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EVASION

  • Photo du rédacteur: Sylvain Ubersfeld
    Sylvain Ubersfeld
  • 23 sept.
  • 8 min de lecture

 



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Je ne le savais pas. J’étais amoureux de la ville. Je trouvais dans la présence de la statue du Lion de Belfort, un réconfort qui faisait du bien à l’âme, alors que j’ignorais même ce que pouvait être cette âme. Assis dans l’autobus 38 qui s’en allait vers le centre de Paris, ou bien revenait vers la porte d’Orléans, je regardais cette brave bête faite de plaques de cuivre repoussé, en me demandant à quoi pouvait ressembler ce Monsieur Bartholdi,  qui,  avait également crée une statue de la liberté, dont j’avais vu souvent des photos sur les images que l’on trouvait dans les tablettes de chocolat «  Menier ».


Je ne savais pas pourquoi j’aimais le silence et la tranquillité de ces petits coins du quartier. Moi, l’agité hyperactif, il me semblait trouver dans une promenade sans but, rue de la Saône, cité Hannibal, ou rue de la Tombe-Issoire,une sorte de béatitude des sens,  alors qu’on s’éloignait, mais pas trop, de mon royaume du 2 Rue Alphonse Daudet, au coin de la rue Sarrette, dans laquelle poussaient de braves tilleuls .


 J’ignorais, entre autres chose, la valeur du mot « amour », et je savais à peine celle du mot « attachement ».

 J’aurais eu bien du mal à définir cette curieuse relation qui avait surgi de nulle part et me tenait au cœur avec une grande douceur pour ne pas dire une grande bienveillance. Si j’avais été capable d’analyse, ma vie aurait peut être changé. A l’époque , des petits magasins tout simples, en fin de parcours pour cause de modernisation à tout crin , et de changement de mode de vie, jonchaient le trajet  de mes promenades en culotte courte.


L’épicerie Wilette, les Caves Saint Pierre, le chocolatier et confiseur Maradel, le marchand de couleurs Belvault, le magasin de Monsieur Kramer, l’alsacien rigide qui connaissait toutes les ampoules, et t’en parlait comme si ces boules de verre étaient des membres de sa propre famille. La curiosité, le pourquoi-c ’est-comme-ça, l’étonnement, l’excitation parfois. Les odeurs aussi…..celle de la bière brassée tout près de la maison, celle inoubliable de l’herbe mouillé par les arroseurs automatiques qui ponctuaient les pelouses du Parc Montsouris, entre les juin et les juillet, quand le ciel de Paris se faisait radin en nuages. Sept ans ? Huit ans ?   Etait-ce en mille-neuf-cent-cinquante-sept, ou cinquante-huit ? J’avais du apprendre a quitter ma ville régulièrement pour passer les fins de semaines dans une grande maison dite «  de campagne », au fin fond de la Brie, au milieu des herbes folles, et sous la protection d’un noisetier généreux et d’un marronnier vigoureux sur lequel on pouvait grimper en s’écorchant les genoux.


 Je le sais aujourd’hui, j’avais pris en grippe cette campagne qui me volait ma vile de façon hebdomadaire. Les arabesques des pavés en granit de l’avenue du Général Leclerc, que certains anciens appelaient encore avenue d’Orléans, étaient régulièrement remplacées par le goudron mal dégrossi de la petite route qui menait jusqu’à la ferme de Madame Leclère. Il n’y avait pas de statue de Lion, et la petite église de Guérard, un méchant bourg le long du Grand-Morin, avec son curé décati qui souffrait de  coxalgie , avait bien du mal à lutter avec la « Grande Eglise » Saint-Pierre de Montrouge, un édifice construit par Emile Vaudremer, incroyablement barbu, grand architecte sponsorisé par la ville de Paris.


Si à Paris, un Suisse précédait le cortège des officiants en fin de cérémonie, à Guérard, le vieux curé se trainait jusqu’à la grande porte en bois de l’édifice religieux, et serrait la main de quelques une de ses ouailles, qui se faisaient de moins en moins nombreuses au fur et à mesure des mois qui emportaient le temps, des crises cardiaques, des blessures de guerre, et aussi des exodes vers des coins moins paumés que ce fond de cuvette qu’était la bourgade.  Quitter Paris , régulièrement, dès les prémices du printemps, et jusqu’à un automne avancé, ne me laissait pas indifférent. Je n’avais pas besoin de la campagne. J’aurais très bien pu passer ma vie entouré de pierre ,dans la sécurité d’un immeuble parisien, protégé d’attaques imaginaires par quelques dieux tutélaires invisibles et une concierge acariâtre  qui maniait le balai avec autant de dextérité que D’Artagnan maniait son épée dans les films en noir et blanc que l’on regardait parfois à la télévision, ou bien que l’on allât voir au cinéma à un franc qui se trouvait rue d’Alésia.


Bref, j’aurais pu me passer des champs de blé, des immensités de maïs, des bêtes de ferme, des couchers de soleil en direction de Paris, du champ d’aviation qui alignait de petits avions d’un autre temps, et des planeurs d’apprentissage datant des années trente. Le départ de Paris, en fin de semaine, m’interpellait régulièrement. Je vivais cette séparation de quelques heures d’avec ma ville, comme une véritable épreuve, sans jamais  m’être interrogé d’ailleurs sur les raisons qui pouvaient me mettre subitement dans une sorte de manque difficilement compréhensible. Hors de la pierre, point de salut…Les périodes de vacances étaient pires….On m’enlevait mon métro qui faisait des étincelles, mes autobus avec plateforme et contrôleur à casquette, on m’enlevait aussi le vitrier itinérant , toujours en recherche de clients potentiels, qui déambulait dans le quartier avec son support à vitrage sur le dos, et dans sa sacoche, un diamant, et un paquet de mastic qui sentait bon l’huile de lin.


C’était la séparation, l’abandon, un départ la mort dans l’âme, avec des larmes dans les yeux, un chagrin qui avait besoin de soixante kilomètres pour s’apaiser, d’un heure et demie de voiture pour que l’espoir revienne, celui d’un retour vers «  ma » ville dans quelques heures, quand en fin de week-end se profilerait un trajet vers l’ouest, pris dans les embouteillages du dimanche soir. Je n’avais pas encore mis de mots sur le temps, sur la mort, la souffrance. Je vivais dans l’attente d’un prochain Noel, la hantise d’une prochaine Toussaint, les promesses d’une Pâque à venir, avec une poule en chocolat ou un lapin, qui viendraient de chez Vivier, le chocolatier de l’avenue de Châtillon.

Du règne animal, je savais peu de chose, hormis les pigeons gris qui constellaient la cour de l’immeuble d’incroyables déjections qui rongeaient le zinc, et les vaches de Madame Leclère qui produisaient le lait du dimanche matin, mais ne justifiaient pas à elles seules, à mon avis, de délaisser Paris pour retrouver la maison de campagne qu’il fallait « ouvrir » en arrivant pour la « refermer » le lendemain ou le surlendemain…


Et puis il y avait eu cette étrange transformation, cette mue, cette vieille peau emportée par le temps, aidée par plusieurs coups de vent, et tout avait foutu le camp….Les dieux tutélaires n’avaient laissé que des souvenirs flous, j’avais été rassasié par ma ville, mon Paris n’avait plus grand-chose à m’offrir parce que lui aussi avait mué en même temps que moi, et qu’à force de parcourir ses rues au lieu d’aller me cultiver dans les meilleurs écoles, les facultés formatrices, j’avais tant cheminé dans les coins les plus improbables de la capitale, que j’avais assouvi toutes mes faims, étanché toutes mes soifs.


La campagne m’avait tout simplement pris à son charme. Sans explications, sans mots, à peine avec quelques odeurs, quelques sons envoûtants, comme le bruissement des peupliers, le chant du hibou, le pépiement des hirondelles, l’appel des vaches à l’heure de la traite dans la vieille étable de Madame Leclère avec ses murs centenaires recouvert de chaux.

J’avais fait la paix avec les rosiers qui te piquent les doigts si tu t’approches d’eux sans délicatesse, j’avais signé un pacte de non-agression avec les orties qui te brulent tes jambes en culotte courte, et j’avais apposé mon nom au bas d’un pacte de non-agression avec tous les orages à venir, demain et après-demain.

 

En échange, pour me montrer que la campagne et la nature avaient compris le message, j’avais reçu une flopée de cadeaux confirmant que j’étais le bienvenu entre les champs de blés du plateau et les rives du Grand Morin. Il y avait eu l’odeur du foin coupé, celle de l’ensilage de maïs, et celle, puissante, qui me faisait chavirer le cœur, de la laine des moutons, ces aimables bêtes dont je ne savais si elles étaient promises au couteau du boucher ou aux mains expertes des tondeurs.

Loin derrière moi étaient parties les Pâques avec recherche des œufs dans les coins secrets du jardin ,loin derrière moi étaient partis les noëls intimes, les toussaints froides, les fêtes de la victoire avec leurs cortèges de morts, leurs vieux hommages en ferraille oxydée, encore plus loin étaient parties  les rentrées scolaires de septembre, avec leurs craies, leurs tableaux noirs, les cartes murales qui t’enseignaient les rivières, les département, le B.A BA de la vie d’adulte , cette vie d’adulte qui n’avait pas manqué de me choper par le col, et de me faire tournoyer comme personne sur cette terre n’avait pu tournoyer, depuis l’histoire du père Adam.


Quand ma vie professionnelle me le permettait, je m’échappais. Tout commençait par un hot dog avec de la moutarde, une envie irrépressible de retrouver ce goût qui, dans mon imaginaire, et sans savoir pourquoi, était associé à la liberté et au voyage. Gare de l’Est, j’embarquai sur un train du quotidien, un machin pour banlieusards, avec banquettes en bois. Je m’imaginais en route pour Vladivostok, sur les rails de la découverte….Deux jours pour aller jusqu’à Moscou, après on verrait bien…..La banlieue était grise, même les jours de grand beau temps, et alors que mon esprit était déjà à la fenêtre d’un convoi imaginaire, pour admirer les méandres de la Volga, mes yeux se fixaient sur un imbécile Noisy le Sec, un sordide Chelles-Gournay, un stupide Lagny-Thorigny….alors le train ralentissait en arrivant à Esbly.


Il y avait cette incroyable moment, cette délicate transition. De Parisien, tu allais devenir Briard, en quelques tour de roues, par la grâce d’un vieil autorail qui avait dû faire tant de kilomètres que même son moteur ne s’en souvenait pas.


On passait de l’horrible et décevant profane, au plus délicat d’un sacré dont on savait qu’en douze minutes et neuf kilomètre, il allait te remettre l’âme à l’endroit, te rendre tes couleurs, panser les blessures de ton quotidien.

Ce que certains appelaient « Micheline », ayant oublié ou n’ayant jamais su ce qu’était le légendaire moyen de transport ferroviaire sur pneus, n’était en fait qu’un simple autorail, habillé d’une livrée rouge et blanche, condamné à une navette entre Esbly et Crécy-la Chapelle.


Cinquante voyageurs ?

Le conducteur de la machine était perché dans une petite excroissance dans le toit, d’où il pouvait voir la voie. La meilleure place pour rêver était à l’avant, sur une des deux banquettes dans le sens de la marche. Je n’aurai jamais cédé ma place à quiconque, et avant même les premiers tours de roue, je savais déjà le plaisir intense que serait celui de voir les rails se dérouler sous les roues du «  bolide » que ne pouvait jamais dépasser les cinquante kilomètres heures, tant les quelques arrêts étaient proches les uns de autres. A la fin du parcours, alors que l’autorail ralentissait, dans de grands craquements des pignons et de l’embrayage, la petite gare de Crécy-la-Chapelle, à six kilomètres de la maison de « La Ronce », se rapprochait, jusqu’à l’arrêt complet à quelques mètres du butoir de fin de ligne.

Alors, l’esprit apaisé, le cœur nourri d’avoir vu les rives du Grand Morin aussi proches de la voie de chemin de fer, je pouvais, en descendant du convoi, poser un pied, puis l’autre, sur le quai de cette petite gare d’opérette, en me disant : enfin….je suis chez moi….. !

 

© Sylvain Ubersfeld pour Histoires d’U

 

 
 
 

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