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ADIEU GEORGES





J’étais arrivé au logis du Moulin Neuf le dimanche soir sachant que les trois jours suivant seraient durs à vivre car j’allai me séparer de ma Vendée, de cette terre sur laquelle j’avais reconstruit un semblant d’équilibre. Curieusement, cette aventure avait commencé au Moulin Neuf, notre première nuit en Vendée en 2018, elle allait logiquement s’achever au même endroit, le temps que la maison se vide complètement, que les souvenirs se décollent des murs, que les petits nichoirs que j’avais confectionné s’endorment jusqu’au printemps, que la mémoire collective des poules, se fasse vite la malle, pour ne pas rester coincée entre quatre murs de pierre. Le Moulin Neuf ? Une boite à séminaires d’entreprises, deux étages dans un endroit improbable à côté d’un grand lac et d’un plus petit dont la vision modulait le prix des chambres, un truc où tu oublies tout dans le silence de ce coin de Vendée, entouré d’arbres qui te rappellent les contes de fée. Il avait fallu être pointu sur la logistique. Tu ne mets pas cinq ans en boites de carton comme tu te débarrasserais d’un sac de recyclables.  Il n’y avait d’ailleurs rien à recycler…..puisque la maison avait été vidée de sa vie et que du jour où Muriel avait franchi pour la dernière fois le seuil de la véranda de verre, l’âme de La Boutetière avait foutu le camp. C’était palpable, c’était attristant, c’était vrai, c’était un point final dans cette aventure Vendéenne. Je m’étais souvent demandé pourquoi j’aimais tant cette terre sur laquelle je n’avais auparavant jamais vécu. Il m’avait fallu du temps pour comprendre que c’était son authenticité qui m’avait séduit, son histoire, son vécu, et peut être aussi l’esprit de rébellion qui avait fait des vagues au moment d’une certaine révolution Française. Il n’y avait rien d’autre, même si , au fond de moi, je savais que les oiseaux de ce coin de Vendée, du simple rouge-gorge, au faucon crécerelle , mangeur de rongeurs, avaient joué un rôle dans la construction de ce lien entre les champs et moi, entre le ciel et mon quotidien, entre mes outils et mes mains. J’avais compris qu’il ne pouvait y avoir de suite à ce séjour magique, suspendu entre l’Atlantique et l’Anjou. Il avait été difficile de «  faire avec », et j’avais mis du temps à accepter ce changement qui me bouffait des pieds à la tête en passant par le cœur. Alors, j’avais cédé, m’en remettant simplement à ce qui devait être, suivant ainsi le conseil de ma sage compagne, et j’avais foncé dans la tourmente, sans gloire, sans prendre même le temps d’avoir des regrets car je savais que si je regrettais, les larmes se mettraient à couler, et j’avais déjà versé trop de larmes…

« On va chez Clémenceau » avais-je dit en 2018, lors de notre départ de la petite maison de la Seyne sur Mer, aujourd’hui, c’était plutôt «  adieu Georges », adieu au grand homme qui dormait à Mouchamps, à un jet de pierre de mon royaume de La Boutetière.

Nos voisins étaient des nobles aux  habitudes et à la rigueur toute royaliste. Nous avions découvert leur monde fermé avec étonnement, nous qui ne connaissions que la République, Marianne, Jules Ferry, et les surprises-parties de nos dix-huit ans. Leur monde était plein d’interdits, de particules, de blasons magnifiques aux couleurs chatoyantes, avec parfois de l’or, de l’argent, des hures de sanglier, des chevrons de vermeil, des lunes, des soleils, du mystère.



Il y avait eu l’aventure des poules, une floppée de gentils animaux qui me montaient dessus quand je m’asseyais sur le petit banc en bois fabriqué de bric et de broc par mes mains malhabiles, et posé à même la terre pas loin du poulailler. Il y avait eu aussi la découverte de la fabrication des nichoirs, des habitations pour oiseaux du ciel, et qui avaient abrité des familles nombreuses de mésanges, si promptes à se contenter de peu pour se poser et pondre de tout petits œufs qui donnaient naissance à d’affreux oisillons qui réclamaient leur pitance toute la journée. Il avait fallu emballer tous ces souvenirs dans du papier bulle, tirer un trait sur l’odeur du feu de bois autour du poêle, occulter la vision du château de la Boutetière en hiver, oublier les palanquées de hérons blancs qui se posaient sur les champs non loin de la maison, remettre sur les étagères de l’Histoire l’épopée de la guerre de Vendée, Turreau contre Charrette, entre vingt mille et cinquante mille personnes massacrées au nom d’une liberté, d’une égalité, d’une fraternité, qui étaient aujourd’hui encore bien mal assurées, et portaient parfois à sourire.


Le Moulin Neuf….vite, réveil, tasse de café dans le petit jour qui avait du mal à pointer son nez, il fallait récupérer chien et chat à la pension de Mouchamps. En route pour l’aventure…..

Quel incroyable bordel….des agriculteurs, des hommes durs à la tâche, méprisés depuis si longtemps, avaient décidé de faire valoir leurs revendications. Les autoroutes étaient fermées, bloquées, inaccessibles, et le trafic habituel qui empruntaient ces voies capitales s’était reporté sur les routes nationales. Adieu donc plaisir des kilomètres défilant, une main posée sur le volant, cruise control enclenché. Le plan « B » ? Traverser la France du nord au sud via Clermont-Ferrand….Quelle erreur grossière…

J’avais déjà traversé Vichy, avec son cortège d’histoires sombres qui ressortaient de ma mémoire. Pétain, Laval, l’Hôtel du Parc, Otto Abetz, Maréchal, nous voilà, et l’infâme torchon «  Je Suis Partout »….Mon esprit avait dérivé vers Jean Moulin, le Conseil National de la Résistance, l’occupation, Paris sous la botte des Nazis…et puis il avait fallu être plus attentif, de peur de prendre la mauvaise route…




J’étais arrivé au centre de la France, dans une ville en plein travaux routiers, avec des dizaines, non, des centaines de camions qui avaient pris la même route que moi…Vite, se sortir de là, suivre un improbable itinéraire sans balisages, se fier à l’immatriculation d’un camion cherchant à rejoindre l’Espagne, je n’en menai pas large. Le jour était parti, la nuit était arrivée. Bon dieu, trouver un panneau vers le sud ? Non, rien…rouler, rouler, rouler.

Un crétin me colle au cul, je n’ai pas le temps de voir les panneaux, il flotte, quelle pluie ,bordel. La route est étroite, ça monte, j’ai les oreilles qui se bouchent. Je garde un œil sur le thermomètre … 7 degrés, puis 6, puis 5…Merde, et si en montant, la température baissait ? Je n’ai pas de chaînes. Je me vois déjà stoppé sur la route par le verglas, prisonnier des sapins, otage du massif central. Arrêt en pleine montagne, après avoir dépassé La Bourboule. Je fais sortir le chien qui se réjouit. Un vieil homme ouvre la porte de sa maison située en bordure de la route, un Auvergnat au visage mangé par une moustache de mousquetaire. Je le rassure : «  je fais juste faire pipi à mon chien ». Je lui raconte le trajet, les routes saturées, les agriculteurs trompés depuis longtemps, et finalement à bout. Il sourit en comprenant qu’il n’a pas affaire avec un délinquant en mal de vol. Je remonte dans la voiture.

En essayant de sortir de Clermont-Ferrand, un brave commerçant arabe avait essayé de me convertir à l’islam, mais n’avait pas été capable de me donner la bonne direction pour aller vers le sud, vers Rodez, Aurillac, un truc du genre, pour échapper à la folie de ce trafic prisonnier de l’imbécilité des planificateurs municipaux. « vous allez trouver votre chemin, vous pensez ? » m’avait dit l’homme, alors j’avais répondu «  Inch Allah », et la discussion avait commencé…cela m’avait interpellé…et j’y avais repensé au moment de passer un col, au sommet du Puy de Sancy. Quelle folie, en plein hiver, seul sur une route de montagne….jamais, plus jamais.

Etait-ce Allah, Jehovah, ou bien  Le Père Antoine (1), c’était sûr, quelqu’un devait m’avoir pris en pitié puisqu’en bas du col, au plus profond de la nuit, alors que dans les burons(2) on devait dormir à poings fermés, chien de berger inclus, un panneau libérateur des angoisse apparu dans la lueur des phares : AURILLAC RODEZ , le plus dur était derrière moi.



Il avait fallu suivre des camions Espagnols, se tromper de route avec eux, faire demi-tour dans un de ces villages du côté de Lodève, la ou l’accent ressemble presque à celui du sud. Visiblement, les camions venaient d’Espagne et tentaient de remonter sur Paris, chargés des fruits et des légumes  de la discorde puisque vendus moins cher en France que les produits Français. Je devais être prudent, le navigateur ouvert sur mon téléphone n’était très précis.

 




Montpellier, 54 k, indiquait le panneau rouge et blanc. Je me voyais déjà tiré d’affaire, encore 180 km jusqu’à Miramas dans deux heures, l’aventure se terminerait. Montpellier, la proximité du cap d’Agde et de ses pratiques libertine derrières les petites haies de bambou ? J’avais d’autre soucis : l’autoroute était encore fermée. Alors, de routes départementales, en chemins secondaires, j’avais du me frayer un chemin au travers des vignes encore plongées dans la nuit, maudissant les manifestants de l’agriculture qui pourtant avaient à mon avis raison de faire entendre leur voix, au grand dam des milliers d’automobilistes obligés de composer avec ce mouvement. Alors que l’aube n’en était qu’à se sortir de son lit, péniblement, je m’étais mis à repenser à la Vendée que j’avais laissé derrière moi. Le blessure était encore fraîche, pourrait-elle cicatriser ?


Je savais pourtant que tant qu’il y aurait des hommes, le blé ou le maïs lèveraient dans les champs autour de Saint-Philbert

Je savais aussi que tant qu’il y aurait des Vendéens, les champs de lin se couvriraient de bleu au milieu des mois de juin et les hérons blancs viendrait encore et encore suivre les tracteurs à l’automne.


Alors, soudainement, tout était comme cela devait être, un avant et un après, une route tracée par quelqu’un pour aller du grand pin de l’ami Joseph, l’ancien garçon de ferme de La Boutetière, jusqu’aux oliviers de Miramas.

Les souvenirs avaient pris place sur leurs étagères, j’étais devenu plus serein.


Il était six heures, la perspective d’un bon café m’avait redonné l’énergie qu’il fallait pour accomplir les derniers kilomètres….

Arles ? Martigues ? Ah, voilà Istres…..vite, sortir a droite, avant qu’un forçat de la route au volant d’un trente-trois tonnes, mette un terme à mon équipée….


Miramas….Dans le temps, il y avait une rotonde pour abriter les machines à vapeur de la ligne Bordeaux/Marseille.


Des pins, une route étroite qui se tortille dans le petit matin, des tourterelles sur les câbles électriques, une grande lassitude sous-tendant de belles promesses, et au bout d’une petite impasse, mon nouveau lieu de vie…..


Adieu Georges… !

Bonjour soleil… !

 

(1)    L’Antoinisme est une religion théosophique fondée par Louis Antoine, dit « le Père Antoine »

(2)    En auvergne, petite cabane de berger et, spécialement, petite fromagerie




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