Erik partait toujours là bas en marche arrière. Son père haïssait Wagner, Erik, lui, aimait Schubert, Beethoven et Bach. Il aimait aussi Felix Mendelssohn depuis qu'il avait appris que le grand père du musicien était rabbin. A chaque fois qu'il mettait un pied à Francfort, à Berlin, à chaque fois qu'il ouvrait un journal Allemand, dès qu'il commandait une "Bitburger" ou un Beck's, Erik ressentait un certain malaise avec lequel il avait appris à vivre. Jamais même il n'aurait pu passer Niederkirchnerstraße , dans la capitale Allemande, car il savait que l'ancien nom de cette artère était Prinz-Albrecht-Straße et que c'était, dans les années sombres, la sinistre rue ou se trouvait le siège de la plus redoutable entreprise de terreur qu'ait jamais connu le monde.
Avec les mois qui passaient, Erik avait appris à faire des compromis.Il avait compris que tout n'était pas à jeter, alors régulièrement il passait des soirées chez Meier Gustl, une étrange "Bierhaus" où des téléphones sur les tables permettaient de communiquer anonymement avec d'autres tables, il mangeait souvent au Baseler Eck sachant que le Schweinshaxe était toujours au menu, et qu'il retrouverait au bar ses copains de l'air, ceux qui partaient pour l'Asie, revenaient de l'Est, rentraient le lendemain aux Etats-Unis ou se glissaient en Amérique Latine d'un simple coup d'aile au-dessus de l'Atlantique.
Plus tard, il avait même été jusqu'à s'extasier devant l'organisation et l'efficacité Allemande à l'occasion de passages réguliers au "Napoléon", un club de la Hanauer Landstrasse.
Quand il eut assez des grands hôtels internationaux,Erik se dit qu'il était temps de sortir des sentiers battus. Curieusement, il avait porté son dévolu sur l'Hôtel Dreesen. Il prenait un train qui suivait les courbes du Rhin, fermait les yeux quelques instants et terminait finalement dans l'établissement historique. Le fait même qu'un petit caporal moustachu responsable de la deuxième guerre mondiale y ait fait plus de soixante-dix séjours,ne le dérangeait pas . Ce qu'il aimait par-dessus tout, c'était les planchers en bois dans la salle à manger, l'odeur de la cire, l'atmosphère d'ordre de bon aloi et surtout cette proximité avec l'eau qui émerveillait toujours Erik. Le Rhin était plus propre que la Seine ou que la Tamise. Assis à la terrasse du Rheinhôtel Dreesen, Erik aurait presque admis l'existence, à quelques mètres de lui, de Wellgunde, Flosshilde et Woglinde, qui gardaient certainement un énorme tas d'or au fond de la rivière...
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