Odette parlait Français, Zita également, mais avec un accent anglais qui sous-entendait une éducation aisée, stricte peut-être, et, nécessairement aussi, contraignante, puisque Zita avait hâte de se départir de tout ce qui avait empoisonné son adolescence. Elle avait la chance d’avoir un père élevé dans le meilleur milieu, maintenant conseiller spécial du roi Georges V Windsor.
Si l’on avait su à la cour comment vivait Zita, son Arthur Charles Cunningham de père aurait probablement souffert sous le regard des bien- pensants et des pisse-froids qui évoluaient dans l’entourage du monarque. Odette aimait le sable fin de la plage de Juan-les-pins, sur le boulevard du littoral. Elle avait longuement réfléchi à ce qu’elle dirait à Zita, ce qu’elle lui proposerait, comme elle avait aussi réfléchi aux réponses possibles qui suivraient cette proposition. Pour le moment, Odette savourait l’instant. Il n’était question entre elles que d’une amitié vieille déjà de dix-huit ans, qui avait commencé le jour ou Zita et son père, accompagnés d’un majordome et d’une gouvernante, s’étaient installés pour les vacances d’été dans la grande propriété du cap d’Antibes, sur le Chemin des Ondes, avec vue sur le fort Carré.
Odette avait compté les jours avant de pouvoir accueillir Zita qui descendait du Calais-Méditerranée Express, un train tout en bleu et or qu’elle avait pris dans le nord de la France, en sortant du bateau en provenance de Douvres. Les deux femmes rêvaient en bleu, passaient les soirées au casino en s’émerveillant de pouvoir enfin être de nouveau ensembles. Le temps des questionnements n’était pas encore venu, mais celui du « faire semblant » arrivait bientôt à sa fin.
Elle n’était pas à l’aise avec le concept d’une proximité permanente qui se mettrait peut-être en place entre elle et cette Britannique pour laquelle, elle venait de le comprendre, elle ressentait une attraction plus forte encore que ne l’était la simple attirance d’une adolescente pour une autre. Le jour, c’était le sable et le soleil, les voisins de plage, en fin de journée c’était la tournée des boutiques et des bars, dans les pas de Franck Jay Gould, ce millionnaire du ferroviaire, ami de la famille Cunningham et de celle d’Odette. On était entre gens bien.
Odette avait tout de suite aimé le mot « liane » dont lui avait parlé, pour décrire son genre de passion, un ami proche, un des seuls à comprendre l’étrangeté de cette transe qui habitait la jeune femme. Au mot « lesbienne », qui lui paraissait sortir directement du Larousse, et lui semblait violent autant qu'insultant, elle avait tout de suite préféré l’image de deux plantes, nécessairement exotiques, qui se mélangeaient, croissaient ensemble et au même rythme, pour ne faire finalement plus qu’une seule. Deviendraient-elles comme deux lianes, l'une s'enroulant sur l'autre, incapable de vivre en solitaire par la suite ?
Elle avait fait sourire quand elle s’était étendue sur la signification de ce mot après des libations lors d’une soirée au bar du casino. On lui avait dit que le terme était usité, une façon de dire que c’était un vieux truc. Elle avait alors évoqué le mot concupiscence, un truc « chrétien » avait-elle dit, et insisté sur le fait que l’évocation même de ses quatre syllabes lui faisait prendre le chemin du septième ciel à chaque fois.
Dans trois jours, Zita repartirait pour l’Angleterre, ou pas. Tout était encore possible, alors que les deux femmes marchaient, bras contre bras, cœur contre cœur, n’osant ni dire ni faire, mais n’attendant que cela. Les souvenir d’étés précédents confortaient Odette dans sa certitude, les sentiments étaient profonds, l’absence douloureuse. Odette savait qu’un véritable amour ne se construit pas sans une certaine souffrance, et elle était prête à l’accepter. A la gauche des deux femmes, il y avait cette mer d’huile dans la touffeur de la fin de journée. Derrière, le cap d’Antibes étirait son chemin côtier depuis lequel on pouvait voir les îles de Lérins. Odette se voyait bien vivre ici, ayant finalement réussi à faire prisonnière Zita Cunningham, pour toujours. Les heures passaient, se transformant de plus en plus en minutes alors Odette demanda soudain : « voudrais tu être ma liane ? »….
Alors même qu’elle posait cette question déterminante à Zita, son regard avait croisé celui d’une belle femme qui marchait en sens inverse. La femme continua d’avancer, faisant semblant de n’avoir rien vu du regard d’Odette…
Il n’y avait pas besoin de parler.
Odette ralenti le pas, se retourna et appela : « Mademoiselle, Mademoiselle… »
La demoiselle, sûre d’elle, s’était retournée……Zita avait serré, plus fort, le bras d’Odette alors qu’elle ressentait un frisson inhabituel…
L’aventure avait duré plusieurs jours… Le plaisir avait laissé des traces indélébiles dans le corps des trois femmes…
Le temps avait passé, les souvenirs commençaient à s’estomper pour de bon…Le Front Populaire était arrivé en mai 1936, avec ses espoirs, mais les choses étaient devenues difficiles, et des bruits de botte se faisaient entendre en Allemagne, depuis qu’un petit caporal moustachu avait pris le pouvoir, entouré d’une bande de voyous.
Mireille aimait les bateaux, les grands bateaux, ceux sur lesquels on reste assez longtemps pour s'habituer au roulis, pour dompter le tangage, pour apprécier les couchers de soleil prometteurs de miracles, les clairs de lune qui engendrent la passion, les coups de tabac qui font réfléchir parce qu'ils ressemblent aux vicissitudes de la vie, mais en fait elle n’avait jamais embarqué sur un de ces grands « liners » qui naviguaient sur les mers du monde, de Sydney à Liverpool, de Marseille à l’Indochine, d’Anvers ou Rotterdam à New-York.
Elle était montée sur un bateau de pêcheur un jour, pour aller attraper des poissons "au lamparo" et avait passé la nuit pliée en deux par-dessus bord, bien que la mer soit calme…alors bien sûr elle redoutait un peu le long voyage vers Saïgon...mais dans sa tête, elle était déjà là-bas et se foutait pas mal d'un éventuel mal de mer…Charles Arnulfi, son avocat de mari, avait bien fait les choses. Il lui avait fait parvenir un passage en première classe, aller-simple, sur le paquebot « Felix Roussel » qui assurait la liaison entre la France et l’Indochine, un trajet de vingt-deux nuits et vingt-trois jours. Mireille savait qu’un jour, elle devrait quitter la France pour rejoindre son mari, parti en éclaireur à Saïgon. Elle y était prête. Elle n’avait pas posé de questions, sachant que quelle que soit la réponse, elle aurait de toute façon été impuissante à changer son destin. Les affaires de Charles n’étaient certes pas toutes reluisantes, mais il avait de l’argent, beaucoup d’argent…Elle s’était un jour souvenu du dicton « à cheval donné, on ne regarde pas les dents », alors elle avançait au jour le jour…
La vie lui avait fait rencontrer Charles, il devait exister une bonne raison. Une de ses amies, une certaine Muriel qui pratiquait une forme de médecine propre à aider les corps comme les âmes, et qu’elle avait connue lors d’un passage en Vendée, lui avait dit : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous… »
On la jalousait un peu, des voisines charitables l’avaient mise en garde contre les mauvaises rencontres auxquelles elle s’exposerait, naturellement, pendant le long trajet vers l’extrême orient. Ses amies étaient, pour beaucoup, d’anciennes prostituées qui avaient exercées leur métier au « Panier » (1), mais il y en avait de parfaitement respectables, qui semblaient encore plus jalouses que les autres, de savoir Mireille en route pour l’Extrême-Orient. Il est vrai que l’Indochine faisait rêver, surtout quand on n’avait rien connu d’autre que Marseille, éventuellement Toulon, plus rarement encore Nice, et certainement pas Monaco.
Avant d’être Mireille Arnulfi, elle avait été Mireille Catalano, avec un parcours digne d’un roman noir ou d’un film de mœurs. Elle n’avait fréquenté l’école que pendant quelques années, et avait fait une « mauvaise rencontre ». De Saint-Marcel, où elle résidait avec sa mère, jusqu’à la rue Lanternerie, dans le quartier du panier, où sur quatorze immeubles, treize abritaient des maisons de tolérance, le voyage avait été court…à peine quelques mois, quelques heures, quelques centaines de mètres, puis quelques milliers de passes. Elle avait un côté « garçonne » qui plaisait aux hommes, elle avait également un passé caché, un amour pluriel et féminin, pendant un été à Juan-les-Pins, alors qu’elle avait trouvé un petit travail dans une pensions de famille du côté de l’avenue de Provence, à Antibes, la commune voisine de Juan.
Elle avait rencontré Odette et Zita, deux jeunes filles de très bonnes familles, lors d’une promenade sur le front de mer, à Juan. Mireille était une fille authentique, sans chichis, sans préjugés…une fille qui ne savait pas mentir, ni résister à ses pulsions. Mille neuf cent trente-trois, trente-quatre ? Un dîner à l’hôtel Le Provençal, un palace pour Américains et Anglais riches ou bien nés, et Mireille Catalano avait basculé dans un plaisir encore inconnu pour elle, dans les bras de Zita et Odette.
La vie avait repris, après l’été, et de rencontres en pastis, de pastis en whisky, elle s’était retrouvée, pour un temps, au bras de Paul Leca, une figure du milieu, copain de Paul Carbone et de François Spirito… Puis, la garçonne, qui aimait bien les hommes et beaucoup les femmes avait croisé la route d’un client de Madame Coste, la tenancière du 4 rue Venture, une boite à rideau connue, point de rendez vous de la voyoucratie de haut vol. Charles Arnulfi avait voulu lui offrir à boire du vrai champagne. A soixante cinq francs la bouteille, Mireille Catalano était tombée tout de suite dans les bras de ce monsieur Arnulfi…Trente fois le prix d’un kilo de pain pour soixante-quinze centilitres de bulles…Mireille avait accepté de boire encore plus de champagne, cette fois chez Charles, qui avait racheté à un mafieux dans la débine, un petit hôtel particulier pas loin de la rue Paradis, a un jet de pierre du boulevard Perier. Dès la première soirée, elle avait réalisé qu’elle ne pourrait jamais l’aimer comme lui l’aurait souhaité… Sacré Charles…maître Arnulfi, en fait. Etudes de droit à Lyon avec notes exceptionnelles, cabinet d’avocat à Aix en Provence, trois ans à Nice à défendre des petits voyous, et des gros trafiquants, la renommée de Charles Arnulfi avait atteint les oreilles de Jo Rossi, et Auguste Mela, surnommé « Gus le Terrible », qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le contrôle des quartiers de Marseille. Les années avaient effectivement passé depuis le fameux « traité des prophètes » de 1905 (2), le monde avait évolué, les méthodes des voyous également. D’avocat avisé à la carrière prometteuse, Charles, l’homme de loi était devenu le défenseur attitré des voyous en délicatesse avec la justice. Lui qui, enfant, avait voulu devenir prêtre, pour « combattre le mal », était aujourd’hui omniprésent dans les différentes affaires qui opposaient la pègre des bas fond, à la « bonne société » Marseillaise et à l’état. Clientélisme, corruption, stupéfiants, prostitution, Arnulfi avait vite compris qu’il pouvait, comme tous les bons avocats, se faire beaucoup d’argent. De huit heures du matin jusqu’à vingt-et-une heure, il se donnait corps et âme à son travail. Plusieurs fois, il s’était dit qu’à force, il deviendrait un voyou. Il avait confié ses craintes à Simon Sabiani, un ancien premier adjoint du Maire de Marseille, un personnage trouble avec lequel, pourtant, il s’entendait bien. Les deux hommes s’étaient retrouvés dans un café du vieux port, pour évoquer des souvenirs de jeunesse, et la question posée par Charles était arrivée sur le bord de ses lèvres :
« Simon, si tu étais riche, que tu avais des biens, et que tu habitais à Marseille, comment investirais-tu ? »
Alors, Sabiani avait posé son verre de vrai pastis, s’était penché vers Charles, et lui avait murmuré à l’oreille, avec son accent Corse :
« J’ai deux amis, l’un s’appelle Paul Carbone, l’autre François Spirito, ils ont toujours de bonnes idées quand il s’agit de trouver des investissements avec des retours à court terme… » Charles avait souri, et son cœur avait battu un peu plus vite…
La môme caoutchouc ? c’était un surnom donné dans son milieu. Mireille Catalano était d’une remarquable souplesse, en plus de ses autres talents. Un client régulier de Madame Coste, un voyou demi-sel qui voulait se donner des airs de caïd mais qui n’était en fait qu’un fantaisiste, avait dit au bar, après sa passe : « la Mireille, elle est tellement souple qu’elle arrive à se faire des choses que j’ai jamais vu faire, elle pourrait presque se débrouiller sans hommes », alors un truand en devenir s’était esclaffé en disant « Ta copine, ta Mireille, c’est la môme caoutchouc, non ? », il s’agissait d’une référence musicale à la chanson chanté par Jean Gabin, un acteur de cinéma, et crée par Maurice Yvain et Serge Veber en 1931…La chanson avait eu un franc succès, et comme il n’était pas rare dans le « métier » d’affubler les femmes qui officiaient dans les bobinards, de surnoms souvent amusants, Mireille avait hérité de celui-là, et s’y était habitué.
Au milieu du printemps 1938, Charles Arnulfi avait attrapé un coup de sang, alors qu’il défendait un grand voyou dans une affaire de stupéfiant qui avait fait cinq morts. Le fait que les décédés aient appartenu au monde du crime Marseillais, n’avait pas facilité l’affaire. Des mensonges concernant des alibis, des oublis dangereux, un manque de confiance, peut-être, et en plein milieu de la préparation du procès, Maître Arnulfi avait jeté l’éponge. « Il est temps de partir » avait annoncé Charles à Mireille, le lendemain matin, alors qu’au petit jour, elle regagnait le domicile du couple, les traits tirés. « Je vais y aller en avance, tu me rejoindras, il va falloir quelques mois, trois peut-être, cinq ou six, plus sûrement…je connais des gens à Saïgon, on dit qu’il existe des milliers d’opportunités… Il avait fait ses malles, vendu deux ou trois affaires dans lesquelles il avait investi, et s’était embarqué sur un paquebot des Messageries Maritimes. Mireille se souvenait très bien de la date : c’était le 17 mai…ce jour-là, à Paris, se déroulait la première du film « Quai des Brumes » avec Jean Gabin et Michelle Morgan. Pas une larme, pas de vague à l’âme…Elle avait vu le grand bateau s’éloigner, était restée sur le quai à se demander si finalement elle pourrait arriver un jour à aimer cet homme, puis était retournée à la maison qui était maintenant à vendre. Dans la cour, le tandem du couple était toujours là. Elle se souvenait qu’au tout début de son aventure avec Charles, il lui avait dit qu’il était « le roi de la petite reine » et avait acheté l’étrange engin biplace, mais maintenant, faire du vélo toute seule, quel intérêt. Irait-elle encore voir les calanques, maintenant que Charles était parti ? Alors elle avait mis ses interrogations dans sa poche, avait passé la nuit chez Madame Coste pour ne pas avoir le temps de penser. Le 22 Septembre, il y avait eu l’attaque du « train de l’or » (3), le 24 c’était la mobilisation partielle de réservistes suite à la crise des sudètes. Le 25 septembre, le télégramme de Charles était finalement arrivé :
" BIEN INSTALLE STOP LES AFFAIRES MARCHENT BIEN STOP TU AIMERAS STOP VIENS ME REJOINDRE. TON PASSAGE RESERVE SUR FELIX ROUSSEL DES MESSAGERIES MARITIMES LE 28 DU MOIS. MON ADRESSE 8 RUE COLOMBERT SAÏGON STOP TENDRESSES. CHARLES STOP".
Elle n’avait eu besoin que de quelques affaires, hâtivement jetées dans une valise de voyage d’une grande marque. Sa malle, elle, était déjà préparée.
Elle se réjouissait de ce grand voyage, même si elle reconnaissait avoir perdu toute joie d’aimer….
Un notaire avait été mandaté pour vendre le reste des biens, elle avait rêvé pendant trois jours, jusqu’au moment où elle était arrivée au port.
(Le paquebot "Félix Roussel" des Messageries Maritimes. Il assurait, entre autre, les liaisons entre le France et l'Indochine)
( Un des deux moteurs du "Félix Roussel" . La navire développait 16.000 cv)
La silhouette du « Felix Roussel » (4), un paquebot mis à l’eau en 1931, la subjugua. Sa respiration devint plus rapide pendant plusieurs minutes, alors qu’elle réalisait que dans quelques heures, elle abandonnerait derrière elle sa vie en France, pour une nouvelle aventure dont elle ne savait absolument rien. Dans son imaginaire, il y avait des chapeaux coniques, des femmes portant le « Ao Daï » (5), et une vague notion de ce à quoi ressemblait un arbre à caoutchouc.
Comme elle détenait un passage en première classe, un steward des Messageries Maritimes vint la chercher dans la salle d’embarquement. Il prit avec galanterie la grosse valise, s’assura que la malle qui accompagnait Mireille, avait bien été prise en compte par le personnel de bord, qui l’avait déjà placée dans la cabine de la voyageuse. « Nous levons l’ancre dans deux heures exactement » annonça l’homme en uniforme. « Vous aurez le temps de faire un bon dîner, et passer une bonne nuit avant Oran, la première escale. Souffrez vous du mal de mer ? »
« Je n’en sais rien » répondit Mireille « cela fait si longtemps que je n’ai pas mis les pieds sur un bateau, et encore c’était une toute petite embarcation… » En une demi-seconde, son escapade pour pêcher au lamparo, un soit d’été, la ramena dans les bras de Zita et Odette, la passade de Juan-les-Pins. Elle sentit son corps frissonner et suivi le steward sur la passerelle d’embarquement.
Avec ses cabines de haut luxe pour les cent quatre vingt seize passagers qui voyageaient en première classe, le « Félix Roussel » était un palace sur la mer. Mireille Catalano n’avait jamais été exposée au « beau » sauf, peut-être, la fois où Charles l’avait amené à Paris, pour leur voyage de noce. Elle avait été éblouie : cabine « single » communicante dans une voiture lit du type Lx avec marqueteries de Prou, trois nuits à l’Hôtel Meurice, avec chambre donnant sur les jardins des Tuileries, un passage chez Maxim’s pour dîner. Le hasard ayant bien fait les choses, un poète graphiste, dessinateur et dramaturge très connu, habitué du lieu, était assis à la table d’à côté, en compagnie de trois hommes et une femme qui se nommait pour les uns Gabrielle, mais que les autres appelaient « Coco » (6). Curieusement, ce magnifique voyage lui avait laissé un souvenir amer…peut-être savait elle que le style de vie « voyages en trains de luxe et nuits dans des palaces internationaux » n’était pas pour elle ? Elle s’était souvent interrogée sur son avenir avec Charles Arnulfi. Une sorte d’accord avait fini par se mettre en place, après les premières semaines de vie commune. Arnulfi avait pour son épouse une tendresse certaine, Mireille de son côté avait remplacé la passion par du respect. C’était plus une compagne qu’une femme, et cela semblait convenir aux deux qui, curieusement, avaient du mal à se passer l’un de l’autre. Elle n’était plus le petit « tapin », comme la désignait des voisins « bien-pensants », mais la femme de l’avocat, celui qui avait réussi, et avait l’oreille des grands de Marseille, qu’ils fussent des gens respectables ou simplement des gangsters à la réputation sulfureuse.
« Nous levons l’ancre dans deux heures » avait dit à Mireille le steward des premières classes. Six heures après, le Félix Roussel était toujours amarré. « Rien de grave » avait précisé l’homme en uniforme « Avec les deux moteurs diesel Sulzer développant 16.000 chevaux, le commandant aura vite fait de rattraper le retard ». Mireille n’était pas inquiète. Elle avait fumé sa cigarette sur le pont, accoudée au bastingage, regardant le jour tomber sur la « bonne mère » puis, entre dix neuf heures trente et vingt heures, avait gagné la salle à manger des premières classes. Elle qui ne mangeait que peu, s’était senti un appétit d’enfer au milieu de cet incroyable changement de repères.
(Un menu de la compagnie, 28 ans après l'aventure de Mireille Catalano)
…Hure de Porc au beurre et oignons verts.
Nouilles au fromage
Coquilles Trouvillaises
Poularde au riz « Régence »
Andouillette au Gril
Entrecôte Bercy
Pommes Mignonettes
Chayotes au Parmesan
Jambon Charcutière
Pâté en Croûte Strasbourgeoise
Salade Lorette
Plateau de Fromage
Corbeille de Fruits…. (7)
Mireille avait pris peur en se disant « si c’est comme cela pendant vingt-trois-jours, je mourrai d’indigestion avant l’arrivé à Saïgon. »
Au milieu du repas, alors qu’elle goûtait pour la première fois de sa vie des Chayotes au Parmesan, elle posa sa fourchette sur la nappe immaculée, et ressortit de son sac à main, le télégramme de Charles. Toute à sa joie devant l’aventure qui se dessinait, elle avait occulté le fait que le télégramme se terminait d’une étrange façon. Charles lui donnait son adresse, il ne disait même pas qu’il viendrait l’attendre au débarcadère. Il signait : tendresses, alors qu’il ne l’avait pas vue depuis plusieurs mois…D’un seul coup, la Poularde « Régence » lui restât sur l’estomac. « Et si j’avais eu tort de partir, tort de rester avec lui…et si ce voyage vers l’inconnu était en fait une folie…et si je courrais à ma perte ?
Le Félix Roussel avait finalement levé l’ancre et s’était élancé sur la Méditerranée, vers les côtes d’Afrique du Nord. Mireille était ressortie sur le pont, avait essayé d’allumer une cigarette « Papastratos, que des amis de Charles faisait venir, clandestinement, à Marseille, sur des cargos Helléniques, mais le vent du large s’y était opposé, en dépit de deux tentatives avec un briquet « tempête » Zippo, cadeau d’un client de Madame Coste qui avait des affaires aux Etats-Unis, sur lesquelles il fallait rester discret.
Mireille avait alors rejoint le fumoir, étonnée par le nombre d’hommes qui commençaient leur soirée par un énorme cigare. Elle s’était calée dans un fauteuil en cuir et s’était laissée aller à ses pensées, le cerveau en roue libre, la rêverie aidée par un Porto de marque. Novembre, c’était en Novembre…Elle n’avait pris que des vêtements légers. L’agent des Messageries Maritimes lui avait dit qu’à Saïgon, en cette période, la température serait autour de 22° ou 24° degrés.
Trois heures après avoir quitté Marseille, le bateau commença à bouger…Sur la « Mare Nostrum » il pouvait y avoir parfois du gros temps. Vers minuit, elle regagna sa cabine, encore une fois étonnée d’avoir à sa disposition deux lits d’un mètre vingt de large, plusieurs fauteuils de style « art déco », un vrai tapis sur le sol, une salle de bain à la porcelaine blanche, et des petites lampes de chevet du meilleur goût. Elle s’était dévêtue, habituée à dormir au naturel. Le contact avec les draps de lin, raidis par l’amidon, lui donna le frisson. En essayant de chasser les idées noires, qu’elle sentait venir, elle se plongea dans un recueil de nouvelles de Marguerite Yourcenar, une femme écrivain orientaliste, dont le premier titre était « Comment Yang Fô fut sauvé.
Elle vit dans ce titre un heureux présage et se réjouit dans l’anticipation de cette première nuit sur un immense paquebot, en route vers l’Extrême-Orient.
Sept minutes après avoir commencé à lire les premières lignes du recueil, elle senti que ses yeux combattaient l’endormissement. Alors elle déposa le livre sur la table de chevet, éteignit la lumière, plaça sont corps sur le côté et attendit que le sommeil la prenne.
Alors qu’elle se sentait déjà devenir plus légère, elle entendit dans la coursive deux voix féminines commenter la soirée. Les voix lui étaient familières…des gens de Marseille, peut-être, mais que faisaient-elles sur ce navire ? Ou alors d’anciennes connaissances…des filles qui travaillaient au panier ? Impossible…que feraient-elles sur ce navire… Elle ne s’interrogea pas plus longtemps. Le château Margaux et le Porto aidèrent à la transition de la réalité, vers le monde des rêves.
Ce fut l’odeur du café qui réveilla la voyageuse. Ce n’était pas l’odeur d’un simple café de bistrot. Il y avait des effluves de croissants chauds et de toasts, qui avaient franchis la porte de la suite de première classe de Mireille. La voyageuse avait jeté un coup d’œil à son réveil de voyage « Mutic », un cadeau de Charles, qui lui avait dit « tu penseras à moi chaque jour en te réveillant chaque matin ».
L’eau de la douche était brûlante. La voyageuse avait prévu un tailleur d’un grand couturier, un chemisier écru, une ceinture large en daim marron. Une paire de chaussures Aris Allen de couleur taupe, attendait ses pieds… Elle aimait l’élégance. Au moins une fois par jour, elle se disait qu’elle prenait une revanche sur la vie. Plus d’odeurs de mâles en rut, plus de faux sourires, plus de dégoût. Peut-être devait elle finalement rester avec Charles ? De toute façon, maintenant qu’elle était sur le paquebot, les questions n’avaient plus tellement de sens. Elle aurait ses réponses en arrivant à Saïgon. Au seuil de la salle à manger des premières classes, elle fut accueillie par un maître d’hôtel souriant. « Où souhaitez-vous vous asseoir Madame … ? »
« Arnulfi… je suis Madame Arnulfi, suite 18 » Le maître d’hôtel était tout sauf impressionné. Il avait accueilli, sur le Félix Roussel, mais également sur l’« André Lebon », et l’ « Angkor », des Maharadjahs, des membres de la famille royale d’Angleterre, des vedettes de cinéma, des chefs d’orchestre, des cantatrices, et même, une fois, un certain Pierre Laval, président du conseil, en voyage officiel accompagné d’une pléthore de hauts fonctionnaires et d’agents de la sûreté. Mais s’il était loin d’être impressionné par la passagère de la suite 18, l’homme n’en laissa rien paraître. Les « Messageries Maritimes » étaient connues, entre autres, par la qualité irréprochable de son service à bord.
Avec style, il conduisit Mireille vers une table dressées pour deux personnes. « Attendez-vous quelqu’un ? » Elle fit non, de la tête. A sa droite, une autre femme seule, dans un magnifique tailleur d’un beau vert émeraude, qui mettait en valeur ses cheveux blonds, buvait un thé en jetant un coup d’œil distrait sur un journal acheté la veille avant le départ.
A sa gauche, une table plus grande dressées pour six, attendait ses occupants. Un serveur tout en blanc s’approcha de la table.
« Bonjour Madame, comment puis-je vous aider, souhaitez-vous du thé ? du café ? du chocolat ?
Cela faisait un long moment que personne ne s’était occupé de Mireille de la sorte. Elle en conçut un grand plaisir, se disant que finalement, la vie avec Charles n’était pas si désagréable que cela, et qu’il fallait peut-être se résoudre à accepter les activités obscures de son époux…
En attendant son chocolat, un luxe dont elle s’était privée pendant longtemps, elle vit un officier du bord, en uniforme, s’approcher de la table de sa voisine, qui l’invita à s’asseoir. Une conversation prit place, dans laquelle il était question de navires, d’escales, d’armement, de moteurs…Mireille en fut étonnée. Elle se serait attendue à une conversation plus prosaïque, plus banale…L’homme s’était vu servir un café. Il gardait un œil sur sa montre. Une fois son café bu, il se leva, salua avec distinction, et annonça simplement : « si nous ne nous recroisons pas, Madame Philippart, je vous souhaite un excellent voyage ». L’homme s’était éloigné, la femme se pencha vers Mireille et dit, d’une voix emprunte d’une grande gentillesse, et reflétant une bonne éducation : « A chaque fois que je me trouve sur ce merveilleux bateau, le chef mécanicien vient toujours me saluer. Pour une raison que j’ignore, c’est un très bon ami de mon époux, ils étaient dans le même régiment, je crois, mais je n’en sais pas plus…j’espère que nous ne vous avons pas trop dérangé avec nos bavardages…vous vous rendez en Indochine, peut-être ? »
Mireille sourit « J’étais perdue dans mes pensées, soyez sans crainte Madame… ? » « Marguerite Philippart, vous pouvez m’appeler Marguerite si vous le souhaitez » …Mireille reposa dans sa soucoupe, la tasse dans laquelle restait un peu du chocolat chaud. Elle s’essuya les lèvres avec une petite serviette en lin, aux armes des « Messageries » … « Que fait votre mari, maintenant » demanda-t-elle ?
« C’est le président de la compagnie qui arme ce paquebot… »
Margueritte Philippar avait dit cela de la façon la plus simple possible, sans aucune autres allusions…peut être se sentait elle seule et cherchait elle un peu de compagnie pendant les trois semaines à venir ?
« Du beau monde » pensa Mireille, alors que, de la porte d’entrée à la salle à manger, arrivait un groupe de six personnes, trois hommes, trois femmes…trois couples ?
Marguerite était retourné à son journal…
Les six s’installèrent autour de la table. L’homme qui semblait être le plus âgé fit un discret signe de tête à l’intention de Mireille, qui y répondit par un sage sourire. Mireille ne pouvait pas ne pas entendre la conversation animée qui avait démarré autour de la grande table.
« Le choix, le choix, nous n’avions aucun choix…les choses ne peuvent que mal tourner dans un pays dirigé par des voyous…vous verrez, il y aura la guerre…je ne donne pas cher des juifs d’Allemagne…Béni soit le nom, qui nous a permis de quitter l’Europe… » L’homme à la calvitie naissante, était habillé avec élégance, comme les cinq autres convives qui prenaient, avec lui, leur petit déjeuner. Il devait avoir une petite cinquantaine.
« Mon cher Kurt », répondit un des deux autres convives, « Heinrich Heine (8) avait sans doute raison…là où on brûle des livres, on finit par brûler aussi des hommes ». Les trois femmes, assises en silence, étaient plongées dans leur pensées… »
« Que de tristesse dans leurs yeux » s’était dit Mireille. « Quelle étrange période… »
Elle n’avait pas pu ne pas écouter…et en tirer ses propres conclusions…En quelques minutes, elle avait assez d’éléments pour comprendre que les trois couples fuyaient l’Europe. Ils étaient en fait Alsaciens, et une partie de leur famille vivait en Allemagne depuis plusieurs générations. Cette année-là, il y avait eu l’invasion de l’Autriche, l’enregistrement obligation obligatoire des biens et propriétés des juifs, l’enregistrement des commerces, la mise en place d’une carte d’identité spécifique, l’interdiction faite au juifs de pratiquer la médecine, mais surtout, le 11 aout, la destruction de la synagogue de Nuremberg….c’était cet évènement tragique qui avait été, pour les six voyageurs, le signal d’alarme…Ils auraient pu rester dans l’est de la France , et attendre, mais les nouvelles qui arrivaient d’Allemagne avaient plutôt plaidé en faveur d’un départ pour une longue période d’éloignement. Alors, ils avaient tout vendu, dit adieu à leurs amis, et décidé de partir pour l’Indochine où, ils l’espéraient, ils seraient protégés du conflit qui ne manquerait pas de se déclencher. Celui qui s’appelait Kurt avait fait les présentations et, réalisant que Mireille était seule à sa table, l’avait invitée à rejoindre le groupe. Sur les grands liners, entre gens bien, cela se passait souvent comme ça, surtout durant les longues traversées… Kurt Bohringer, des laboratoires du même nom, et son épouse Yentl, une jolie polonaise de dix ans plus jeune… Willy Wendling, marchand de bien accompagné dans ce voyage par une Katel, blonde comme une héroïne germanique et Yerri Schneider, un magnat de l’acier, que son épouse Trudy regardait comme s’il eut été dieu sur terre…Six destins, six questions, comment survivraient-ils…L’Indochine, un petit bout de France au bout du monde. Ils devraient se refaire des amis, trouver un travail…Les trois avaient réussi à vendre une partie de leurs biens. Conseillés par l’expert en immobilier, l’autre partie avait été louée à « des gens comme il fallait », car, c’était certain, même si une guerre devait éclater, elle ne durerait pas toute la vie, et transmettre un patrimoine faisait partie des valeurs des deux couples, et de Willy Wendling, le célibataire qui aimait les belles femmes.
L’idée leur était venu de tenter l’aventure en Palestine…mais devant les difficultés, ils avaient renoncé. Être juif en ces temps incertains, n’était pas un cadeau de l’éternel, pensaient-ils.
Mireille s’était livrée à son tour « mon mari est avocat, il est parti en éclaireur, nous habitions Marseille » …
Elle avait fait l’impasse sur son ancienne vie, avait mit de côté ses propres questionnements. Le petit déjeuner avait duré…au bout d’une petite heure, Mireille se sentait comme si les six voyageurs avaient toujours fait partie de ses amis…Elle avait remarqué le regard de Katel, la compagne de Willy Wendling que l’homme avait présenté par son prénom, sans autre information. « Ils ne sont certainement pas mariés » pensa Mireille…
Katel avait regardé Mireille avec une sorte d’envie, son expression était proche de celle qu’aurait eu un enfant regardant des pâtisseries dans la vitrine d’un magasin. Pendant quelques secondes, Mireille se revit en compagnie des deux jeunes femmes avec lesquelles elle avait passé un certain mois de juin, en bord de mer…
Vers 10H30, alors qu’il ne restait qu’eux dans la salle à manger, et que le personnel commençait à froncer les sourcils, un maître d’hôtel s’approcha. Mireille ne fut pas surprise de voir que l’homme connaissait les voyageurs par leur nom de famille. Il invita tout le monde à poursuivre la conversation au salon « La mise en place pour le service de midi, vous comprenez » avait-il expliqué, presque en chuchotant, à l’oreille de Kurt Bohringer.
Kurt en avait profité pour demander à l’homme « savez-vous où nous sommes ? » le maître d’hôtel avait simplement répondu « à mi-chemin…nous devrions arriver à Oran vers 22H00…Bonne journée monsieur Bohringer »
Sur le Félix Roussel, les passagers de première classe n’étaient pas des anonymes. Le bateau avait recommencé à tanguer, mais finalement cela n’indisposait pas Mireille. La vie sur le grand paquebot, s’articulait autour du bien être des passagers. Il y avait des jeux de pont, des tournois de carte, un petit orchestre de neuf musiciens qui jouaient à l’heure du thé, les derniers succès de Victor Sylvester. Elle avait lu tout cela dans une brochure siglée Messageries Maritimes, disposée sur sa table de nuit.
Les voies entendues hier soir, alors qu’elle s’apprêtait à sombrer dans le sommeil, venaient de lui revenir en mémoire. Elle avait eu la curieuse impression de reconnaitre les deux rires, mais son cerveau n’avait pas résisté à l’appel du sommeil. Elle s’était dit que, peut-être, le hasard lui donnerait l’occasion de mettre un visage sur les voix entendus…
Et puis était venu l’incroyable choc, le rencontre du passé de Mireille avec le présent qu’était ce voyage sur un paquebot, en route vers l’Indochine.
Alors que Mireille se préparait à monter l’escalier qui conduisait vers le pont où se trouvait le bar, le commissaire de bord, visiblement pressé, la dépassa en s’excusant. Ne vit-il pas qu’un de ses lacets était défait, c’est possible…s’étala-t-il de tout son long au pied de l’escalier, c’est certain. Le contenu du dossier qu’il tenait à la main s’était réparti sur le sol.
Mireille eu pitié de l’homme.
« Laissez-moi au moins vous aider avec ceci » dit elle en montrant de la main les notes de services et autres listes de passagers qui étaient tombées au sol. Mireille s’agenouilla tandis que l’homme tentait de se redresser, visiblement choqué par sa chute. La jeune femme récupéra les quatre feuillets d’une circulaire de bord datée du 4 février 1938, concernant le port des différents types d’uniformes pour les officiers exerçant sur les navires des Messageries Maritimes.
La date du 4 février l’amusa…Ce même jour, le sénateur anticommuniste Gustave Gautherot, l’un des vice-présidents de la Société des Amis de la Russie Nationale, (9) de passage à Marseille, avait passé la soirée chez Madame Coste, rendant cette date inoubliable. L’homme, accompagné par un député du nom de Xavier Vallat (10), avait passé la nuit à boire du champagne en compagnie des plus belles filles de l’endroit. Xavier Vallat, plus sobre, avait réussi à ramener le sénateur le lendemain matin à la gare Saint-Charles, aidé par Mireille Catalano. Les feuilles de la circulaire étant numérotés, il fut aisé de les remettre dans l’ordre avant de les tendre au commissaire de bord. Le deuxième jeu de document était la liste complète des passagers du navire, divisée par classe. Alors qu’elle classait les feuilles de papier dans l’ordre numérique, le cœur de Mireille s’emballa. La liste des passagers comportait les noms de Zita Cunningham dans la cabine 31 et d’Odette de Neuflize dans la cabine 32. Les deux femmes entendues hier soir étaient celles avec qui Mireille Catalano avait eu son aventure amoureuse à Juan-les-Pins. Alors qu’elle rendait à l’officier les feuilles de papier, Mireille ressenti soudain un étrange sentiment de bonheur et de plénitude… « elles sont à bord…comment, pourquoi…sont-elles seules, où vont-elles…mon dieu, c’est tellement loin…vont-elles me reconnaitre ? » Les questions se bousculaient. La tête lui tourna. Elle dû s’accrocher à la rampe de l’escalier pour ne pas perdre l’équilibre et resta immobile cinq longues minutes avant de commencer à gravir les marches…Elle avait l’étrange sentiment que sa vie allait changer. Pourquoi n’avait-elle pas vu les jeunes femmes hier soir ? Elle se souvint soudainement de son amie Muriel, une thérapeute qui pratiquait l’hypnose, et faisait figure d’originale. Il n’y avait pas de hasard. Il y avait un véritable rendez-vous. Mais pourquoi ? Soudainement, Mireille eu l’impression de voguer sur une mer de bonheur. Elle ne savait pas quoi faire, n’avait pas de stratégie de rencontre…laisser faire le destin ? Aller frapper à la porte de leurs cabines et espérer le meilleur ? Zita…Odette…Mireille se souvenait encore de l’odeur de leur peau. Trois heures avant l’arrivée à Oran, pour une courte escale, Mireille entra dans le bar du Felix Roussel. Son cœur s’arrêta. Deux femmes, de dos, étaient assise dans des fauteuils de style Khmer. Mireille n’avait pas besoin de voir leur visage. Elle connaissait, pour l’une son port de tête, pour l’autre, l’étrange façon de se tenir légèrement penchée sur le côté, quand elle s’asseyait. Elle s’approcha des deux fauteuils. Une bouffée de parfum Shalimar lui fit tourner la tête, avant même que ses mains se posent sur les épaules des deux voyageuses assises. Puis il y eu le contact des paumes sur les épaules dénudées, et les deux voyageuses du bar sursautèrent…qui donc osait… ? Mireille fit deux pas en contournant les fauteuils…elle se retrouva devant Zita et Odette. Les deux femmes assises hurlèrent de surprise, les hommes, enfoncés dans de profonds fauteuils, près du bar, froncèrent les sourcils, les deux serveurs en spencer s’arrêtèrent de préparer les cocktails. Les deux femmes se levèrent, prient Mireille dans leurs bras…il n’y avait pas de mots, simplement le sentiment d’avoir toujours voulu retrouver les deux lianes de Juan-les-Pins. Pendant de longues minutes, il y eu le contact des corps, puis les cœurs recommencèrent à battre normalement. « Raconte-nous » dit Odette… » que fais-tu sur le Félix Roussel, où habites tu, ou vas-tu, que fais-tu de ta vie…on veut tout savoir. Un serveur du bar s’était approché avec un fauteuil supplémentaire. On aurait pu se croire dans un bar huppé des Champs-Elysées. Pendant que les trois jeunes femmes dînaient ensemble, le grand navire se préparait à sa première escale. Au moment du café, les lumières d’Oran la Radieuse se profilèrent à l’horizon. En vingt six heures, Mireille était passé d’hier à aujourd’hui. Il n’y avait plus de passé, il n’y avait que le futur.
Soixante treize passagers étaient montés à bord lors de l’escale. Des politiciens sévères, des représentants de commerce, quelques militaires qui changeaient de poste, une ou deux familles qui partaient explorer l’Extrême-Orient. Il y eut aussi, parmi les passagers de première classe, un étrange personnage à l’air sombre qui parlait avec un fort accent germanique et que, dès le lendemain matin, les serveurs de la salle à manger appelaient, avec déférence, Herr Stein Hammer. Le commissaire de bord était venu, lors du repas, rapporter son passeport à cet homme silencieux, et aux cheveux en brosse. Mireille n’avait pas pu éviter de voir la couverture bleue du document, sur laquelle était indiqué, DEUTSCHES REICH, DIPLOMATEN PASS. Au milieu de la page de garde figurait un aigle, serrant dans ses griffes une couronne, faite peut-être de lauriers, entourant un swastika doré. « Et s’il y avait vraiment la guerre » avait elle alors pensé…….
Dans le palais du gouverneur Joseph-Jules Brévié, l’air sentait les fleurs. Charles Arnulfi était toujours impressionné par le décorum qui accompagnait l’activité du bâtiment, comme il l’était par l’incroyable espace de circulation, et la communication directe avec l’extérieur. On était bien loin de ce qu’il aurait pu connaître en France. C’était un autre monde…
Le chef de cabinet du gouverneur, un Corse du nom de Fieschi, devait sa place à des contacts qu’il avait avec d’autres Corses de Paris, proches des milieux gouvernementaux. Fieschi avait connu, déjà, deux représentants de la France, et avait eu l’occasion de fréquenter les demi-sel d’Indochine, ceux qui avaient dû s’éloigner de France pendant un moment, pour se refaire une virginité, et se refaire tout court. C’était apparemment chose courante.
Rue Catinat, l’hôtel Continental appartenait à Mathieu Franchini, qui avait acheté l’établissement du Duc de Montpensier en 1930. (11) Au bar de l’établissement, véritable rendez-vous de la communauté des expatriés, Maître Arnulfi avait retrouvé toute une floppée de voyous Marseillais, quelques crapules de Lyon, une ou deux malfrats de Lille, et René-les-yeux-bleus, un prêteur sur gage, Niçois d’origine, bien connu des pègres du sud de la France, dont la spécialité était d’aider les voyous à subvenir entre deux braquages, trois extorsions, quatre assassinats d’ennemis potentiels ou déclarés. René- les- yeux-bleus avait quitté son village d’Aspremont, talonné par des exécuteurs de la mafia Corse, qui avaient un compte à régler, depuis longtemps, avec l’usurier.
Comme il l’avait indiqué dans le télégramme qu’il avait envoyé à Mireille, son épouse, les affaires marchaient bien. Il avait ouvert un cabinet-conseil et sa clientèle était majoritairement constituée d’expatriés planteurs de caoutchouc et de gérants de commerces légitimes ou non. Depuis son arrivée en Indochine, Charles Arnulfi avait fait de nombreuses et utiles rencontres. Le président du syndicat des planteurs de caoutchouc, le délégué général de la Banque de l’Indochine, le contrôleur des finances, le directeur général de La Dépêche d’Indochine, le patron des services douaniers, étaient régulièrement vus à la table de Charles Arnulfi, quand il dînait en ville. Il avait aussi, et surtout, rencontré Sao Maï (12) qui portait l’« Ao Daï »,cette robe traditionnelle du Viêt-Nam, comme personne d’autre ne savait le faire. La première fois qu’il l’avait aperçu au bar du Continental, il avait eu le coup de cœur. Ce n’était pas nécessairement de l’attirance physique, même s’il avait été subjugué par le contraste entre le noir de ses cheveux et le cuivre de sa peau…il y avait autre chose. Ce n’est qu’après trois jours que Charles avait compris que c’était le regard de Sao Maï, qui le fascinait, cette façon qu’elle avait de fixer dans les yeux, de façon presque impudique, avec un zeste d’insolence et de défi. Il s’était lui-même étonné de voir, avec quelle facilité, il avait relégué Mireille, au deuxième ou même au troisième plan. Il y avait en premier les affaires, en second, Sao Maï, et en troisième Mireille, son épouse qui arriverait bientôt de France, sur un paquebot des Messageries Maritimes. Pendant les trois premiers mois de son séjour en Indochine, des truands divers et variés avaient proposé à Charles de les aider dans leurs « affaires ». Charles avait fait la sourde oreille, puis, petit à petit, au lieu de tout refuser en bloc, il avait commencé à faire le tri, puis affiner ses réponses et faire son choix. Il lui avait semblé simple de mettre en place de l’exportation illégale d’opium, avec la complicité de certains employés des services portuaires. Le système était simple : des bagages portant le nom d’authentiques passagers embarquant sur le navire, étaient amenés à bord et mis en cale. A L’arrivée en France, les bagages, qui portaient un petit signe distinctif, étaient récupérés et transférés hors du port de Marseille, sans passer par le banc de douane. Aucun incident n’avait, jusqu’à présent, fait regretter à Charles d’avoir mis au point ce trafic lucratif. Les boules d’opium brut, pesant chacune un kilo sept cent, venant de Chine, et pour certaines, des Indes, étaient prélevées par des complices travaillant à la Régie de l’Opium, un organisme ayant le monopole du traitement et du commerce de ce stupéfiant. La France gagnait beaucoup d’argent en exploitant l’opium. Les impôts prélevés sur les transactions, représentaient quinze-pour-cent de la taxation coloniale. Il était normal, pensait Charles Arnulfi, que lui aussi, en gagne, à sa façon… Ne disait-on pas qu’en Indochine, tout était possible ? Depuis quatre mois, il s’était mit à chevaucher le dragon (13) et c’était Sao Maï qui préparait ses pipes. Il avait essayé une ou deux fois de s’acclimater à la fumerie Tran Duc, celle qui se trouvait au 224 rue d’Espagne, mais avait trouvé le lieu tellement glauque qu’il avait décidé de fumer chez lui, seul, ou accompagné de ceux qui partageaient cette étrange addiction. En quatre mois, Mireille avait été oubliée. Il avait décidé qu’il était temps de la faire venir à Saïgon, mais ne savait pas exactement pourquoi. Il avait souhaité une nouvelle vie, et c’était dans cette nouvelle vie qu’il se projetait maintenant. Il avait acheté une maison à deux étages rue Colombert, à deux pas du bâtiment des affaires civiles. Oui…Mireille…qu’allait-il pouvoir bien faire avec elle…Il faudrait trouver une solution, se préparer à une confrontation. « On verra » avait-il dit à Sao Maï, le soir où il lui avait avoué l’existence de l’ancienne prostituée qui était devenue son épouse.
(Le Palais du Gouverneur Général d'Indochine à l'époque de Mireille Catalano, la Môme Caoutchouc)
(Rue Catinat, Saïgon)
(La Régie de l'Opium, organisme Français ayant le monopole légal de la commercialisation de l'opium en Indochine)
Charles et ses caisses d’opium de 68 kilos, ses soirées planant sur les fumées de l’opium, ses disparitions également, certains soirs, alors qu’il franchissait la Rivière de Saïgon pour se rendre dans une maison close de An-Loï-Xa et goûter à une prostitution de bas étage, sans risquer de croiser des expatriés, qui préféraient la bonne compagnie des filles de Saïgon. Sao Maï supportait tout. Charles lui avait fait miroiter qu’un jour, lui et elle, partiraient sur un paquebot pour s’installer en France. Il ne savait pas où exactement ni de quoi il vivrait. Alors Sao Maï, la fille illégitime d’un planteur, s’accrochait à cet espoir.
Charles se rappellerait toujours ce moment. Le matin du 21 octobre, quelques jours avant l’arrivée de Mireille, et alors qu’il partageait un café dans le bureau du chef de cabinet Fieschi, le gouverneur avait fait irruption dans le bureau, ignorant totalement Charles, et annonça sobrement : « les Japonais occupent Canton » avant de retourner dans son bureau. Fieschi reçu l’information sans s’émouvoir. « Avec ce qui se passe en Europe, nous aurons la guerre dans pas longtemps, c’est certain, alors Japonais, Allemands, Chinois…ce n’est pas nous qui avons la solution… »
Odette de Neuflize, Zita Cunningham et Mireille Catalano, l’épouse de Charles Arnulfi ne se quittaient plus. Le Félix Roussel était entré dans le canal de Suez à Port Saïd et avait lentement parcouru les cent quatre-vingt treize kilomètres avant de faire une nouvelle escale à Suez. Mireille fut surprise. Elle s’attendait vraiment à ce que la mer fut rouge, mais garda pour elle son étonnement. En quelques jours, elle avait changé. Ce n’était plus Mireille Catalano, l’ancien tapin, l’épouse de Charles Arnulfi, dont elle ne savait finalement rien, c’était une autre femme. Elle avait rajeuni de dix ans. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour retrouver l’intimité avec Odette et Zita. Elle ne l’avait pas dit, mais elle se demandait vraiment si les trois femmes n’étaient pas faites pour vivre ensemble.
« Je me suis toujours demandé pourquoi nos routes s’étaient croisées ce jour-là à Juan-les-Pins » avait dit Zita en dégustant un single-malt au bar du Félix-Roussel
« On a souvent pensé à toi » ajouta Odette de Neuflize « qu’as-tu fait de ta vie ? où vas-tu ? pourquoi ?
Alors Mireille raconta…Madame Coste…la rencontre avec Charles…la maison dans le quartier le plus chic de Marseille…l’ennui…les longues journées seules…les affaires de Charles qui ne pourraient que le mener, un jour, sur le chemin des Baumettes, la sensation de s’être trompée, d’avoir fait les choses contre sa volonté…. Le soir était venu. Le soleil s’était couché, la salle à manger était pleine, de nouveau passagers ayant rejoint le navire à cette escale. Après le dîner, les trois femmes s’étaient calées sur le pont, dans de grandes chaises-longues en teck. Octobre n’était pas nécessairement chaud, alors une couverture de laine siglée avec les deux « M » des Messageries Maritimes, recouvraient les corps.
« Et vous deux, alors, où allez-vous, comment, pourquoi, et vos époux, la grande maison d’Antibes, vos parents nagent-ils toujours dans l’opulence ? Odette et Zita parlèrent, racontèrent, pour l’une l’ennui de vivre en Angleterre dans une famille de la bonne société, avec un père « conseiller spécial du roi George VI », et pour l’autre l’immense appartement Avenue Foch, les trois domestiques, la vie mondaine entre le 16 -ème arrondissement de Paris, Deauville, le Lac Majeur, Davos, Cannes et Antibes. Depuis que les deux femmes, amies depuis l’enfance, s’étaient retrouvées pour des vacances prolongées sur la côte d’azur, elles ne s’étaient plus quittées, elles ne pouvaient, en fait plus se séparer.
Alors le banquier De Neuflize avait fermé les yeux, et Edith Cunningham, la maman de Zita, pour qui le bonheur de sa fille comptait plus que tout, avait donné un accord informel au style de vie de sa fille unique « If all this makes you happy, who am to judge » (14) avait elle dit après un dîner dans la salle à manger de l’immense maison dont les fenêtres s’ouvraient sur Ovington Gardens, au cœur de Londres.
« Tu n'as qu’à aller apprendre le Français en Indochine » avait dit Arthur Cunningham, son père…
« Je pourrais t’initier aux affaires » avait suggéré à Odette, le baron De Neuflize, son père, à la tête d’une banque d’affaires. « Tu irais me représenter dans une plantation, pas loin de Saïgon. J’ai investi énormément dans cette entreprise…c’est loin, mais n’est-il pas temps que tu te familiarises avec le monde ? ».
Le banquier avait expliqué à sa fille qu’en fait, il était propriétaire de l’endroit, mais que pour des raisons fiscales, il avait dû utiliser un prête-nom. La plantation Carty se trouvait à Bien-Hoa, à 35 kilomètres de Saïgon. Le baron avait acheté 1050 hectares de terrain, sur lequel il avait planté des centaines d’hévéa sur une surface de 942 hectares… Emile Carty, l’homme de paille, employait soixante-dix-huit personnes…mais se faisait vieux…alors Odette avait dit, pourquoi pas, et Zita avait dit simplement « oui…, où tu iras, j’irai… ».
Zita avait fait ses valises, pris un train jusqu’à Douvres, un ferry-boat, un autre train de Calais à la Gare du Nord, à Paris, pour rejoindre Odette. En deux mois le projet de voyage était bouclé et les deux femmes, amoureuses comme au premier jour, avaient pris la route de l’aventure.
Mireille ne croyait pas à un « coup de chance » ou à un « hasard ». Elle avait au fond de l’âme une incroyable conviction que sa route était en fait toute tracée, et que les évènements qui se déroulaient devaient avoir été prévus par « le destin », qu’elle nommait ainsi, faute de mieux comprendre le pourquoi de sa vie. « Moi, l’ancienne prostituée, la fille de rien, j’ai eu cette incroyable chance de vous rencontrer en 1935, et de vous retrouver sur ce bateau…ne me dites pas que c’est le hasard … ! » avait elle dit à ses deux amies, lors de l’escale à Singapour, qui avait duré deux jours, le temps pour les trois jeunes femmes d’aller marcher en ville et de dîner à l’Hôtel Raffles. Dans la salle à manger, pleine d’officiers Anglais, et d’expatriés prenant du bon temps, les trois femmes avaient été placées par un maître d’hôtel Chinois, certainement complice, autour d’une table de hauts gradés de l’armée de sa majesté Britannique. Les avances n’avaient pas tardé, bien tournées d’abord, puis, au fur et à mesure des cocktails, de moins en moins élégantes. Zita éleva la voix et dit à l’attention des militaires proches, et des tables voisines : « We don’t like men…eat your food and don’t bother us anymore », elle avait ensuite pris le visage d’Odette, puis celui de Mireille, et avait déposé sur la bouche de chacune, un baiser qui ne laisserait aucun doute sur la réalité des arguments utilisés pour détourner les ardeurs des mâles en tenue khaki.
Elles étaient revenues à bord. Le navire devait lever l’ancre aux petites heures pour la dernière partie du trajet, 595 miles nautiques avant la fin de l’aventure ? Zita et Odette partiraient vers leur plantation et Mireille vers son mari ? Pouvait-il en être autrement ?
Bien avant son départ de Marseille, il y avait plus de vingt jours, Mireille avait réalisé qu’elle n’était plus la même. Elle n’avait pas voulu se l’avouer, mais elle redoutait une vie coloniale, la fréquentation de gens « biens », comme les appelait son mari, les obligations mondaines auxquelles elle serait soumise. Et que faire si elle ne s’adaptait pas, si la garrigue des environs de Marseille lui manquait ? Elle avait gardé le souvenir des promenades à La Treille…elle y avait même croisé un écrivain célèbre, admiré de tous, car il savait faire chanter le patrimoine de cette douce région. Le boulanger du petit village avait dit à Mireille : « c’est ton pays, il est né à Aubagne…Il vient parfois ici, il a des attaches… » La jeune femme avait aimé la simplicité de l’écrivain.
« Et si tu venais avec nous ? » avait lancé Odette de Neuflize lors du petit- déjeuner, « tu pourrais travailler à la plantation, j’aurai de toute façon besoin de quelqu’un de confiance… »
« Et faire quoi ? » avait répondu Mireille… » me faire entretenir par une femme, par des femmes, au lieu de me faire entretenir par un homme ? »
Mireille avait alors souligné qu’elle n’était qu’une ancienne prostituée, dépendante, incapable d’avoir sa vraie liberté…que pourrait-elle faire ?
Odette s’était mise à rire « et moi, je suis une bourgeoise prétentieuse, dépensière, et incapable de mettre un homme dans mon lit… » Les trois femmes avaient ri…
Il restait une journée et une nuit, puis un demi jour…Les trois amies avaient passé les heures suivantes à refaire le monde, à regretter le temps perdu, à espérer le bonheur.
Puis ce fut le dernier dîner, la dernière nuit sur le navire. Demain après-midi, le Félix Roussel remonterait à petite vitesse la rivière de Saïgon, pour aller accoster devant les bâtiments des Messageries Maritimes. Il y aurait débarquement, larmes, promesses de se revoir, qui ne seraient peut-être pas tenues… Il y avait des serrements de cœur, et déjà des regrets que la traversée n’ait durée que vingt-trois jours. Les trois femmes avaient passé une étrange dernière nuit, chacune sachant de son côté, qu’elles étaient faites pour vivre ensemble, aucune n’osant verbaliser leurs souhaits. Alors, aux petites heures, elles étaient sorties sur le pont, au lever du soleil, s’étaient allongé sur des chaises longues en teck. C’était Mireille qui avait pris la parole la première.
« J’ai bien réfléchi, j’ai encore l’âge de faire des bêtises. Je vous aime toutes deux comme je n’ai jamais aimé personne dans ma chienne de vie. Si vous m’acceptez dans votre nouvelle vie, je viens avec vous ».
La décision ne surpris pas Odette. « J’en étais sûre » … Zita eu du mal à cacher son émotion, et pris dans ses mains, les deux mains de Mireille en disant « How Odette…I love you too, darling… » (16)
« Mais, et Charles ? » s’inquiéta Odette…
« Il faut trouver un moyen pour qu’il ne me voit pas descendre… » répliqua Mireille. Elle sut tout de suite qu’il fallait qu’elle se déguise. Charles serait certainement présent au débarcadère. Elle devrait se mêler au personnel du paquebot, sortir, peut-être, par la porte de cale, au milieu des valises et des malles. Vite, trouver un uniforme…se déguiser en homme…en steward, en groom ?
En un éclair, Mireille revécu sa première journée chez Madame Coste. On lui avait prêté du linge, elle s’était habillée dans une sorte de vestiaire réservé au « personnel ». L’odeur des femmes lui revint en mémoire. « Le vestiaire de l’équipage … » dit-elle simplement. Elle partit vers sa cabine, laissant les deux amies interloquées. Vite, du rouge sur ses lèvres, refaire son maquillage sans excès, mais avec suffisamment de goût pour être attirante, trouver le vestiaire des marins du bord…et séduire. Elle n’arriva même pas au vestiaire. Elle avait à peine franchi une porte en métal épais portant l’inscription « Accès Interdit aux Passager » qu’une odeur de draps propres et de blanchisserie envahit ses narines. Il fallait improviser, profiter de l’heure du déjeuner…Alors qu’elle réfléchissait à une excuse pouvant justifier sa présence dans la buanderie du bord, cachée au public qui ne devait voir que le beau, le prestigieux de ce paquebot, Mireille avisa deux piles de linge, une pour les pantalons, une pour les vareuses. Les uniformes étaient pliés géométriquement. Dans la pièce suivante, elle entendait des voix. L’excuse pour sa présence était finalement toute trouvée, un besoin de rafraichir les vêtements qu’elle porterait lors de l’arrivée à Saïgon. Mais personne ne vint. « Même pas peur » se dit-elle…l’odeur de lessive était forte, la température devait avoisiner les trente-huit degrés.
A la gauche de Mireille, se trouvaient peut-être quatre cent paires de draps, des centaines de serviettes, des nappes…Si elle se faisait prendre, elle aurait affaire au commissaire de bord, et même si son statut de passagère de première classe la protégeait, la situation serait embarrassante…. Une vingtaine de secondes pour emprunter une vareuse après en avoir vérifié la taille, une trentaine pour choisir un pantalon et, juste avant de quitter le local, douze secondes pour prendre sur une pile une chemisette blanche. Soixante deux secondes pour changer de vie…c’était incroyable…c’était magnifique. « Ce doit être mon vrai destin » se dit-elle en se hâtant vers sa cabine.
Elle avait rendez-vous au bar à 14H30, avec Odette et Zita pour finaliser le « complot ». Le Félix Roussel était en ébullition. Il restait trois heures avant l’arrivée à Saïgon. Charles Arnulfi ne connaissait ni Odette, ni Zita. Il ne savait non plus rien de l’intimité qui avait, un moment, lié Mireille aux deux jeunes femmes de la « bonne société ». Odette et Zita savaient qu’un chauffeur de la plantation Carty viendrait de Bien-Hoa pour les accueillir à l’arrivée du Liner. Pour Mireille, il y avait un peu d‘incertitude, et beaucoup d’improvisation. Ne la voyant pas débarquer, Charles ne manquerait pas de contacter les Messageries Maritimes qui confirmeraient sa présence à bord…Elle essaya de ne pas penser aux conséquences de sa décision, une décision que Charles aurait certainement contrée. Alors que le Félix Roussel était entré, depuis trente minutes, dans la rivière de Saïgon, le cœur de Mireille s’était mit à battre très vite. Elle avait déjà fait ses adieux à Odette et Zita. Il n’était pas question que les deux femmes soient, d’une façon quelconque, associée au débarquement clandestin de Mireille Catalano, épouse Arnulfi, en uniforme de commissaire de pont adjoint. Mireille avait tablé sur l’agitation de l’accostage et du débarquement, pour passer inaperçu. Elle s’était cachée près de la soute à bagage dont les portes s’ouvriraient au moment ou le Félix Roussel serait immobilisé en face des hangars des Messageries, avant que l’on n’amène une rampe qui permettrait la sortie des bagages et du courrier. Dans le petit local qui contenait, en plus d’une lance à incendie reliée au réseau d’eau sous pression du navire, se trouvait un balai à franges, un seau métallique à la propreté douteuse, et un bidon en cuivre contenant ce que Mireille estimât être un produit détergent. Depuis le jour de sa première communion, il y avait au moins un siècle, Mireille n’avait sollicité ni Marie, ni aucuns saints, ni même l’éternel, dont elle ignorait s’il existait ou pas… C’est à Sainte-Rita, patronne des causes perdues, que s’adressa la prière de la femme en uniforme. Dans moins d’une heure, elle serait libre, avec un avenir, ou captive, avec des regrets, et une vie cloitrée pour tout horizon. Charles ne pardonnerait pas… Le Félix Roussel s’était approché doucement du quai. Les passagers s’étaient massés sur le pont. Il y avait des gestes de la main, des cris de joie, des mouchoirs agités, auxquels répondaient les familles et les amis venus accueillir le grand paquebot et surtout les voyageurs.
Nous t’attendrons le temps qu’il faudra, devant l’hôpital militaire, rue L’agrandirai, avait indiqué Odette, mais à minuit, nous devrons partir vers Bien-Hoa .
« Tu devras prendre un cyclo-pousse une fois que tu seras sortie du bateau. Baisse la tête en descendant par la passerelle, il y a tellement de monde que personne ne fera attention à un énième membre d’équipage tenant une liasse de papiers. Ton mari s’attend à te voir dans une robe de grand couturier, sortir avec les passagers de première classe. Il se focalisera sur les voyageurs qui sortiront du navire, pas sur le déchargement des bagages… »
Odette avait donné ces instructions comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfant, d’une partie de cache-cache. Elle se voyait déjà avec Mireille dans la voiture, sur la route menant à la plantation. Elle avait mis dans les mains de la « fugitive », un paquet de piastres. Elle avait calculé large. Il y avait de quoi payer le cyclo-pousse, dîner en ville, passer deux nuits dans un des hôtels qu’affectionnaient les expatriés. Les trois femmes s’étaient séparées un quart d’heure avant que ne soit lancée la première amarre, une fois le grand navire sagement positionné le long du quai des Messageries Maritimes. Odette et Zita avaient étés parmi les premières à débarquer. Le père d’Odette était un passager bien connu de la compagnie maritime. Au moment où se déroulait le débarquement, Mireille avait attendu que des porteurs Indochinois arrivent dans la soute pour commencer le déchargement des valises et des malles. Il y avait également une centaine de sacs de courrier. Elle en avisa un qui devait peser tout au plus une dizaine de kilos, le chargea sur son épaule gauche en maintenant la plus grande partie de façon à dissimuler son visage, et commença à marcher le long de la passerelle qui descendait vers le quai.
Charles Arnulfi avait réussi à convaincre Sao Maï…
Il lui avait fait miroiter une vie ensemble, un peu plus tard, quand un divorce aurait pris place. Il lui dit ses regrets d’avoir demandé à Mireille de venir le rejoindre. Alors, Sao Maï avait cédé et Charles l’avait installé dans un appartement de la rue de l’Amiral Courbet, pas très loin des magasins municipaux. Il y avait peu de chances de Sao Maï et Mireille, se croisent, Mireille ignorant l’existence de l’Indochinoise qui partageait depuis plusieurs mois la vie de Charles. Gestionnaire de son temps, il aurait tout loisir d’organiser sa vie entre les deux femmes. Y avait-il eu une vraie passion entre Charles et Mireille ? Combien de temps cela avait -il duré ? Un mois ? une semaine ?
Mais le plus préoccupant pour Charles, qui attendait de voir sortir du bateau son épouse Mireille, était son état de santé qui se dégradait, à force de pipes d’opium. Il était passé du stade de simple fumeur épisodique à celui de dépendant véritable, avec tous les effets secondaires que cela impliquait, sécheresse de la bouche, transpiration abondante, besoins fréquents d’uriner, démangeaisons cutanées.
Il se grattait fréquemment jusqu’au sang, ce qui, vu le climat moite de Saïgon, favorisait les infections. En dépit de cette dépendance à l’opium, Sao Maï s’était accrochée à cet homme, comme si elle voulait empêcher sa perdition. Plus d’un tiers des revenus de l’avocat était dépensé dans des officines spécialisées tenues par des Indochinois, ou des Chinois tout courts. Il y avait même un établissement, connu des voyous de Saïgon sous le surnom du « Petit Paris ». L’épouse du tenancier était une ancienne danseuse de cabaret reconvertie dans la comptabilité. Elle avait mis sur un meuble de la pièce d’accueil, une petite Tour Eiffel en laiton. « Comme cela, l’ai jour où j’ai du mou dans l’âme, je repense à ma vie d’avant…quand j’habitais le quatorzième arrondissement, du côté d’Alésia… » avait-elle dit à Charles, un jour, quand elle était en mal d’une épaule pour pleurer.
Les derniers passagers du navire descendaient doucement la passerelle déjà presque déserte. Un doute saisit Charles…et si elle n’était jamais partie de Marseille ? Il se rapprocha d’un agent de la compagnie qui vérifia que le nom de la passagère figurait bien sur les listes. « Vous ne l’avez simplement pas vu descendre » dit l’homme des Messageries Maritimes. Il invita Charles à aller l’attendre à côté du banc de douane, sur lequel se trouvaient encore de nombreux bagages. Les fonctionnaires Français faisaient ouvrir, au hasard, ou sur information, telle ou telle malle, tel ou tel carton à chapeau, même les sacs de courrier portant le sceau des Postes Françaises. Alors que l’entrepôt dans lequel se déroulaient les formalités finissait de se vider, la malle et la valise de Madame Arnulfi se trouvaient encore là, gardées par un porteur Indochinois. Le navire avait accosté il y avait plus d’une heure, Mireille n’était pas là…
Mireille Catalano avait marché droit devant elle. Elle avait déposé sur le sol le sac de courrier en se disant « ils le trouveront bien », enlevé rapidement l’uniforme d’officier de pont qu’elle avait emprunté à la buanderie, défait le lien en fil de lin qui avait retenu ses longs cheveux. Elle n’eut pas besoin de chercher longtemps pour trouver une porte. Dans un coin du bâtiment, une longue table sur laquelle se trouvaient des bols de riz à moitié vide, et de nombreuses théières en aluminium attira son attention. Une sorte d’ouverture rectangulaire avait été pratiquée dans la paroi du fond, juste derrière cette table. Elle s’approcha. Ce n’était pas une porte mais une sorte de passe plat suffisamment large pour qu’un homme puisse traverser d’un côté à l’autre. C’était par cette ouverture qu’arrivait à heures fixes, la nourriture des « coolies » (17). La petite porte en métal s’ouvrit sans grincement à la première sollicitation. Mireille se sentit envahi par un bonheur intense qui lui fit monter des larmes. Elle marcha alors sans hâte, vers la droite. Il y avait une sorte de rivière qu’elle longea en allant vers la gauche. Elle traversa au-dessus de l’eau. Devant elle s’ouvrait la Rue Pellerin. Elle avançait, comme dans un rêve, refusant de croire qu’elle était en train de modifier son destin, de changer de vie, de devenir libre. Au coin de la rue Pellerin et de la rue Lefevre, un homme maigre, juché sur un cyclo-pousse, la regardait avec un sourire. « Où allez-vous ? » lui demanda l’Indochinois. Mireille avait retenu l’adresse du rendez-vous. « Rue Lagrandière, devant l’hôpital militaire » indiqua-t-elle, en sortant quelques piastres de sa poche, qu’elle tendit aussitôt au cycliste.
Entre la rue Pellerin et la rue Lagrandière, il devait y avoir un kilomètre. Mireille s’était calée dans le siège recouvert d’une moleskine bordeaux. L’homme pédalait avec vigueur. Elle était à Saïgon, un autre monde, un autre continent. Les noms des rues étaient Français. Elle se sentait en sécurité. Combien de temps durerait sa liberté ?
Rue Lagrandière, une Renault « Nervastella » appartenant à la plantation Carty était garée sur le côté droit, en direction de la rue Catinat. Un homme en chemisette blanche et pantalon de lin gris fumait une cigarette, à côté de la voiture. On avait dû le prévenir. Il fit signe au Cyclo-pousse qui se trouvait encore à une trentaine de mètres. Les portières gauche et droite s’ouvrirent. Odette et Zita descendirent de l’auto, radieuses. Le cyclo-pousse s’immobilisa, Mireille en descendit, émue. Il y eut une étreinte, des larmes de soulagement.
« Je te présente Cao Minh » (18) dit simplement Odette, en désignant le chauffeur qui souriait à pleines dents. « Il t’aidera à t’habituer à la plantation, et à la vie à Saïgon. C’est un employé de mon père ».
« J’ai tout laissé au débarcadère, je n’ai plus rien, que des souvenirs…La vie est quand même pleine de surprise, à Marseille, on me surnommait « La Môme Caoutchouc », et voilà que je me retrouve en Indochine, en route pour une plantation d’hévéas… ! »
L’excitation du moment s’était maintenant dissipée. La grosse Renault Nervastella TG 2, suivait la route qui allait vers Bien-Hoa. Odette avait montré des photos de la maison de la direction, des photos des hévéas, des photos des coolies en train de pratiquer les saignées dans les arbres. Après soixante -dix minutes de trajet, pour effectuer une quarantaine de kilomètres, avec de nombreux ralentissements à cause de buffles qui revenaient des champs, les trois jeunes femmes étaient finalement arrivées à la plantation Carty. Le soir était devenu frais. Mireille s’était sentie légère après la douche. Pour la première fois de sa vie, elle avait marché, pieds nus, sur un plancher en teck. Elle en avait ressenti un incroyable plaisir. Elle savait qu’elle recommençait à vivre. Elle savait où elle passerait sa prochaine nuit…
Au dessert, Odette de Neuflize lui avait donné une enveloppe de couleur brune qui contenait, outre une importante somme d’argent lui permettant de démarrer une nouvelle existence, un contrat d’emploi en tant qu’ « administrateur associé », de la plantation Carty de Bien-Hoa. Elle ne connaissait rien à l’hévéa, à l’Indochine, aux chiffres, aux affaires. « C’est pour cela que tu n’es qu’associée » dit Odette en riant.
Le long de la Rivière de Saïgon, dans un entrepôt des Messageries Maritimes, la malle et les deux valises appartenant à Mireille Arnulfi étaient toujours sur le banc de visite des douanes, attendant leur propriétaire.
Charles Arnulfi avait partagé son inquiétude avec un commissaire de la Sûreté. L’avocat opiomane avait perdu beaucoup de son prestige, et ressemblait déjà à un vieil homme… Le fonctionnaire lui avait répondu sur un ton presque moqueur…. « Les femmes sont volages, mon cher Arnulfi…et si la vôtre avait rencontré un riche planteur ? que feriez-vous ? »
Le soir du 21 décembre 1938, alors que la douce Sao Maï lui préparait sa troisième pipe d’opium, dans le salon de sa maison de la rue Colombert, Charles Arnulfi s’envola pour toujours sur les ailes du dragon, victime d’un arrêt cardiaque.
La Môme Caoutchouc avait, pour toujours, retrouvé le plaisir d’aimer.
(1) Le quartier du Panier était un quartier proche du vieux port de Marseille, où se trouvaient de nombreuses maisons closes. Le Panier a été détruit par les forces d’occupation Allemande en février 1943.
(2) Le traité dit « des prophètes » était un accord entre les bandes maffieuses Marseillaise, consistant à officialiser la répartition du contrôle de telle bande sur tel quartier.
(3) Un train transportant 180 kg d'or est attaqué dans la banlieue de Marseille. Les gangsters sont arrêtés dès le 4 octobre
(4) Félix Roussel, avocat, journaliste et homme politique Français, président du conseil d’administration des Messageries Maritimes de 1914 à 1925
(5) La tenue traditionnelle portée par les femmes au Vietnam. Son histoire remonte au 17 -ème siècle
(6) Gabrielle Chasnel, dite Coco. Son nom a été modifié en Chanel. Elle était assise aux côtés de Jean Cocteau.
(7) Le menu est authentique, mais correspond à un autre navire, et vingt-cinq ans plus tard.
(8) Ecrivain Allemand du 19 -ème siècle
(9) Il s’agit d’une société anti-communiste mise en place en France dans l’espoir de créer une opposition structurée à la Société des Amis de L’Urss, une organisation qui soutenait le régime de Moscou. Son siège se trouvait 4 rue des Capucines à Paris.
(10) Avocat, journaliste et homme politique Français d’extrême droite, il sera commissaire général aux questions juives dans le gouvernement de Vichy pendant la deuxième guerre mondiale
(11) Authentique
(12) Etoile du matin
(13) Une expression authentique, bien qu’un peu ancienne, utilisée pour indiquer qu’une personne fume de l’opium.
(14) Si cela te rend heureuse, qui suis-je pour porter un quelconque jugement ?
(15) Nous n’aimons pas les hommes…Mangez votre nourriture et arrêtez de nous emm…..
(16) C’est magnifique, je vous aime aussi, chérie.
(17) Terme « générique » désignant un travailleur manuel, un porteur, plus spécialement dans un environnement Indien ou Extrême Oriental. Cette expression était encore utilisée couramment au 20ème siècle.
(18) Un prénom qui veut dire « grande intelligence »
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