AMOR,VERUS...!
- Sylvain Ubersfeld
- il y a 5 heures
- 10 min de lecture

Non….., je n’avais pas été touché par une quelconque « grâce » animalière. Aucun Saint-Bernard ne s’était présenté à moi avec un tonneau de rhum suspendu à son cou, aucun Labrador ne m’avait apporté un quelconque Evangile des Chiens dédicacée par Saint-François d’Assise, pas un Akita-Inu ne s’était allongé auprès de moi en me regardant dans les yeux pour découvrir mes pensées les plus profondes ou mes secrets les plus odieux.
La grâce ? Je ne connaissais pas….. comme dieu, d’ailleurs, ou satan, ou ceux qui te balançait du pêché dès que tu voulais vivre différemment des autres…Des conneries, tout ça. La grâce n’avait rien à voir la dedans…
« Ce sont des bêtes, elles n’ont pas de sentiments »…On m’avait menti pendant des années, depuis l’enfance jusqu’à la moitié de ma vieillesse, je ne croyais plus à la bonté des hommes, je ne croyais pas encore à la complicité des bêtes….
Ce n’est pas un truc que tu peux t’ expliquer avec des mots de tous les jours, des mots qui ressemblent à des mots, avec définition exacte dans le Petit Robert, ce n’est pas un truc qui arrive tous les jours, tu vois….
Je pense que cela a commencé il y a une trentaine d’années, plus peut-être. Je n’y avais jamais prêté attention, je n’avais jamais mesuré le bonheur ,que je n’appelais pas encore bonheur, qui se glissait en moi, comme une sorte de récompense, comme une sorte de bien-être, de façon légère imperceptiblement, et avait commencé à grignoter mes défenses, sans que je ne m’en doute.
Je crois que cela avait démarré par le regard d’un chien croisé dans le rue, à Paris, dans mon royaume du quatorzième arrondissement, un chien d’une lignée de chiens communs, même pas un Jack Russel, un Golden retriever, ou bien un Corgi, mais un simple chien poussiéreux dont le poil était blanchi par endroit, et qui était étendu au soleil, un soir de juin, sur les marches d’une blanchisserie-repassage, une petite boutique miteuse de la rue de la Sablière, pas loin de l’avenue du Maine, une petite rue de rien du tout qui débouchait dans la rue des Plantes, pas loin du magasin « Afric Music », là où j’avais découvert la musique Cubaine.
Les jets de vapeur qui sortaient du magasin ne semblaient pas le déranger. Il devait avoir l’habitude. Son regard disait tout, sans rien dire. Il avait suffi de quelques secondes, de deux ou trois mouvements de ma main, et de sa tête et nous avions fusionné. Il y avait eu une sorte d’attirance magnétique, une espèce de besoin d’amour que j’avais ressenti de façon fugace, tant pour lui donner, que pour en recevoir, et qui avait été assouvi en un éclair, au travers du regard de ce petit chien, ce petit cabot de rien, qui m’avait donné en quelques secondes, ce que j’attendais, sans le savoir, depuis de nombreux mois. Le hasard d’une rencontre ? Je n’y croyais pas….
Oui, cela peut semblait tout con, mais c’est vrai, du moins je crois. Je n’avais jamais été vraiment attiré par les animaux. Ils avaient leur vie, moi, la-mienne. Et puis, sans doute inconsciemment touché en profondeur par ce regard, je m’étais ouvert doucement à la gent animale, et rapidement, en croisant un chien en laisse, je sentais venir en moi cette attirance qui n’avait rien à voir avec une quelconque curiosité, mais relevait plutôt d’une sorte de besoin d’échanger une énergie, d’établir un contact ; un flux immatériel me liait pendant quelques secondes à l’animal, à qui je donnai, à chaque rencontre, à chaque croisement dans la rue , le surnom générique de « mon doux », une expression qui me faisait plaisir de prononcer….plaisir ? Non, en fait c’était du grand bonheur, mais comme je n’avais jamais connu cela, je n’avais pas posé tout de suite un nom sur ce « phénomène » inconnu jusque-là. Je m’étais surpris ensuite plusieurs fois, à me retourner sur tel ou tel chien, suivant docilement un « maître » ou une « maîtresse » . Il y avait dans nos échanges furtifs, une sorte de langage qui voulait dire plein de choses, tant j’en avais gros sur le cœur, et tant le ou les chiens avaient, eux aussi, des choses à me dire, sans paroles, sans aboiements, un clin d’œil d’affection que je ressentais au plus profond de moi.
Aucun chien n’avait besoin de me parler, il suffisait de se regarder pour se comprendre. Bien sûr, quand les « autres » riaient, je rentrais dans ma carapace en me disant « je m’en fous, ce qui compte c’est leur regard ». Personne n’aurait pu comprendre. Je n’étais pas un homme à chien de luxe, ce qui comptait, c’était surtout ces quelques secondes magiques au moment du croisement, c’était aussi ces rares moments ou ma main se posait sur la fourrure de l’animal, pour sentir la chaleur, et essayer de transmettre mes sentiments par la biais d’une caresse du bout des doigts ou à pleine paume. Je me faisais plaisir, je me créais de l’émotion, ce n’était pas calculé, c’était rapidement devenu un besoin vital, un automatisme que me voyais accoster les maîtres pour me rapprocher de l’animal. Et puis, une fois l’habitude installée, une fois le curieux protocole d’échange de regards incrusté dans mon quotidien, le besoin semblait avoir disparu.

Il avait fallu plusieurs dizaines d’années pour que ce besoin réapparaisse . Je n’aurais jamais cru être un jour envahi par des sentiments que je ne pourrais pas ou plus contrôler. Les graines avaient laissé place à des racines, les racines à des arbustes, les arbustes à des arbres gaillards, qui me poussaient à l’intérieur du corps, volant la place à des organes pourtant eux aussi en recherche d’espace pour jouer leur rôle. Les arbres avaient fait des bourgeons, les bourgeons avaient donné des feuilles persistantes, chaque feuille portait en elle un besoin de proximité avec tel ou tel animal , et comme les feuilles ne tombaient jamais des arbres, le besoin s’était transformé en besoins, en nécessité, en passion, et puis tout le règne animal s’était installé dans mon intérieur, sans que je m’en doute, même si je soupçonnais que, quelque part, tout cela n’était pas très normal, pas très humain…
Alors que j’étais capable de supporter les images les plus tragiques, les plus traumatisantes, des journaux télévisés qui te décrivaient de façon graphique, les horreurs les plus détestables produites par le genre humain, j’étais devenu incapable de supporter une quelconque souffrance animale, une quelconque injustice, la vision d’une cage, d’une laisse, le moindre sentiment de privation de liberté, une liberté que j’étais bien incapable de décrire , mais que me semblait être un droit inaliénable, surtout pour les animaux. J’étais horrifié par la souffrance et dévasté par la tristesse de savoir cette souffrance infligée par l’homme.
Il y avait eu une grande vague, partie de très loin, une vague qui avait commencé à prendre de sa force il y a très longtemps, et qui avait déferlé sur les rivages de ma conscience une fois passé le cap de la soixante-dizaine, une vague qui avait presque mis à bas les garde-fou de la simple raison.
Alors soudainement, j’avais maudit les empereurs Chinois et leurs oiseaux en cage, ceux qui aveuglaient les rossignols, les mangeurs de chiens ou de chat, les chasseurs d’Ivoire, les braconniers de gorilles, les imbéciles safaristes qui posent devant la dépouille d’un pauvre lion, ceux qui enchaînent les éléphants, les tueurs de cailles à coup de fusil du dimanche matin, les dépeceurs de cerfs, les bouffeurs de biches, les éleveurs industriels de poulets en cage, ceux qui se chient dessus à force de proximité imposée avec des congénères. J’avais détesté, avec force et mépris, ceux qui imposaient de lourdes charges aux petits ânes de Jerusalem, sans l’élémentaire souci de leur bien-être, j’avais pris en horreur les manipulateurs de ces bâtons qui portaient des coups sur de pauvres animaux, j’avais haï tous ceux qui se vengent de leurs propres colères sur les bêtes, une façon tellement inique de se débarrasser de la rage qui habite souvent les hommes.
J’avais aussi caché au fond de ma mémoire, cette terrible soirée au cours de laquelle un automobiliste passant devant la maison, s’était laissé surprendre par la présence d’une biche sortant du bois, et, n’ayant pu l’éviter, l’avait grièvement blessé. J’avais vu les yeux suppliant de l’animal, incapable de comprendre ce qui lui arrivait. Il avait fallu trouver une « bonne âme », un chasseur, qui vienne rapidement achever l’animal. Le coup de feu m’avait brisé le cœur. J’étais envahi par un sentiment profond d’injustice. Je ne savais pas pourquoi…… et puis il y avait ces étranges souvenirs d’un job de prime jeunesse, dans un abattoir de Seine et Marne….des centaines de cochons en une semaine, une détresse horrible, une tristesse insondable qui m’avait habité pendant des mois, avant de disparaître, sans disparaître….
Ce n’est pas au cours de mes voyages que cette vague a dévasté mon rivage, élagué l’arbre de mes certitudes, mis à bas les échafaudages d’indifférence bâtis depuis l’enfance. Les voyages auraient pourtant dû former ma jeunesse, mais ma jeunesse était trop occupée à découvrir le monde . Je n’avais plus le temps d’apprendre autre chose. Le seul souvenir que j’avais d’un quelconque émoi lié à un animal, était une improbable rencontre avec un tatou, un « armadillo », dans la banlieue d’El Paso. Alors que j’avais été surpris par la présence d’un animal que, dans mon ignorance crasse ,dans ce moment de surprise, je qualifiai de « préhistorique »,j’avais appris que sa présence et celle de ses congénères faisait partie du quotidien des Texans. J’avais été indifférent à la vue des lamas d’Amérique Latine, celle des ours d’Alaska, ou des lynx de Finlande. Seuls, avaient trouvé grâce à mes yeux, les gentils lémuriens des forêts Malgaches, et les Coatis roux des forêts tropicales d’Amérique du Sud. J’avais l’amour sélectif, à la façon d’un humain qui préfèrerait les femmes blondes et ignorerait les brunes.
Il avait pourtant suffi que j’abandonne la ville, et que le moment soit venu. Il fallait que mes repères aient changé, et que mes besoins aient évolué. Cela s’était fait sans hâte, sans questions, d’une façon si naturelle que je n’avais rien vu venir, rien senti, rien anticipé.
Et puis, il y avait eu les oiseaux….
Le rouge gorge tenu dans la main après qu’il se fut écrasé sur la vitre de la véranda, mon sauvetage réussi, son envol au bout d’une heure, les tourterelles qui se cachaient dans les branche du grand pin de Joseph, le républicain un peu anarchiste, qui fabriquait lui-même son pinard, les petits faucons crécerelle , dont je savourais la présence, eux qui se perchaient régulièrement sur les poteaux des clôtures agricoles, ces clôtures qui empêchaient le bétail de courir à sa perte sur les routes goudronnées de Vendée, inconscient du danger. Les veaux de quelques heures me comblaient de bonheur, je me sentais proche , j’avais ce curieux et tout nouveau sentiment d’avoir quelque chose à partager avec eux. Si pendant ma carrière j’avais eu l’occasion d’effectuer des transport dit « animaliers », à travers le monde, je n’avais développé aucune affinité avec ces êtres sur quatre pattes, que nous chargions à Billund, au Danemark, pour les amener jusqu’à Harbin, en Chine, ou au Koweït. Une naissance en plein vol, ne m’avait pas ému, et les moutons chargés à Chypre, pour être convoyés jusqu’à Dubaï, en vue d’une « exécution capitale » sur base de fête religieuse, m’avaient laissé indifférent à leur sort.
Et le temps avait passé….et je m’étais mis à trouver du réconfort dans le regard des ânes ou des chevaux, croisés ici ou là ,au détour d’un chemin, en haut d’une colline, avec en fond de paysage un coucher de soleil ou une aube d’automne, et toutes ces rencontres m’avaient changé, mais bien sûr, je ne le savais pas encore.
J’avais un jour plongé la main dans la vêture profonde d’un mouton, cette laine envahie par les impuretés du quotidien, la terre, les déjections, les herbes parasites , les épillets stupide qui se logent où ils veulent et créent des amas énormes de poils qu’il faudra couper. J’avais été au plus profond, jusqu’à sentir sous le bout de mes doigts la peau de l’animal, et, en ressortant ma main du court trajet dans la laine imprégnée de suint, je m’étais souvenu d’un autre mouton, en Irlande, auquel j’avais emprunté quelques boucles souillées, pour épater à l’époque ma compagne de voyage. L’odeur de la laine était la même qu’il y a quarante ans, ma mémoire l’avait enregistré, et sagement placé sur une étagère réservée aux senteurs, et j’avais aimé cela, comme on aime sentir une rose, une fleur de tiaré, une branche de thym ou de chèvrefeuille. J’avais caressé des chevaux, entre les deux yeux, en murmurant des trucs stupides, du style : « mon amour, mon amour, mon amour…que tu es doux » et à chaque fois, j’avais eu l’envie incontrôlable de leur ouvrir la porte vers la vraie liberté, les délivrer de cet emprisonnement entre quatre fils électrifiés. J’avais parlé aux vaches, aux cochons, aux couvées.
Mes constructions en bois de récupération, que j’affublais du nom de « maison » m’avaient fourni l’occasion de découvrir les petits écureuils qui descendaient des arbres, curieux de déguster le menu du jour, quelques noix épluchées avec soin, des céréales volées dans une boite de muesli, des fruits secs.
Alors, je m’étais interrogé …. Pourquoi….. ? Pourquoi avais je dû attendre si longtemps ? Pourquoi cet amour devenait-il maintenant envahissant ? Pourquoi avais je la larme si facile devant les découvertes du mal être animal, des mauvais traitements ? Pourquoi ces moments de tristesse profonde quand d’aventure je croisais le regard d’un cheval en fin de potentiel, d’une vache en route pour sa fin de vie, d’un cochon promis au couteau ?
Je m’étais vu démarrant une quelconque thérapie chez un psychiatre de secteur 2, pas un psy de bazar, fonctionnaire d’un quelconque CMP. J’aurais pu lui raconter ces folies qui m’habitaient, ce besoin de sentir près de moi un chien, un chat, un furet, même. Il en aurait fallu, des boites de Kleenex, des questions indiscrètes, qui me renverraient vers des bas-fonds émotionnels mal fréquentés…
Elle ou lui, m’aurait pris quatre-vingt-dix euros à chaque séance, sans m’apporter de réponse, puisque mon cas, dès le départ, était désespéré. Peut-être aurait il fallu que je justifie pourquoi j’aimais le chant de la tourterelle, celui du mystérieux coucou, le ronronnement d’un chat, le regard interrogateur d’un chien, qui aimerait aller, avec toi, plus loin qu’une simple caresse machinale sur un museau doux comme la soie. Comprendre m’avait paru une tâche plus ardue qu’accepter que tout était bien, que c’était dans l’ordre des choses, alors j’avais renoncé.
Au revoir Sigmund Freud, adieu Elisabeth Kübler, Il m’avait fallu admettre l’existence d’un lien mystérieux, un truc qui devait être un « fil d’argent »… Un vague instinct me faisait dire que ce que j’aimais , chez les animaux, était probablement leur innocence, le fait qu’ils n’avaient pas, comme l’homme, des envies destructrices., mais je n’étais même pas sûr que cet « analyse » ait un véritable sens. Alors, j’étais resté avec mes questions, mes besoins, mon vague à l’âme sur fond de vache en transit vers la mort….Il fallait simplement accepter ce bonheur ponctué de coups de folie, de dialogues muets, peut être même de séparation. Je n’étais pas misanthrope, même si, de confiant envers les humains, j’étais devenu suspicieux , mais il m’avait fallu tellement d’années pour réaliser que j’avais été bien naïf en croyant à une quelconque bonté naturelle de l’espèce humaine.
J’étais devenu une éponge, les animaux étaient ma famille, leur mal être était le mien, leur mort était ma souffrance, avec les vraies larmes d’un vrai chagrin, leurs inquiétudes déteignaient souvent sur moi et me déchiraient l’âme en laissant des graves et profonde blessures qui, à chaque fois, mettaient de longues semaines à cicatriser.
J’avais acheté au marché de Noel d’Istres, un bracelet fait de petites pierres, et qui devait agir comme une éponge à émotions à condition de le porter en permanence. Alors, de courses en siestes, de jardinage en promenades de chien, mon bracelet , et ses petites pierres m’avaient accompagné sur mon poignet droit.
Seules, les émotions reliées aux humains s’étaient atténuées.
Alors j’avais compris que les bêtes resteraient à mes côtés jusqu’à mon dernier souffle.
Miramas, Juin 2025
© Sylvain Ubersfeld pour Histoires d’U
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