle ».
Alors que je me confrontais à la classique angoisse de la feuille blanche, et aux souvenirs qui commençaient à s’effilocher, j’avais eu peur de louper un truc important.
Comme je ne crois toujours pas au fameux bilan de fin d'existence, comme je ne crois pas à l’imbécile religiosité qui te files des boutons en te parlant du bien et du mal, qui te ramènes la vie à un simple chantage évoquant, selon les cas, le paradis ou l’enfer, j’avais simplement, depuis longtemps, laissé les interrogations faire leur propre chemin, remonter du fond d’on ne sait où, pour venir éclater en surface, en éclaboussant parfois et en laissant des « salissures » qui, même à mon âge canonique, étaient encore lourdes à porter.
Il est des choses avec lesquelles tu dois vivre, bonnes ou mauvaises. L’âme, ce n’est pas comme une chaussure en daim, sur le dessus de laquelle tu peux effacer une tâche avec une gomme magique, qui te remet à neuf le matériau.
J’avais finalement souri en découvrant la première définition du terme rebelle, en me disant que celle-ci cela devait recouvrir le trait de caractère qui me caractérisait, aux dires de beaucoup.
REBELLE :
1. Qui ne reconnaît pas l'autorité légitime, se révolte contre elle. Troupes rebelles. Synonymes :
Dissident, insoumis, révolté
2. Rebelle à : réfractaire à (qqch.)….
J'étais les deux, et je m'en réjouissais...
Ecole, autorité, bonne manières, bonne mœurs, vérité vraie, puisqu’il existe aussi des « vérités fausses », suivant ceux qui donnent des leçons, bien faire, bien dire, bien penser, toutes ces notions faisaient pour moi partie d'un monde qui n'était pas le mien, d'un univers qui ne me concernait pas.
Mon brave père était anarchiste, un véritable révolté, élevé dans une famille Juive pratiquante.
Il était capable en quelques mots, en une ou deux formules lapidaires, de te dézinguer la société et ses conventions idiotes, ses interdictions de péter à table, en plein repas de famille, ses stupides obligations, ses circonvolutions verbales imposées, dans le beau monde, pour dire simplement que « untel est un con, une telle une salope, tel autre, encore, un plouc ou bien une véritable ordure.
Quand une situation rencontrée lui était déplaisante, il concentrait toute sa réprobation en quelques mots, alors qu’il n’avait sans doute jamais lu ni Proudhon, ni Bakounine, ou Carlo Pisacane.
Il n’avait probablement même, jamais réfléchi à la manipulation des explosifs ou élaboré de formule chimique permettant de faire, brutalement, table rase d’une société qu’il voyait comme
« bourgeoisement étriquée ».
« il faudrait foutre une bombe » aimait-il à dire.
Cela me faisait rigoler.
Je n’avais pas anticipé que j’avais probablement hérité de lui cette révolte intérieure, comme on peut hériter des yeux bleus d’un grand-père, ou de l’amour de la musique classique, d’une mère musicienne. Tout cela, tu vois, je n’y pensais même pas . Foutre une bombe me paraissait amusant, débarquer en pyjama pour saluer les invités d’un soir qui venaient de finir de dîner à la maison, entre gens « comme-il- faut », comme le faisait régulièrement mon vieux, sous les regards désapprobateurs de ma mère, tout cela était prétexte à sourire.
Mon vieux, c’était un peu mon idole, même si je ne lui avait jamais rien dit. On ne se parlait pas trop, vois-tu, et les épanchements émotionnels n'étaient pas trop le genre de la maison.
Sa logique me faisait de l’œil. Quel mec, ce type, qui s’opposait à tout, souvent pour le principe, mais, et je ne le comprends que maintenant, surtout parce qu’il y était poussé par une force intérieure , venue d’on ne sait où, qui l’animait, lui aussi, depuis sa prime jeunesse.
Alors, les chiens ne faisant pas des chats, j’avais probablement récupéré une partie de cette révolte, qui m’avait porté au-delà des « bons chemins » ..
Un atout ? un handicap ? Je ne savais pas trop . J'avais l'invective facile, l'analyse primaire, le jugement mal ficelé.
Je m’étais parfois risqué à disséquer le pourquoi de cette révolte, de cette rébellion, et avais finalement admis que tout ceci pouvait être la cause de tous mes « malheurs » , de toutes mes "errances"..
A force d’indiscipline calculée, j'avais fermé la porte du barreau de Paris, ou celle menant à une vie de pilote de ligne.
Adieu la robe, au revoir les ailes..
Les accusés l'on probablement échappé belle, les passagers aussi..!
Partant, je pense, du principe que l’école, et les études en général, n’étant pas le plus important, j'avais estimé qu'il était certainement plus enrichissant de découvrir Paris, de devenir roi du flipper à vingt centimes, plutôt que d’engranger des connaissances qui, certainement, ne me mèneraient qu'à une carrière de rond-de-cuir évoluant dans la poussière de l’Histoire, ou à un poste de fonctionnaire sans avenir et sans rêves..
Je ne voulais pas devenir un médecin austère, un banquier méprisant, un fabricant de meubles. Je n'avais aucune ambition.
A la limite, je me voyais peut-être dictateur, machiniste du métro, à l’époque glorieuse où, dans la cabine du conducteur, une chié d’étincelles illuminait le poste de conduite.
Je ne me savais pas aventurier, je redoutais les départs, les séparations, je craignais les examens scolaires, j'avais la hantise de la nuit, percevant des menaces qui n’existaient pas.
L’autorité, je lui chiais dessus.
Le refus des interdits imposés, m’avait permis de découvrir les toits de Paris, les cheminées ocre rouge sur le zinc gris, les horizons fait de clochers , celui de Saint-Pierre-de-Montrouge, celui de l’église des Franciscains. Pendant le sommeil des parents, je grimpais discrètement par l’escalier de service jusqu’au septième étage, celui des chambres dites « de bonne », empruntais une antique échelle en bois, ouvrais la tabatière, et la liberté était là, dans le souffle du vent d’été et la douce exhalaison de chaleur des toits chauffés pendant les longues journées de juin ou de juillet.
L'apprentissage des bonnes manières, était douloureux . Rares étaient mes talents, aussi rares que les bons points de la Communale….
Quelques principes, quelques vagues idées du vivre ensemble, s'étaient finalement imprimées dans mon cerveau à force d’être rabâchées, mais ne m'empêchaient pas de fuir avec passion tout ce qui aurait pu faire de moi un garçon bien éduqué.
Je n'étais rien de plus qu'un chiot à qui on apprend à s'asseoir avant de lui donner une friandise.
Des abus de convenances, une débauche de non-dit, une pléthore d’excuses à la con, avaient marqué mon environnement. Les heures imbéciles et obligatoires de coucher, les levers stupide pour aller à l’école, alors que je me vautrais dans les rêves les plus fous, les interdictions de « Cinq-Colonnes-A-La-Une », le chantage à la bonne conduite, les « si-tu-n ’es-pas-sage »….tout cela avait finalement eu raison du peu de bonne volonté qui m'habitait.
« Ce sont des gens bien » disait souvent ma mère, en parlant d’amis ou de connaissances. Les gens bien qu’elle fréquentait m’emmerdaient de par leur simple existence. Elles, Ils, étaient à mille lieues de mes préoccupations…et pourtant, elles, ils, venaient régulièrement à la maison, avec chapeaux, manteaux de fourrure, infâmes renards à porter en étole, avec des yeux de taxidermie qui te regardaient de la mauvaise façon, pardessus de laine peignée, écharpes en mohair, foulards en soie d’un étrange couturier qui s’appelait Hermès, et qui parait-il, était très à la mode.
Hermès ? Pour moi, c'était une constellation lointaine, une amas d’étoiles, un truc si loin qu’on ne pouvait même pas s’imaginer comment c’était immense…
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Avec les années, le rebelle à tout, était devenu révolté. Le souffle d’une « révolution » qui n’était en fait que le bâillement d’ennui de filles et fils de bourgeois, dont je faisais partie ,était passé sur les foyers les plus solidement conservateurs.
Ma mère trouvait soudainement les Beatles tout à fait à son goût, j’avais eu droit à ma clef de l’appartement, sous-entendant que je pouvais, à ma guise, rentrer et sortir. Mais les heures d’histoire et géo, les heures de science-Nat’, les cours de gym, m’étaient toujours aussi insupportables. Je ressentais la rigidification de la société comme une véritable offense faite à mes idéaux de liberté.
La Liberté....un maître-mot, mais Inutile de me mentir : la fraternité, l’égalité, je n’y croyais pas trop. Ignorant que j'étais, tout simplement.
Ma paresse intellectuelle avait fait barrage à la lecture des grands penseurs et philosophes dont s'enorgueillissait la bibliothèque de la république. Marianne n'était qu'un vague buste dans une salle de mairie, évoquant les discours les politiciens verbeux, les ors des ministères.
La République, je ne connaissais pas, ou alors si peu...
J’étais donc en fait parfaitement inculte, à tel point que j’en étais devenu imperméable à la raison, à la logique, à la remise en cause de ma propre rébellion.
Tempus Fugit...
Des souvenirs remontant à l’Ecole Alsacienne, le premier établissement qui avait bien voulu de moi, sont encore, bien présents, alors que je flirte allègrement avec une proximité du sapin plus certaine, encore au fur et à mesure que les mois passent.
Tu vois, il y a des souvenirs qui ne disparaissent jamais....
Il devait être dix-heures du matin, c’était en juin, j’avais échappé à la surveillance de Mademoiselle Pâquerette, la "maîtresse" de la "Petite Annexe", et à celle du gardien. J’avais passé la grande porte du 128, rue d’Assas, traversé la rue, étais rentré dans la boulangerie juste en face de l’école, pour y acheter, avec de l’argent « emprunté », une dizaine de bonbons
« Malabar » dont l’emballage contenait des décalcomanies.
C’était il y a soixante-sept ans, bordel, mais je perçois encore cette sorte d'éblouissement ressenti en sortant de l’établissement scolaire, autant à cause du soleil d’été qu'en pensant aux perspectives de liberté future que cette escapade interdite, ouvrait devant moi.
Plus tard, une fois déclaré « persona non grata » par les hiérarques de cette école bien-pensante fondée par Charles Friedel et consorts, alors que j’avais rejoint l’école de la République, avec ses escaliers en bois lavés à l’eau de javel, ses odeurs d’épinards de la cantine, ses effluves suspectes en provenance des chiottes à la turque, dans la cour de récré, ,je m’étais senti habité par l' angoisse permanente de l'enfermement, et par une tristesse indicible devant la vision des marronniers qui n'avaient pour horizon que les limites sinistres de ce petit univers scolaire sans âme ni coeur.
L'existence, dans cette école de la République, de deux classes isolées, dites de " perfectionnement", réservées aux cas les plus désespérés, avait achevé de me paniquer...
Chaque pas pour monter l’escalier vers la torture, était une douleur sourde qui me tordait l’âme. Chaque leçon de morale me hérissait le poil. « Celui qui ment , finit toujours seul » « faire le bien c’est se faire du bien », « il faut s’entraider, c’est la loi de la nature ».
Et moi ? On « m’entraidait », moi ?
A midi, j’échappais à la langue de bœuf et aux légumes verts sans goût, punition des demi-pensionnaires. J’habitais à deux-cent mètres de l’école de la rue Prisse d’Avennes. Je rentrais manger à la maison, mais ensuite, il fallait y retourner….quelle torture, quel malheur.
Peut-être est-ce là que tout a commencé, pour se finir, quelques années plus tard, à force de convocations chez les censeurs, les proviseurs, les surgés de l’ancien temps, en exclusions totale du système scolaire.
De rebelle, j’étais devenu réfractaire.
Adieu Louis XIV avec tes pétasses de maîtresses, adieu Napoléon, Sainte-Hélène, c’est bien fait pour ta gueule, Lavoisier, tu n’as rien compris, je sais déjà que je ne me transformerai pas . Il est trop tard, déjà trop tard, pour cela.
J’étais un révolté, j’étais un rebelle, mais je ne pleurais pas sur l’inhumanité de la révolution industrielle, insensible que j'étais aux actualités télévisées qui évoquaient régulièrement, lors d' accidents de mines, les victimes de la course au charbon.
Les Misérables ? Victor Hugo ?
Non, les misérables, c’étaient ceux que l’on voyait parfois, sur l’avenue d’Orléans, étalés par terre, cuvant leur vin. Les misérables, c'étaient ceux qui n'avaient plus de visage, ou de jambes, ou de bras. Ceux qui avaient perdu leur jeunesse et leur raison de vivre au chemin des Dames, où ailleurs, et que l'on croisait parfois sur l'avenue d'Orléans.
Inéduqué parce qu'inéducable..
Seul comptait l’instant, jamais ne compterait le futur. Je m’en foutais. Je voulais vivre, intensément, sans contraintes, sans mal-être, sans peur de l’enfermement.
Mes souvenirs douloureux ne sont pas la mort d’un quelconque proche, mais plutôt le ressenti dans une cour de récréation, ou dans une salle de classe, en sachant que le monde, le vrai monde, continuait à tourner sans moi, au-delà des murs de la sinistre école, de l’austère lycée, de l’hypocrite pension jésuite, fabrique d’une élite à la con, qui ne m’aurait pas vivant, c’est promis..
« Que va-t-on faire de toi ? »
Le questionnement parental me culpabilisait. Leurs interrogations trouvaient sa source dans ma rébellion permanente, et me rendait encore plus rebelle, encore moins discipliné, même si Je disparaissais de honte, même si je voulais devenir invisible à l'énoncé des résultats scolaires toujours inquiétants.
Combien de fois aurais-je voulu être une souris, et m’enfuir par un trou dans une plinthe en bas d’un mur..
J’avais des passions, découvertes avec les années, certaines avouables, d’autres non, le goût de certains fruits, parfois défendus. Un jour, il y eut même la découverte du « et après, que fait-on, que devient-on ? »
Alors, le temps aidant, de mer tumultueuse, j’étais finalement devenu mer d’huile, entre deux marées, celle haute dans laquelle du risque de te noyer, celle basse où, à force de manquer d’eau, la quille de ton bateau se fiche dans le sable, pour ne plus en bouger, pendant quelques heures….ou quelques années, cela dépend de quelle mer il s’agit…
J’étais rebelle, j’étais réfractaire, comme d’autres étaient nés bègues, avec les pieds plats, affligés d’un strabisme ou bien d’hypertrichose. Pas question de se réformer, trop tard pour faire des étincelles, devenir une tête, un physicien renommé, un capitaine d’industrie, un découvreur de population jusque là inconnue.
J’avais compris , un jour, bien plus tard, que tout était à sa juste place, que je n’étais pas du bois dont on fait les grands ténors du barreau, que je me serais probablement fait chier, à treize-mille mètres, dans un cockpit d’avion de transport, à accumuler les heures de vols pour finalement espérer devenir un jour commandant de bord.
Était-ce à San Carlos, en Basse-Californie ?
Ou bien au fond de la pampa Vénézuélienne ?
Etait-ce à Moscou, Calcutta, Londres ou bien Tel-Aviv ?
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Ou bien sur les sur les terres d’une Vendée que je découvrais , que cette révélation s'était imposée avec force ?
Peu importe, et peu m’importe finalement quand et où..
J’avais compris. J’avais tout compris. Alors, du coup, les souvenirs douloureux s’étaient fait moins lancinants, la rébellion avait rendu les armes, et l’odeur de l’eau de javel ,maintenant subtilement parfumée pour n'être plus offensante, ne m’évoquait plus que le linge qui sèche , à la corde, sous le soleil d’été, dans le vent qui emporte avec lui, en passant, tout le mauvais, pour ne laisser que le bon.
MIRAMAS ,
Janvier 2025
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