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UN REGARD


Il avait fallu un bien curieux hasard pour croiser son regard alors que visiblement, elle se hâtait de rentrer chez elle …Chez elle ?

Il ne me souvenait pas qu’elle en ait eu un, du moins pas à l’époque, avant qu’il ne me prenne cette curieuse idée de rentrer dans les ordres.

Cette folie n’avait duré qu’un temps. La hiérarchie religieuse, et mon évêque de tutelle n’avait pas beaucoup apprécié que je fréquente, avec assiduité, un établissement du quartier Saint-Sulpice, tout confit de religion, qui pourvoyait aux besoins de la chair, que certains, dont je faisais partie, n’avait pu, su, ou même, voulu, maîtriser.


La rencontre avait duré quelques instants. Assez pour elle pour m’avoir reconnu, pas assez pour moi pour évoquer, dans ma mémoire, l’incroyable passion qui m’avait consumé pendant dix-sept mois. J’avais eu l’impression de voir passer une ombre.



Je crois que c’était rue de l’Abreuvoir, pas très loin du Château des Brouillards.


Il y avait, juste à côté, une sorte de terrain vague qui longeait la rue Caulaincourt, et qu’on appelait, je ne sais pourquoi « le Maquis ». J’avais oublié son prénom, ou plutôt, j’avais gardé en mémoire celui de sept ou huit autres femmes qui avaient précédé ou suivi celle-çi. Elles étaient toutes, d’une manière ou bien d’une autre, liée à cette Butte Montmartre qui avait gardé pour elle une partie de mon cœur. J’avais cru comprendre que cette femme était décédée. On m’avait également parlé d’un départ pour l’Afrique du Nord, où elle aurait un avenir meilleur. On m’avait dit tant de chose…Pour Paulo-les-yeux-bleus, son ancien souteneur, elle avait fini par se ranger, et épouser un haut-fonctionnaire qui avait ses entrées dans les établissements ou travaillaient des « relations » de la jeune femme…


En redescendant de la Butte par le rue des Trois Frères, une flopée de souvenirs m’avait assailli. Adelaïde ? Amélie ? Berthe ? Gabrielle ?....Non, bien sûr …Irène…c’était Irène. J’avais dû faire un choix : la débauche, ou la soutane. Irène, c’était la gentille femme à tout le monde mais qui voulait être la mienne. Elle se voyait déjà à Neuilly-sur-Marne, tenant son intérieur bien propre, aimant son mari, élevant un enfant, deux peut-être. Elle en avait eu assez des passes, des faux-semblants, des fins de mois difficiles, de l’odeur âcre des hommes qui manquaient d’hygiène. J’avais dit oui….elle avait tout lâché, du jour au lendemain, et puis m’était tombé dessus cette soit disant vocation. J’étais tellement pris par moi-même que je n’avais pas réalisé à quel point j’avais été un salaud. Je n’avais jamais réussi à l’oublier. Je venais juste de croiser son regard, l’espace d’une demi seconde. J’avais même cru y discerner de la peur…



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