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BREIZH IZEL

  • Photo du rédacteur: Sylvain Ubersfeld
    Sylvain Ubersfeld
  • il y a 4 jours
  • 11 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 1 jour


 

Les petits personnages de pierre du calvaire devant l’église Saint-Jacques de Loc



quirec, devaient avoir bien froid.


Nous avions ouvert la vieille porte en bois, et découvert l’intérieur du bâtiment endormi dans un silence profond, troublé seulement par le bruit du vent. Combien de trinités ? Combien de Pâques ? Je devais être petit. Une vague odeur d’encens,  tranchait avec les effluves de mer qui traversaient le village de part en part. Presque devant l’autel, une veille femme, au visage fripé, aux mains tordues par l’arthrose, égrenait un chapelet de buis. Ses prières n’étaient pas compréhensibles. Une étrange langue.. Nous n’existions pas, elle était absorbée dans ses litanies ; Une coiffe blanche, si blanche, raide sur la tête, une vêture noire, elle était immobile, on voyait que ses yeux fixaient un point, peut être la petite veilleuse à côté de l’autel ? J’étais plus intéressé par la maquette de bois qui représentait un bateau de pêche, comme j’en avais vu en arrivant dans le village, en passant devant le port. Il y avait également une vierge en bois, avec un gentil sourire, qui tenait un tout petit enfant qui avait un regard d’adulte.  Nous n’allions pas en Bretagne….Aller en Bretagne aurait voulu dire que nous ne savions pas exactement où nous allions. Nous allions à Locquirec, chez une des nombreuses «  cousines » dont le lien avec ma mère était , de toutes façons, un mystère. Je savais qu’elles avaient des souvenirs communs de leur vie « coloniale », et certains dîners, en regardant la mer, tournaient autour des leurs enfances en Egypte, un pays qui m’évoquait les Pharaons et le dieu Horus sur lequel mon frère savait tout. 


Le ciel gris d’avril allait bien avec la couleur du granit. On sentait les maisons bâties pour résister aux assauts des grains. En Bretagne, il n’y avait pas de tempête. Ce que l’on appelait ouragan à Paris, se transformait en un simple grain, dans ce Trégor que je découvrais du haut de mes neuf ou dix ans .

Anne de Bretagne ? Je ne connaissais pas, de même que j’ignorais qu’avant son rattachement à la France, la Bretagne  était un duché. Je ne connaissais que la république, la France hexagonale, j’ignorais l’Histoire.


Mais le coup de foudre était bien là. Le ciel gris d’ici avait du caractère, pas comme le ciel gris de Paris, celui qui faisait pisser les immeubles entre le 2 Rue Alphonse Daudet, et l’école de la république, où j’écrivais à la plume sur des cahiers à lignes. Le gris, le vent, ne m’inspirait pas de tristesse, ou de vague à l’âme. Cela faisait partie de l’endroit. J’étais bien dans ces coups de boutoir du Noroît (1) ou du Kornog (2), j’étais bien dans cette pluie traversière qui frappait le clocher de l’église Saint-Jacques. Dans les rues étroites, les passages, le chemin du tour de pointe, qui passait devant l’Ile Verte, les rares promeneurs de ces journées pascales, engoncés dans des lainages, luttaient contre un vent fort comme un bœuf, qui faisait courber les immortelles sur les petites dunes de sable qui bordaient la plage de Pors-Ar-Vilec. Il y avait un curieux drapeau, un assemblage de noir et de blanc, qui n’avait rien à voir avec le drapeau Français, encore une confirmation, pensais-je, que nous étions à l’étranger. 




Pour venir jusqu’à ce bout du monde au bord de la mer, il fallait prendre un train qui partait de la gare Montparnasse. Une partie de la ligne était électrifiée, mais à partir du Mans, on devait changer de locomotive. Une énorme machine à vapeur, dont l’équipe de conduite avait le visage couvert de suie, acheminait le convoi jusqu’à Brest.

Le voyage se terminait, pour nous, à la gare de Plouaret, la porte d’entrée ferroviaire pour ce coin du Trégor, ou il faisait bon changer d’air.


Gris des maisons, gris souvent aussi de la mer, on arrivait en face de la baie de Locquirec, par un autre village qui s’appelait Plestin. On savait que quelques minutes seulement nous séparait de Pors-ar-Vilec, là où il faisait bon rêver le soir, en regardant l’horizon se confondre avec l’océan .

La maison ? Une grosse bâtisse des années trente, construite sur un terrain qui dominait les vagues et les rochers déchiquetés qui te coupaient les pieds quand d’aventure ta méchante sandale en plastique ou ton espadrille glissait sur un varech ou une mousse verte.


Des rochers qui abritaient de petites mares dans lesquelles des crabes timides ou des vagues poissons brun clair, tout petits, faisaient régulièrement l’objet de pèche miraculeuse à l’aide d’épuisettes aux mailles tellement permissives que les prises ne restaient captives que quelques secondes, le temps de nous donner l’illusion d’une victoire.


La maison était chauffée grâce à une cuisinière à charbon, un monument des années folles, qu’il fallait allumer le matin, et qui ronronnait toute la journée pour chauffer la demeure, produire de l’eau chaude, et permettre à la brave Corentine, de cuisiner pour nourrir la tribu d’envahisseurs de Pâques, puis, plus tard, des juillet et des aout. Pas très loin du port, une petite boutique vendait de rares articles de plage, à une époque où le tourisme balnéaire se concentrait sur les régions plus chaudes de l’hexagone. On y trouvait des pelles de plage en métal, avec manche en bois, une ou deux cannes à pêche, et surtout des billes en argile, peintes de couleurs vives, qui faisaient fureur dans la cours de récréation, quand je reprenais la classe après les congés. Les «  autres », avec leurs billes en verre, ouvraient de grand yeux : » où t’a trouvé ces billes ??? » demandaient-ils, alors, fièrement, je répondais : «  En Bretagne, c’est très loin d’ici, il y a aussi des statues en pierre, des femmes qui portent une coiffe blanche, et des marées »….





Le coup de foudre, c’était aussi la plage du port, surtout quand, à marée basse, on pouvait voir les petits bateaux de pêche reposant sur leur flanc, faute de mer pour les maintenir à flot. Je n’avais jamais vu cela. De temps en temps, le soir, on nous amenait à l’hôtel du Port, « histoire de sortir après-dîner ». Pendant que les parents buvaient un thé, nous écoutions religieusement un chanteur du nom de Guy Béart, dont le disque 33 tours, tournait sur un électrophone portatif, pour créer de l’ambiance . Pendant que nous parlions en Français, de vieux pêcheurs, casquette vissée sur la tête, devisaient en Breton. Je les voyais, parfois, assis sur un banc, à côté du môle, le regard perdu, la vareuse raidie par de vieux sels. Il y avait ce fameux rituel du « tour de pointe », une excuse pour sortir de la maison et retarder autant que possible l’heure du coucher. Une promenade de huit-cent mètres, qui te faisait passer en surplomb de la mer. La meilleure heure était celle où le soleil disparaissait, jetant dans le ciel de fabuleux orange qui devenaient rouge. On revenait de la courte balade ivre de grand air, avec des morceaux de chardons sur les chaussettes, car bien sûr, il était plus amusant de grimper à droite du chemin, pour dominer d’encore plus haut cette mer qui entourait la pointe en question. Un curieux vaisselier trônait dans la salle à manger, que l’on appelait « lit-clos ». Il s’agissait d’un véritable lit, à la mode de Bretagne, qui avait été remanié par un menuisier, et contenait une pléthore d’assiettes en faïence fabriquées à Quimper, ornées de dessins à la main représentant des Bretons ou des Bretonnes, en habit. Tout cela était d’un incroyable merveilleux, alors qu’à Paris, dans mon royaume de la Rue Alphonse Daudet, nos assiettes étaient ternes, tristes, et sans âme. 


Notre hôte, ancien député qui avait renoncé à l’hémicycle, n’était pas Breton, mais il avait été perméable à la magie des coucher de soleil sur la baie de Lannion, aux odeurs du port, au mouvement des marées. Il était pêcheur quelques fois par an, et parcourait avidement l’horaire des marées que l’on pouvait trouver dans l’édition de Morlaix du journal « Ouest-France ». Il disparaissait parfois en pleine nuit, ou au petit  jour, et rejoignait son bateau et son maître-pêcheur, un certain Jean-le-Saux, un sacré taiseux, et les deux hommes quittaient le monde des terriens pendant que la marée le leur permettait, ne revenant qu’à la marée remontante, avec ou sans pêche miraculeuse, qui, le cas échéant, serait prise en charge par la bonne Corentine qui transformerait le congre , le rouget ou le loup de mer, en soupe épicée servie avec des croutons et de la rouille (3) faite maison.




Pas loin de la maison du chemin de la pointe, à quelques minutes en dehors de Locquirec, se trouvait un petit hameau de quelques fermes qui, disait-on, n’avaient pas changé depuis l’époque de la duchesse Anne. Le sol des fermes était en terre battue, l’eau se puisait dans le jardin, et, merveille, les fermiers dormaient dans un « lit-clos », un vrai meuble à deux places, qui conservait la chaleur des dormeurs, comme il préservait leur intimité. Etions-nous venu chercher des artichauts ? des pommes de terre ? acheter du cidre fermier ? Je ne sais plus, tout ce dont je me souviens est cet émerveillement devant la simplicité du lieu et les animaux de ferme qui évoluaient dans la basse-cour et semblait trouver tout ceci à leur goût. Si la fameuse «  côte d’azur », prisée pour son soleil, vers laquelle nous faisons route régulièrement, me mettait mal à l’aise sans savoir exactement pourquoi, j’avais, en Bretagne, dans ce coin du Trégor, l’impression d’être envahi par un grand bien-être. Aucune foule, aucune presse, la vision d’un horizon qui s’enflammait le soir, m’apportait un grand sentiment de douceur, quelque chose qui ne passait pas par les mots, mais que je pouvais toutefois ressentir, alors que je n’étais seulement pas loin de mes quatorze ans.  Les conversation, à table, étaient toujours les mêmes, et les points de vue s’affrontaient. La guerre d’Algérie alimentait les conversation, l’OAS, les attentats, et un certain Monsieur Bastien-Thiry, dont certains disaient que c’était un héros, et que d’autres appelaient une crapule. Nous, les enfants, écoutions sans rien comprendre. Je pensais au sable, aux marées, aux crabes, à l’odeur du varech. Je me hâtais de finir mon repas, pour aller retrouver les mouettes, sur la plage de Pors-Ar-Vilec, de grandes mouettes qui te regardaient d’un œil intéressé, espérant un quelconque morceau de pain que tu aurais détourné de la table. Parfois, cinq ou six d’entre elles, alignées, face à la mer, semblaient méditer, alors que le vent faisait voleter les plumes du cou.


Alors, soudainement, le monde était parfait.  J’avais développé une sorte de culte numérique pour le chiffre 29, celui des plaques d’immatriculation qui identifiait les habitants de ce Trégor (4). Pour moi, il ne pouvait y avoir de Bretagne que dans le Trégor. Les « autres » n’étaient rien du tout, même si je savais qu’il y avait une Bretagne dite «  du sud », un mot qui évoquait un pseudo soleil qui, soi-disant, inonderait les plages du côté de Saint-Pierre et Quiberon. Traverser la Bretagne, pour se retrouver dans un coin où je n’avais pas mes attaches, était une épreuve. Faute d’avoir le choix, je faisais contre mauvaise fortune, bon cœur, même si je savais que les quelques heures passées en dehors de Locquirec, n’étaient que du temps perdu. L’agitation qui régnait sur les plages du Morbihan, m’attristait au plus haut point. Je n’avais alors qu’une hâte, retrouver au plus vite « ma »Bretagne, celle des coups de vent, celle des balade au fond de la baie, à la recherche de coques, celle de la petite église Saint-Jacques, dont le clocher dominait le petit bourg. Parfois, après le diner, une fois épuisés les sujets qui fâchaient, les arguties qui mettaient de l’électricité dans l’air, et faisaient grincer des dents, les adultes de la famille, souvent assis autour d’une table à jouer, commençaient un « bridge » qui durait des heures. Alors, entre deux attaques, un petit chelem, et un honneur (5), les souvenirs de la deuxième guerre mondiale refaisait surface . Ma mère évitait sagement de parler du premier mari de la tante  Odile (6) pour ne pas lui rappeler un deuil dont elle ne s’était jamais remise, et ma tante Marcelle racontait, encore une fois, le départ des oncles Gerard et Jean, depuis Locquirec, pour rejoindre les Forces Françaises Libres en Angleterre, après plus de vingt heures d’une navigation hasardeuse (7). Mais il y a déjà longtemps que nous étions couchés…




Les années étaient passées . J’avais appris la légende de l’hermine Bretonne (8), je m’étais attaché à ce « Gwen Ha Du » (9), évocateur pour moi de moments de bonheur dans un paysage qui me plaisait ,et que je visitais régulièrement. J’avais aussi appris le triste exil des Bretons vers Paris, et celui, encore plus difficile, de Bretagne vers les Etats-Unis.


Il y avait eu l’école de voile, les dessalage sur fond de mauvaise manœuvre, le sel sur la peau, que l’on conservait presque pieusement, en jouant au marin, pour se prétendre des hommes. Il y avait eu aussi Catherine F., qui avait une maison de vacances pas loin de la nôtre, et que je n’avais jamais réussi à emmener en mer, sur le «  470 » dont je m’étais intitulé «  capitaine ».

Pendant les séjours du mois d’aout, une sorte de rituel se mettait en place, dans la grande salle à manger de la maison de Locquirec. Année après année, nous espérions tout voir le fameux rayon vert, (10) alors les «  grands » s’asseyaient à table face aux trois fenêtres qui donnaient sur la baie, tandis que les enfants, malchanceux, devaient s’asseoir en tournant le dos au couchant. Après le fromage, et avant le dessert, le silence se faisait, un silence quasi religieux, et tandis que le disque rouge plongeait derrière l’horizon  de Roch Gouliad (11)  tout le monde attendait le fameux éclair, que personne ne verrait, bien sûr, jamais.




Et puis venait l’odieux moment des départs…

 

Alors, pour sentir que je ne partais jamais vraiment, et savoir que je reviendrais toujours, je mettais, dans un petit tube en verre que j’emportais avec moi,  fermé par un bouchon de liège volé sur une bouteille de cidre, une pincée de sable de la plage de Pors-Ar-Vilec, et trois fleurs d’immortelles…

 

MIRAMAS Mai 2025

 

 

(1)    Vent du Nord-Ouest


(2)    Vent d’Ouest


(3)    La rouille, est une sauce provençale à la fois épicée et douce qui accompagne, en plus des croûtons et du gruyère râpé, la soupe de poissons. Elle a la consistance d'une mayonnaise ferme. La rouille est très appréciée pour accompagner la soupe de poissons ou la bouillabaisse. Ce n’est donc pas, en soi,  une sauce d’origine Bretonne.


(4)    Le Trégor (en breton : Bro-Dreger) est une ancienne division administrative et religieuse constituant l'un des neuf pays de Bretagne. Situé dans le nord-ouest de la Bretagne, entre la Manche et les monts d'Arrée, il comprend la partie nord-ouest du département des Côtes-d'Armor et une petite partie du nord-est du Finistère, jusqu'à la rivière de Morlaix. Les villes principales sont LannionMorlaixPerros-GuirecGuingamp et Tréguier, qui en est la capitale historique.


(5)    Voir glossaire du bridge https://fr.wikipedia.org/wiki/Glossaire_du_bridge


(6)    Décès du lieutenant de Vaisseau René Paul Emile COURGEY, époux d’ Odile  Beyssier qu’il a épousé avant-guerre, arrêté par la Gestapo au début de 1943 alors qu’il tentait de franchir les Pyrénées pour rejoindre l’Angleterre Il est fait prisonnier et déporté en Allemagne au Camp de Buchenwald, puis à celui de Lublin en Pologne où il trouve la mort le 15 mars 1944 ,alors âgé de 36 ans. Le 19 mars 1947, il est nommé à titre posthume Chevalier de la Légion d’honneur.


(7)    " Le REDATAO, cotre de 5,60 mètres, parti le 28 avril 1943, avec cinq évadés, par mer formée, vent force 6/7, arrive à Plymouth après 24 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jean-Pierre Mercier : Jean Braouezec, Henri de Bire, Yves Gourvil, Jean-Pierre Mercier et Gérard Mercier firent la traversée"


(8)    La légende raconte qu'Anne de Bretagne fait de l'hermine son emblème suite à une partie de chasse. L'animal est acculé par les chiens devant une mare de boue et préfère se laisser dévorer, que se salir. Voyant cela, la duchesse décide de le gracier.


(9)    Né il y a cent ans de l'imagination de l'architecte moderniste, militant breton et membre du courant artistique des Seiz Breur, Morvan Marchal, le Gwenn ha du (signifiant “blanc et noir” en breton) est inspiré du drapeau américain. L’ancien drapeau Breton, lui, le «  Kroaz Du » est moins connu du «  grand public »


(10)Le rayon vert flash vert ou encore éclair vert, est un photométéore rare qui peut être observé au lever ou au coucher du soleil et qui prend la forme d’un point vert visible quelques secondes au sommet de l’image de l’astre tandis qu’il se trouve en grande partie sous l’horizon. Un tel phénomène peut également être observé avec la Lune


(11) Un point spécifique  situé à quelques encablures de Pors-ar-Vilec

 
 
 

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