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LES TROIS AMANTS DE RITA WALTERS

Avec son mètre soixante-huit, Rita Walters paraissait plus grande que sa taille. Elle n’avait gardé de son enfance à Chicago, que de vagues souvenirs. Elle savait que son port de tête donnait l’illusion du mètre-soixante-quinze. Elle avait cultivé son maintien chez les Sœurs de la Charité Chrétienne de Chicago, un lycée pour fille de cent-quatre-vingt élèves, fondé en 1890. Elle y avait étouffé de treize ans jusqu’à vingt. Son père, Mason Walters possédait trois concessions automobiles dont une situé au fin fond de l’état, le long du Mississipi, dans un bled perdu qui se nommait Quincy, et où les plus grosses ventes étaient représentées par des véhicules de ferme. Mason Walters était un sacré type, accro au sexe, qui franchissait régulièrement la ligne de séparation entre les deux états pour aller s’étourdir dans les bordels du Missouri. La maison de Des Moines street, dans le quartier de Chicago appelé Westmont, avait vu défiler de nombreuses femmes depuis que Mason Walters avait perdu la sienne, non pas qu’elle fut décédée, mais elle avait simplement dit non une ultime fois après avoir trouvé son mari en compagnie de trois femmes, au bar du Green Mill, sur Broadway, où elle était entrée pour se rafraîchir en compagnie de…son propre amant. Les choses étaient allées trop loin et le couple s’était disloqué.


A vingt et un ans, Rita avait pris la décision la plus importante de sa vie, celle de quitter Chicago. Elle avait gardé dans sa mémoire les souvenirs troublants de la découverte du plaisir dans les bras d’une lycéenne très en avance qui se nommait Ann Vaughn. D’une façon naturelle, elle s’était ouverte à Ann de son projet de départ vers l’ouest des Etats-Unis. Les deux femmes s’étaient retrouvées dans la maison paternelle et, jeux de mains aidant, avaient réalisé qu’elles étaient encore attachées l’une à l’autre bien plus qu’elles ne l’auraient pensé, et bien plus, surtout que la morale des années soixante ne le tolérait. Rita avait su très tôt qu’elle attirait les regards. Elle n’avait jamais oublié le jour de cette promenade dans Lincoln Park, pas loin du lac Michigan, alors que les jeunes hommes, croisés sur le chemin de ce collège en balade, avaient tous tourné la tête en la regardant dans les yeux. Rita avait alors ressenti une sorte d’envahissement de tout son être, par une sorte de vague intérieure qui l’avait laissée toute essoufflée et les genoux tremblants. Elle avait été submergée par un étrange sentiment de bonheur intense. Interrogée, Ann lui avait expliqué que ce devait être « une autre sorte de plaisir ». Rita et Ann Vaughn…deux jeunes filles qui aspiraient à une vie de succès avec aventures, travail rémunérateur, bonheur, sérénité…rien d’extraordinaire en somme, sauf que….

Partir vers l’ouest. Les deux jeunes femmes s’étaient juré fidélité, un serment comme on en fait au sortir de l’enfance, pour garder au plus près de soi une compagne ou un compagnon, avec lesquels on a envie de faire un bout de chemin. Rita et Ann s’étaient installées à Santa Monica, dans une petite maison sans prétention de Cedar Street, où elles avaient continué leur vie ensemble. Rita avait trouvé du travail chez un agent immobilier spécialisé dans les demeures de luxe, Ann était devenue gérante associée du « Galley », un restaurant ouvert en 1934, fréquenté par une partie du « tout Hollywood ». Les jeux de mains des soirées s’étaient diversifiés, et au fil des découvertes, les « jeux de bouche » avaient pris le dessus.

Un télégramme était arrivé un jeudi matin, alors que Rita s’apprêtait à quitter la maison après s’être rassasiée du corps d’Ann, comme elle le faisait souvent.

VOTRE PERE EST DÉCÉDÉ STOP CONTACTEZ MOI POUR LA SUCCESSION

Le télégramme donnait ensuite un numéro de téléphone, une adresse à Chicago. Il était signé par un certain Luke Taylor, Attorney at law (1)

Rita avait regardé pensivement le télégramme, allumé une Camel filtre, et s’était resservi une tasse de café. Il lui avait semblait que le sol s’était dérobé sous ses pieds pendant un court instant. La conversation avec l’avocat avait duré un peu plus d’un quart d’heure, alors qu’Ann était finalement sortie du lit, encore ensommeillée et nue, intriguée par ce curieux changement de programme. Elle n’avait pas entendu la porte se refermer et le petit carillon tinter au vent du courant d’air. Mason Walters avait laissé à sa fille non seulement les trois concessions automobiles de l’Illinois, mais également un paquet d’actions de sociétés de téléphonie et de nouvelles technologies, qui rapportaient régulièrement plusieurs centaines de milliers de dollars. Elle n’avait aucune idée de la fortune de son père, ne s’en étant jamais soucié. Elle avait même eu un instant d’étonnement en réalisant qu’elle était maintenant héritière de cet homme pour lequel elle n’avait ni affection, ni haine, mais juste de l’indifférence. Sa première décision fut de donner son préavis. Sa deuxième fut de décider de célébrer la bonne nouvelle le soir même dans un restaurant de Pico Boulevard. Après un long baiser ému sur les lèvres d’Ann, Rita expliqua ce qui causait son émotion.



C’est le soir même, alors que les deux femmes choisissaient leurs menus, que Rita senti un picotement dans le cou. Elle avait la sensation que quelqu’un la regardait. Elle oublia quelques instants les pieds d’Ann qui caressaient ses jambes sous la table, et se tourna vers la porte. En un instant, en une seconde, son monde bascula.

Il était là, devant ses yeux. Elle croisa son regard, se demandant s’il l’avait remarqué. Les yeux bruns de Mike Anderson lui renvoyèrent une réponse. Ce n’est que vers la fin de repas que Mike Anderson, le maire de Santa Monica, le célibataire endurci à la cinquantaine jeune, le play-boy surfeur qui s’était forgé une légende de briseur de cœurs, s’approcha de la table de Rita et Ann.

C’est à Ann qu’il s’adressa en premier.

-Bonsoir, est-ce bien vous qui travaillez au « Galley » ? je vous y ai vu plusieurs fois…

-Oui, répondit Ann, intriguée par cette approche inhabituelle

-J’aimerais vous proposer de venir prendre un verre avec votre amie, si vous m’autorisez à vous inviter bien sûr… !

Depuis longtemps déjà, Ann et Rita avaient décidé de ne rien s’interdire. Si effectivement la vie avec Ann, la glorieuse rousse au sourire éclatant et aux mains expertes, était douce comme un été passé aux Antilles, Rita sentait que quelque chose lui manquait. Pourquoi aurait-elle refusé ? Qui était cet homme ? Pourquoi cette rencontre ? Et cet incroyable sentiment de bonheur qu’elle avait ressenti lors de la promenade au parc, à Chicago, il y a bien longtemps…quand donc allait-elle enfin ressentir la même chose ?



Consciente de son état de nouvelle millionnaire, Rita n’avait pas hésité à régler l’addition du dîner. Elle avait décidé de passer pour la première fois, une première soirée avec un homme dans son environnement tout proche. Ils étaient partis tous trois à pied vers le café Big Dean, juste à côté du pacifique, a quelques centaines de mètres à peine du restaurant. C’était la fin de printemps. A plusieurs reprise, la main de Mike avait effleuré la hanche de Rita…a plusieurs reprises, sa jambe gauche avait frotté sur la jambe droite d’Ann, qui ne s’en était pas offusqué. Cette permissivité avait donné un petit sursaut d’assurance au maire de Santa Monica, et quand ils s’étaient assis tous trois à la terrasse du Big Dean Café, il avait appuyé ses mains sur les épaules des deux jeunes femmes, comme pour dire « vous faites déjà un peu partie de ma vie ».

-Je vais aller commander…dit l’homme, avec un sourire radieux. Il rentra dans l’établissement laissant les deux jeunes femmes seules à la terrasse.

Voyant l’état de trouble de son amie, Ann approcha sa bouche de la sienne en murmurant un « je t’aime » qui exprimait à la fois amour et jalousie. Mais le baiser reçu n’eut pas la même vertu que d’habitude. Il lui sembla même que son corps se rebellait. Rita avait une envie « d’autre chose », d’autres sensations qu’elle ne connaissait pas, mais auxquelles elle aspirait de toute son âme de façon presque instinctive. Sans pouvoir l’expliquer, Rita avait l’impression qu’elle arrivait à la fin d’une époque.

Les deux jeunes femmes avaient suivi le maire de Santa Monica jusqu’à sa maison de Pacific Palisades, douze pièces avec piscine sur Corona del Mar, a un jet de pierre de l’autoroute côtier.

Après deux Irish whiskies et trois Jagermeister, sans même mettre un minimum de décence dans ses propos, Mike Anderson avait envoyé balader ses vêtements et s’était retrouvé nu devant les deux jeunes femmes qui n’osaient regarder de trop près cette nudité pourtant quelque part bien attirante. Ann avait dit non, récupéré son sac à main, et quitté la maison. Rita avait voulu tenter l’expérience. Rien n’était interdit, c’était la règle.

- « Déshabille-moi » avait-elle susurré à l’oreille de Mike, les sens déjà en éveil. Le maire de Santa Monica avait essayé d’être un gentleman, ignorant que pour Rita Walters, ce soir là était une grande première. Il l’avait assise sur un fauteuil Chesterfield, s’était mis à genoux devant elle, et lentement, très lentement, avec des gestes calculés, il lui avait retiré son pantalon, puis son chemisier. En petite culotte et soutien-gorge, Rita n’en était que plus attirante.

- « Veux-tu aller plus loin ? » avait alors demandé l’homme, conscient qu’il pouvait être perçu comme une menace par la jeune femme.

- « fais-moi vibrer, comme Ann me fait vibrer…je veux voir ce que c’est »

Alors lentement, en essayant de ne pas se montrer brutal, il avait dégrafé le soutien-gorge, retiré la petite culotte en dentelle mauve, et avait porté Rita jusqu’au lit. Il s’était mis à genou à côté d’elle, et avait commencé par lui lécher les orteils, comme un petit chiot l’aurait fait. Rita avait soupiré. Puis la plante de ses pieds avait fait l’objet d’explorations. « Ne te crispe pas » dit l’homme…. Elle avait essayé de se laisser aller, sentant que pour vraiment profiter de l’instant, il fallait qu’elle accepte l’idée d’abandon. Mike avait des mains à la fois fines et puissantes, comme celles d’un pianiste. Il avait commencé à caresser les chevilles de Rita, était remonté le long de ses mollet, puis de ses cuisses. La promenade de ses mains sur le corps de Rita avait duré un long moment. Sa bouche avait trouvé des réponses dans celle de la jeune femme, le bout de ses doigts était passé sur les seins bien faits, puis il avait lentement mis Rita sur le ventre, pour goûter à la chute de ses hanches, et à la jointure de son haut de cuisse. L’étreinte avait-elle duré longtemps ? Rita ne se souvenait pas…Elle se souvenait par contre avoir lutté contre un sommeil incongru qui l’avait envahi d’un seul coup. L’homme était entré en elle sans tendresse, de façon mécanique, comme un conquérant qui réclamait son dû. Rita avait presque regretté d’avoir cédé à l’invitation de l’homme, tout puissant soit-il. Elle avait eu une pensée pour Ann, seule à la maison…C’est elle qui avait eu raison…Cet homme n’était qu’un…homme. Elle avait attendu le plaisir, mais n’avait subi que celui du mâle. Il ne pouvait rien y avoir entre eux. Son instinct de préservation avait pris le dessus sur son envie d’expérience. Rita avait quitté la maison de Pacific Palisades en taxi, s’était fait déposer sur Pico Boulevard pour y récupérer sa voiture, puis était rentrée chez elle, pour y tomber dans les bras d’Ann. Les hommes ? Ce n’était visiblement pas à l’ordre du jour. Il lui faudrait attendre encore.



Stephen Lee Porter, le député fortuné qui avait hérité des puits de pétrole de sa famille, habitait à l’année dans un palace sur la 3ème rue, un hôtel de luxe ouvert en 1927 et dans lequel il occupait une suite. Il n’avait pas à se soucier du coût de son logement, mais par principe, et parce qu’il souhaitait ne payer que le « juste prix », il avait négocié avec le propriétaire de l’hôtel une sorte d’arrangement par lequel en retour pour un tarif de location raisonnable, il ferait la promotion du lieu dans le monde des affaires. Un bon parti ce député, qui avait épousé treize ans auparavant une certaine Ethel Grunberg dont la famille possédait plusieurs journaux à grand tirage. Rita Walters avait du sans doute le croiser lorsqu’elle se promenait régulièrement avec Ann Vaughn sur la plage de Santa Monica. Les rapports entre Ann et Rita avaient changé depuis la soirée chez Mike Anderson. Ann avait senti que son intimité avec Rita n’était plus aussi précieuse pour elle. Elle avait mis cela sur le compte de « l’expérience » et se savait aussi un peu jalouse. Sans qu’elle s’en aperçoive, ses lunettes de soleil, étaient tombées de son sac de plage, et Stephen, les ayant trouvés, avait alors couru après Rita. Curieuse rencontre. Rita avait eu l’impression que son corps commençait à bouillir. Elle eu soudain très chaud, et devant cet homme en fin de jeunesse sans être encore en début de vieillesse, elle eu envie de se blottir dans ses bras « pour voir ce que cela faisait ». Il l’avait invité à déjeuner. Au dessert, il y eu une conversation suggestive au cours de laquelle Rita détecta les premiers signe d’un piège qui risquait de se refermer sur elle, puis elle abandonna toute résistance. Elle savait qu’Ann ne rentrerait que tard le soir. Il y eut une première fois, puis une seconde, puis une troisième. Stephen gardait la fenêtre ouverte sur l’Océan. Il avait pris l’habitude de préparer un bain pour Rita, et s’asseyait, nu, à côté de la baignoire pour la regarder se dévêtir, et rentrer dans la mousse du bain. Alors, une fois la femme assise, il se glissait à son tour dans l’eau, écartait les jambes de Rita pour les placer autour des siennes, et rapprochait les deux corps avec ses bras puissants de façon à ce que leurs sexes se touchent et provoque l’étincelle qui ferait que…mais l’étincelle avait du mal à venir. Rita s’était demandé pourquoi, elle avait assez vite compris que le député était habité par des tics psychologiques qui gâchaient les quelques talents dont il pouvait faire preuve, et freinaient l’inventivité qui aurait pu permettre à Rita de s’ouvrir complètement au plaisir. Il avait aidé Rita à apprécier sa nudité, et l’avait initié aux toucher de ces zones érogènes sur lesquelles il avait disserté un peu comme un professeur d’anatomie. Il avait caressé le sexe de Rita d’un air absent, avait embrassé ses fesses sans grand entrain. Bizarre, ce Stephen…Les bougies qui entouraient la baignoire devait être placées dans un ordre particulier, les vêtements rangés, les caresses réalisées selon un rituel uniquement connu de lui. Il ne supportait pas que Rita soit en recherche d’un plaisir que visiblement il n’arrivait pas à lui donne et exigeait de Rita des mots qu’elle était de moins en moins prête à prononcer. Dès la quatrième après-midi passée dans l’hôtel du député, Rita réalisa que la magie n’était pas là, et que ce dragueur impénitent, pour tout riche et député qu’il était ne pourrait jamais la séduire tant il manquait de fraîcheur et de spontanéité. La cinquième rencontre n’eut jamais lieu, le plaisir était encore loin.

Pour Paul Bradley, les choses furent différentes. Rita avait pris quelques années et s’était résignée à ignorer ce que pouvait être un orgasme vécu en compagnie d’un homme. Rita avait rencontré Paul d’une soirée au restaurant dont Ann Vaughn était gérante associée, le « Galley ». Paul était un architecte en vogue, un de ces talents que seule la côte ouest des Etats-Unis pouvait produire. C’est Rita qui avait manifesté son intérêt la première. Comme si elle avait fait cela en fait toute sa vie, elle s’était assise en face de Paul, et sous la table avait enlevé ses souliers. Pendant le diner qui célébrait la remise d’un prix d’architecture urbain, alors qu’Ann vaquait à ses occupations, le pied droit de Rita s’était insinué entre les jambes de Paul, jusqu’à sentir du bout des orteils, que ce frottement ne lui était pas indifférent. Rita avait sorti une cigarette, et demandé du feu à Paul. Alors qu’il lui tendait la flemme de son briquet, Rita avait pris sa main, l’avait gardé un peu plus longtemps qu’il n’était normal tout en forçant l’architecte à la regarder dans les yeux. Un petit papier plié en quatre avait fait le reste, Paul y avait inscrit son numéro de téléphone. Dans la partie privative de son agence d’architecte, un vaste hangar aménagé près de carrefour de Lincoln Boulevard et de Montana avenue, Paul avait fait preuve d’imagination. A l’aide de cordages de marine, de filins de chanvre, de manilles, il avait attaché Rita, nue et couchée sur son lit, dans une position qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. Bras et jambes écartés, Rita avait profité de l’expertise de Paul et s’était soumise aux caresses d’une des plumes de paon qu’affectionnait Paul. La plume, décidemment d’une curiosité sans limite, avait brièvement exploré le sexe de Rita qui avait fermé les yeux. Adepte du « new Age », Paul avait également offert à la jeune femme la découverte des pierres chaudes, passées rapidement sur des points clés du corps, de façon à procurer bien-être et excitation. Paul s’était enduit les mains d’huile de massage légèrement tiédie, puis avais exploré la totalité du corps de Rita, comme l’aurait fait un découvreur de territoire. Il n’avait pas laissé un centimètre carré de peau, intouché ou inconquis. Mais au moment ou Paul pensait à une ultime caresse qui aurait pu satisfaire l’envie de savoir de Rita, c’est lui-même qui avait été pris au piège de son plaisir, laissant Rita inassouvie et silencieuse.

« -détache-moi, crétin…décidemment, vous les hommes ne savez pas y faire…Allez, détache-moi, et va jouer au marin avec quelqu’un d’autre. »

Trois ans avaient passé. L’amour d’Ann pour Rita s’était dissout dans la routine, l’affection de Rita pour sa compagne s’était en même temps émoussée. Rita avait investi dans des terrains pas loin de l’océan, un en particulier sur lequel un immeuble d’habitation avait été construit. Rita avait eu affaire à la Mairie, et avait de nouveau croisé le regard de Mike Anderson, le maire play-boy, qui lui semblait avoir pris une douzaine d’année.

« Il fait vieux » pensa-t-elle, « comment ai-je pu passer même une soirée avec ce type ? » « Elle est toujours aussi belle » se dit-il.

C’est le soir suivant la signature du permis de construire sur le terrain de Rita Walters, que Mike Anderson eut l’idée d’un rendez vous dans son bureau à la mairie. Il avait conservé le numéro de téléphone de Rita. Celle-ci accepta, par curiosité, et parce qu’elle avait ressenti le besoin de mettre un peu de piment dans sa vie. Par provocation aussi, bien sûr, car elle venait d’avoir une idée lumineuse. Elle posa par contre deux conditions, celle que deux personnes de sa connaissance soient également invitées de façon officielle sous un prétexte quelconque, et que sa propre participation à ce rendez-vous reste un secret jusqu’à son apparition. La mairie avait alors envoyé un bristol à l’architecte urbaniste et au député fortuné. Naturellement, intrigués par cette invitation, et espérant en retirer un quelconque avantage, les deux avaient accepté le jour et l’heure. Les trois hommes ne se connaissaient pas vraiment, même s’ils gravitaient dans le même cercle des « riches et puissants » de Santa Monica. En se rendant à l’invitation du maire, l’architecte avait pensé à de nouveaux contrats potentiels, et le député avait de son côté imaginé un soutien politique à accorder au maire, avec un possible retour d’ascenseur sous forme sonnante et trébuchante.

Belle mentalité… !


Alors que les trois hommes étaient réunis dans le bureau du Maire au 1685, sur Main Street, et que le café venait d’être servi, Rita Walters venait juste de garer sa Volkswagen Karmann Ghika sur le parking d’Olympic Drive, à un jet de pierre de la mairie, a trois minutes de ses « amants » en comptant la durée qu’il faudrait pour monter au premier étage, là où se trouvait le bureau du Maire. Le rendez-vous précisait 15H00, Rita avait déjà, intentionnellement 7 minutes de retard. Mike Anderson faisait connaissance avec ses deux invités. Stephen Porter s’était étonné :

« Je vois quatre tasses, vous attendez un invité ? »

-oui, c’est une personne que j’aimerais vous présenter

Le maire avait répondu en prenant un air de conspirateur qui allait bien avec sa moustache. Il se réjouissait déjà de revoir Rita et pensait pouvoir aller plus loin dans une relation qui serait, pensait-il, relancée par l’effacement certain d’un malentendu et de son manque de tact.

L’huissier frappa à la porte du bureau du Maire, entra, et annonça simplement :

« Votre dernier invité est arrivé, c’est une dame »

-Faites la entrer » répondit le maire.

Rita pénétra dans le bureau de Mike Anderson. Sur ses talons hauts, elle faisait encore plus grande que lorsqu’elle marchait sur Santa Monica Boulevard, avec son port de tête altier et sa crinière au vent. Son regard croisa immédiatement celui des trois hommes. En cette fin de printemps en Californie du sud, elle portait un chemisier blanc et une jupe claire qui ne recouvrait que le tiers supérieur de ses longues cuisses fuselées. Au sommet de sa tête, elle avait placé un incroyable chapeau.

Elle s’adressa aux trois hommes comme si elle avait entretenu, avec chacun d’eux, et de puis longtemps, une relation suivie. Elle s’était arrêtée devant l’énorme bureau du maire et commença simplement :

« Vous pensez être des hommes ? lui avec son poste de maire, toi avec ton agence d’architecte, et le député véreux, qui espère toujours de avantages et des privilèges ? Vous n’êtes rien, même pas de bons amants. C’est moi qui ai voulu vous réunir dans ce bureau pour vous dire vos quatre vérités. Vous vous prenez pour des foudres de sexe, vous n’êtes que des mous du pénis et des déserts émotionnels. Vous avez été incapables de m’amener au plaisir, et n’avez pensé qu’à vous. Vous êtes décevants de bêtise, et aussi inventifs que des bulots. Je ne suis pas sûr qu’une femme vous ai déjà dit-cela, alors je vous le dis, vous devriez avoir honte… ! je vous le dis d’autant plus que vous ne me reverrez pas, ou peut-être au bras d’un homme, un vrai. »

Puis a peine son petit discours terminé, avant même que les trois hommes n’aient pu reprendre le fil de leurs idées, elle approcha un siège du bureau du maire, et en s’en servant d’appui, monta sur le bureau avec ses talons hauts. Devant les trois hommes médusés, en prenant bien soin de se donner un air provocateur, elle baissa jusqu’à mi-cuisses une culotte en dentelle, exposant aux regards une intimité rasée qui fascina les trois hommes et se caressa pendant les quelques secondes de silence qui suivirent son geste. Mike Anderson regretta immédiatement son manque de tact, Stephen Lee sa psycho rigidité et ses tics mentaux qui l’obligeaient à tout mettre dans un cadre défini, quant à Paul Bradley, peut-être le plus inventif des trois, il se dit qu’il était probablement temps de s’occuper de son souci « d’hyper-émotivité » comme il aimait à appeler son triste manque de contrôle.

« Eat your heart out, guys (2) Regardez bien ce sexe que chacun de vous a effleuré ou embrassé, quand vous vous êtes pris pour mes amants, parce que vous ne le reverrez-plus, je vous donne une minute. »

Les trois hommes étaient fascinés par ce qu’ils voyaient. Ils ne parlaient plus. Anderson sentait une vague de chaleur lui monter du bas-ventre, Stephen Lee eu l’impression d’être dans un rêve, et Bradley se dit qu’il avait vraiment loupé quelque chose.

Avant même que la minute se soit écoulée, Rita se senti emportée par une vague déferlante de plaisir, ses genoux commencèrent à trembler tant et si bien qu’elle eut du mal à redescendre de son perchoir. Il lui fallut s’asseoir, les yeux fermés, dans le plus grand silence, offerte au regard gêné des hommes, le temps de reprendre un souffle que l’orgasme puissant lui avait coupé. Elle remonta sa culotte en dentelle, passa une main sur le côté de sa chevelure, se releva puis, sans un mot se dirigea vers la porte.


© Sylvain Ubersfeld 2022





(1) Avocat, homme de loi

(2) Allez-vous rhabiller les gars/allez-vous faire voir. Expression populaire.

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