ETAT DES LIEUX
- Sylvain Ubersfeld
- il y a 12 heures
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Je ne suis pas un homme de foi. Je ne dis pas je ne suis « plus » un homme de foi.
Tout est dans ce « pas ».
Et pourtant, j’en ai eu à la pelle des crèches de Noel, des œufs de Pâques sur fond d’herbes mouillées, et de gigot d’agneau, pauvre agneau. J’en ai mangé, du pain béni dans la petite église de Guérard, avec son curé qui souffrait d’une coxalgie non soignée, et qui se trainait de l’autel jusqu’à la porte du bâtiment, une fois l’Ite Missa Est digéré par les fidèles, pour serrer la pince aux notables du coin, habituellement des anciens combattants qui ne tarderaient pas à passer l’arme à gauche, et souvent l’âme chez Satan qui n’existait pas, mais dont il fallait quand même se méfier, par précaution.
Le pain béni avait goût de brioche. Je m’étais pris à espérer que se renouvelle régulièrement cette sympathique initiative, mais j’avais rêvé…
En hiver, lorsque le poêle à fuel de l’église Saint Georges ronronnait dans un espace « raccourci et limité » par de grandes bâches en toile, histoire de garder les fidèles au-dessus des quinze degré du reste de l’église, je m’endormais régulièrement, essayant parfois d’imaginer ce Jésus sur sa montagne qui avait parlé aux foules. La montagne ? Comme à Wengen ou à Lenk ? Avec de la neige ? T’es con quand t’es gosse. La crèche, les roi-mages, la myrrhe, l’encens, l’or, le dimanche des rameaux, la descente du Saint-Esprit qui ne s’était certainement pas posé sur moi car j’étais au commencement d’une vie de rébellion, d’outrage, j’avais un peu de mal, mais éducation oblige, je pense que j’avais fait semblant d’y croire. En fait, je n’avais rien contre Dieu, ni contre Bouddha, Mahomet, ou le père Antoine (1) qui avait sa propre église dans le treizième arrondissement de Paris, aux limites de mon royaume du Quatorzième arrondissement, le seul, le vrai, qui méritait d’être habité, où ne vivaient que des « gens bien », dont mes parents.
La grâce ne m’avait pas touché, elle avait dû foutre le camp dès qu’elle avait réalisé le genre d’oiseau que j’étais. « C’est un bon à rien » avait-elle du se dire lors de la rencontre du troisième type, dont je ne me souviens d’ailleurs pas. Elle avait dû prévenir le « Bon Dieu » de ne pas perdre son temps éternel avec moi, et d’utiliser ce qu’il avait d’énergie pour ensemencer des esprits plus fertiles que le mien.
Alors, si Dieu marchait de son côté en gardant peut-être un œil sur ce petit con qui était en train de mal tourner, je n’avais ni rien vu, ni rien entendu. Je m’étais aperçu que je pouvais adorer d’autres « choses » qu’un esprit qui m’assénait son mutisme en retour de la moindre prière qui ne se réalisait bien sur pas. T’es con quand t’es ado. Alors j’avais su qu’il me faudrait avancer en développant d’autres croyances qui m’allaient bien , un autre catéchisme différent de celui du « patro », chez les cœurs vaillants, quand avant de commencer à nous taper sur la gueule pour des broutilles, nous hurlions, rangés en file dans la cour, la devis du mouvement : « à cœur vaillant rien d’impossible ».
Curieusement, j’étais à l’aise dans un église, dans un temple protestant, une pagode bouddhiste, comme on voyait dans Tintin et le Lotus Bleu. La foi, Dieu, des concepts que je ne maitrisais pas. Croire parce qu’on t’en a parlé, croire de façon définitive, sans le moindre doute, quelle approche admirable dont moi, je n’étais pas capable, mais à laquelle il me plaisait de réfléchir régulièrement, apportant à chaque fin de réflexion des réponses systématiquement différentes de la fois précédente. La foi m’avait ignoré, je l’avais méprisé, mais ma peine pour ce pauvre curé de Guérard était bien réelle. Je l’avais pensé homme de bien, j’avais espéré que « Dieu » le guérirait afin d’atténuer ses souffrance, et lui permettre de dire ses messes dans avoir le visage tordu par la douleur.
Le brave homme méritait sans doute autre chose, comme destinée, Dieu aurait du le savoir.
La messe du dimanche matin interrompait les jeux de guerre avec le petit voisin, dont les parents, athées, lisaient l’humanité. Quand, le dimanche, vers onze-heures-et-demi, alors que la sainte-cérémonie dominicale était déjà à mi-parcours, ma mère m’appelait pour partir vers « la maison du seigneur », j’en aurai pleuré de frustration. La maison du Seigneur ? C’était qui ce seigneur ? Jésus, celui qui marchait sur les eaux du lac de Tibériade, au pied du plateau du Golan, ou l’autre, que j’imaginais barbu, probablement bienveillant, mais que j’avais du mal à différencier d’un Odin, d’un Kami Shinto, du « YHWH » dont parlait mon brave père, qui faisait depuis longtemps office du mécréant du couple parental, et laissait à ma mère la lourde tâche de se sanctifier en son nom tandis qu’il restait à la maison, sur un vieux fauteuil de jardin aux élastiques distendus, et rendait grâce à sa façon en tournant vers le ciel sa peau cuivrée qui venait de l’est.
Ce mécréant, qui était une sorte d’idole, un totem indéboulonnable, roi du « Domus » du 2, rue Alphonse Daudet, disait souvent avec un regard malicieux, qu’un de ses ancêtres avait été conçu sur la selle de cheval d’un notable turco-mongol. Cela expliquait sa capacité pigmentaire à colorer en brun, dix fois plus vite qu’un autre, cet homme de non-Dieu, et à le transformer en mannequin bronzé pour revue de mode masculine.
Alors, tu comprends, passer du temps dans une église refroidie, au milieu de grenouilles de bénitier qui crachaient sur leur prochain pendant la semaine, et venaient , le dimanche, se faire pardonner leurs mauvaisetés avec promesses de paradis à l’appui et amour de Dieu en prime, ce n’était pas vraiment fait pour lui.
Je n’avais pas encore compris quelle était son histoire, que son parcours passait par l’aventure des douze tribus d’Israël et que ses racines, comme son aventure personnelle, avaient changé le cours de sa vie d’une façon tellement définitive que même un Dieu, Odin, un Kami Shinto, Brahma, Vichnou, ou l’aimable père Antoine, n’auraient jamais pu remettre de l’ordre dans son existence, lui redonner un vrai goût à la vie, une chance de croire à quelque chose, ou plutôt à quelqu’un.
La foi ? Inconnue au bataillon.
Ceux qui croyaient ne me dérangeaient pas. Il y avait tant d’églises dans les villes ou les villages que nous traversions en partant en vacances… Messe du dimanche, pater noster, ces gens-là étaient des croyant de bon aloi, des serviteurs de la religion, des gens braves, des gens sérieux, des gens différents, des adultes matures, qui avaient sans doute des raisons de croire.
La foi ?
Elle avait sans doute autre chose à faire, et n’avait pas tapé à ma porte. Dieu non plus, sa troupe d’anges, sa hiérarchie céleste, archanges en tête de vol, avaient foutu le camp à tire d’ailes, de leurs grandes ailes dont on retrouvait la notion dans l’ancien comme dans le nouveau testament, un signe certain d’un lien historique entre les époques.
Sans foi, ni loi d’ailleurs, le rebelle que j’étais avait pris goût à quelque chose qui n’avait rien à voir avec la foi, ou bien un quelconque Dieu. Curieusement, pour moi, le divin dépassait Dieu, Vishnou, Yhwh, Odin et tout le tremblement d’un mythologie grecque ou Romaine. Je ressentais des trucs, des machins, des sentiments inexplicables sur lesquels je n’arrivais pas à accrocher une étiquette, avec une explication ad-hoc en pénétrant dans une église romane qui avait survécu aux siècles, une chapelle Melkite, un monastère Orthodoxe. Les rites des chrétiens d’Orient me fascinaient, j’étais ébloui par les icones Grecques, envahi par une sorte de zénitude en traversant, d’est en ouest, le cloître du plus pauvre des couvents , ou du plus humble des monastères qui se fut trouvé sur mon chemin.
Il s’ancrait en moi, à chaque fois, une sorte de plénitude dont je ne savais ni le nom, ni d’où elle venait, et jusqu’où elle pourrait m’emporter.
Il me semblait que les murs de pierre suintaient d’émotions passées que je percevais d’origine humaine. La force des anciennes prières ? La sincérité de l’engagement des religieux qui avaient vécu entre les murs?
La foi, moi ? Certainement pas, et pourtant, même aujourd’hui, pétri de doutes que je suis, pas plus cultivé qu’il y a soixante ans, j’attends avec impatience le moment où, au hasard qui n’existe pas, d’une promenade à Salon de Provence, je pourrais, dans la plus incontrôlable des émotions, le plus incroyable des moments suspendus d’une vie qui s’étiole, retrouver un peu de ce moi-même, que je ne connais pas, au pied du tabernacle de la synagogue……
Va savoir, Charles…on ne se refait pas….
Mais Dieu n’avait rien à faire là-dedans, la foi ne me guidait pas dans ma découverte, ni ne me donnait de conseils sur telle ou telle façon d’appréhender ce que je voyais. La foi n’avait jamais atteint son but. J’étais une terre sèche, des cailloux, un peu de glaise, et encore, il fallait chercher longtemps pour la trouver, cette glaise créatrice, qui aurait pu être malléable sil elle n’avait été déshydratée. Et pourtant, l’encens me transportait, pas celui des petits bâtonnets qui viennent d’Inde ou d’Asie, non, celui que j’allais cherche en secret de moi-même dans un magasin « spécialisé » dans les fournitures liturgiques, avec les petits disques de charbon, et l’encensoir presque en « religieux », dans le sixième arrondissement de Paris, un coin de de la ville où foisonnaient les congrégation missionnaires préparant leurs aventures Africaines. Mettre le feu au charbon de l’encensoir, voir grésiller les grains d’n encens Sainte -Anne, Jérusalem ou Padre Pio, devenait un acte magique, quand la fumée m’expédiait directement à Capharnaüm , Bethlehem ou en Galilée.
La foi n’avait pas étendu ses ailes au-dessus de moi, c’était sûr, et pourtant j’avais créé avec quelques Saints, des liens particuliers. Moi, le sans Dieu, j’avais construit, avec ces privilégiés de l’Aventure, des relations presque émotionnelles, qui, honteusement presque, devaient me permettre dans les situations les plus désespérées, de trouver une issue bénéfique aux soucis les plus envahissants.
Il y avait cette sorte d’affection « terrienne » pour Giovanni Bernardone, l’homme d’Assise, celui même qui parlait aux animaux, cet « Alter Christus » dont l’esprit envahissait le couvent des Franciscains de la rue Marie Rose, où ma mère, qui n’était je pense ni bigote ni sainte, aimait à se retrouver quand l’Eternel le lui suggérait. Elle appelait les religieux « mes petits frères » avec dans la voix, une grande tendresse. Il y avait aussi cette Marguerite Lotti, cette Sainte Rita censée apporter de l’aide en cas de causes perdues. Mais peut-être ma cause à moi, quand le ciel m’est tombé sur la tête, ne valait-elle pas le coup d’être prise en compte……ou bien avait-elle trop de travail à ce moment précis, même si j’ai souvent marché dans la restanque, en invoquant mille fois son nom, espérant que le facteur qui apportait les commandements des huissiers, et les sinistres nouvelles de la Banque de France, casse sa pipe avant d’arriver à la maison.
La foi a peut-être, pour un temps, cheminé à mes côtés, j’en doute. Ma voie était probablement autre.
Voir l’infini au bout d’un champs de blé, là où les têtes des épis semblent toucher le ciel, regarder la tourterelle se poser sur une branche de saule, sentir l’odeur d’un cheval, caresser un mouton, plonger le regard dans celui d’un chien pour lui faire passer des messages, voilà de quoi étaient faites mes certitudes, voilà de quoi est faite ma foi.
Respirer l’odeur du feu de bois, sentir celle qui envahit la chapelle de la vierge noire aux Saintes Maries de la Mer, respirer la sève chaude des pins, humer les fraises de juin qui brûlent presque, sous le soleil, lécher une cuiller d’un pesto fait maison, tenir un nouveau-né dans les bras ,sentir son odeur, attendre de voir, ou non le fameux rayon vert, manger un litre de parfait au café, voilà de quoi est fait mon divin, ma transcendance.
Tu vois, je vais pas déranger la Foi pour si peu, et Dieu encore moins, et quand parfois je me dis : « fais gaffe, mon gars, le sapin se rapproche, tu devrais peut-être mettre de l’ordre dans tes affaires », alors je fais le ménage dans ma tête, je m’invente des regrets qui ne mènent à rien, et que je chasse du bout des phalanges en les jetant sur du papier, je verse de fausses larmes pour faire comme si je regrettais, tout en sachant que les jeux sont fait, les dés jetés depuis longtemps, et que, même si j’implore la bonne Sainte Rita, le bon Saint-François, et même le « Bon Dieu », si d’un coup de baguette magique la foi venait faire un tour jusqu’à Miramas, et réussissait, par un miracle divin, à se glisser entre ma cage thoracique et mon cœur, il serait quand même un peu tard, tu crois pas ? Cette arrivée miraculeuse, dans mon univers cette venue « magiquement céleste » ne m’empêcherait pas de partir pour mon long voyage, en temps et heure, une fois la cire de la bougie épuisée, de s’être trop longtemps consumée.

Quitte à ce qu’il y ait un miracle, je préfèrerais qu’au cours d’une nuit sereine, un type, éventuellement barbu, avec une auréole sur la tête, vienne me dire que tout va bien se passer, et que Saint-Pierre ne fera pas de « Rébecca » (2) pour m’ouvrir la porte.
(1) ANTOINE Louis Joseph (Père ANTOINE)Il est aussi appelé Antoine le Guérisseur, Père Antoine ou le Père. Il est connu comme guérisseur et initiateur du Culte Antoiniste.
(2) (Argot) Résister ou causer des troubles.
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