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ZAKA



NOTE PRÉLIMINAIRE


Comme dans toutes les « Histoires d’U », il y a du vrai, il y a du faux mais sur une base de vrai. Il y a des souvenirs qui ont été mélangés à « ma réalité », des événements qui ont changé d’époque, des lieux qui existaient « avant » et n’existent peut-être plus maintenant. La date à laquelle cette histoire se déroule est intentionnellement laissée vague. On peut toutefois penser qu’elle a pris place entre 1990 et 2000. Les références aux aspects particuliers de la culture Juive sont strictement exacts. Il y a, au travers de nombreuses histoires qui se déroulent dans un environnement « judaïsé » ou pendant une époque comprise entre 1930 et 1950 un attachement indestructible à cette culture léguée par mon père. Les personnages de cette histoire doivent bien avoir existé quelque part, il y a vingt ans ? trente ans ? Les noms ont peut-être été modifiés, mais c’est pour préserver la tranquillité et ne pas trop remuer « leurs » souvenirs. Il y a des choses dont il ne faut pas parler, mais on peut très bien être heureux en se souvenant d’avoir bu une "Macabée" dans le petit restaurant de plage de Naharya, en regardant le soleil se coucher. C’était un curieux établissement fait de planches et de tôles ondulées, où se retrouvaient des hommes de bien, répartis à travers le monde, et qui passaient de temps en temps pour boire une bière.


La Boutetière

Février/Mars 2020


A Wered Finkelstajn, surnommée Yona.

A Ilan Fränkel, que j’ai bien connu

A Amos et Rachel Mandelboïm, mes voisins de la Rue Tagore à Ramat Aviv

A L’équipe de la Zaka qui était présente le jour de l’attentat de l’autobus 22

A Avi Shulmann, bouffeur de rabbin, mécréant, grande gueule, et cœur de platine.

A Nahum Weinberg, « zakiste »

Au docteur Rafi Weinberg, son fils, chirurgien à l’hôpital Sourasky de Tel-Aviv.


Ilan Fränkel était-il vraiment un sale type ?


C’est du moins ce que pensait de lui un grand nombre de juifs orthodoxes. Il était sorti un jour de son immeuble du 29 rue Tagore, en trainant une petite valise à roulettes, et avait voulu saluer une connaissance qui venait de commencer à prier, en plein air, avec trois ou quatre autres personnes, installés dans le petit square qu’on appelait « Mark Garden ». Mal lui en pris…le groupe de croyant le fusilla du regard et la foudre s’abattit immédiatement sur lui… Il aurait dû le savoir…une prière ne s’interrompt pas. Un dialogue avec « l’éternel » ne peut, en aucun cas, être entrecoupé par de quelconques bavardages profanes, alors, en quelques secondes, une amitié, heureusement récente, s’était brisée pour toujours.

Ilan en avait conçu une certaine amertume, mais comme le soleil avait décidé, ce jour d’avril, de briller sur la ville, après qu’il ait plu toute la nuit, il avait envoyé cette contrariété par-dessus son épaule en se disant « חבל », « haval », tant pis, et avait continué jusqu’à Einstein Street, où il avait pris un taxi pour l’aéroport. Il avait prévu large, sachant que les formalités de sécurité prenaient généralement beaucoup de temps, et que son visa de « travailleur étranger » amènerait sans doute un large complément de questions : « de quoi vivait vous exactement, qui êtes-vous réellement, pourquoi venez-vous travailler dans le pays, comment se fait-il que vous ayez autant d’étiquettes collées sur votre bagage, qui connaissez-vous en Israël », bref, la litanie habituelle avant l’embarquement.


Il s’était calé bien au fond du siège du taxi Mercédès blanc-crème et, tout en pensant aux quelques jours à venir, qui seraient partagés entre la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, et la Suisse, son esprit était parti en roue libre, a peine le véhicule entré sur Haïm Levanon Street, en direction de Ayalon Highway, l’autoroute qui traversait Tel-Aviv. Il savait par expérience qu’à cette heure de la journée, il lui faudrait sans doute une cinquantaine de minute pour rejoindre l’aéroport International de Ben-Gourion, le bâtiment le plus grand construit depuis l’édification du temple du roi Salomon, ce sanctuaire qui, selon la tradition, abriterait pour toujours « l’arche du témoignage », qui, avant, était itinérante, et recouverte d’une simple toile de tente.

C’était cinquante minutes pendant lesquels il pouvait faire remonter, de sa mémoire, des souvenirs d’enfance, ou bien d’adolescence, ayant trait à la découverte de cette culture qu’il ressentait comme faisant véritablement partie de lui. A plusieurs reprises, il avait essayé de se défaire de ce lien, mais cette affinité, qui était devenue véritable alliance, était beaucoup trop forte. Il avait alors abandonné la partie en se disant que, de toutes façons, il valait mieux laisser la vie et le temps guider ses pas. Par curiosité, plus que par conviction religieuse, il avait suivi des cours d’hébreu et s’était très rapidement pris au jeu.

Ecrire à l’envers…Penser à l’envers…Une autre façon de voir le monde…Une manière de découvrir une vie parallèle à celle déjà bien entamée, qui était la sienne.

Tout avait, ensuite, été très vite. Une sorte de culture juive dormante, enfouie au plus profond de lui, s’était tout simplement réveillée puis était remonté à la surface, recettes de cuisine comprises, avec préparation, le vendredi, des pains de shabbat qu’on appelait « Hallah ». Il avait, un jour, compris qu’il avait, en fait, gardé depuis bien longtemps on fond de ses souvenirs, l’odeur et le goût du gâteau Makowiec, une pâtisserie Polonaise que son père achetait chez Goldenberg (1) en souvenir de sa propre enfance à lui, dans le quartier de Podgorze du Cracovie d’avant la guerre.

Ilan avait effectué des recherches sur les origines de sa famille, mais la complexité l’avait vite fait abandonner. Il n’avait retenu que la longévité de la communauté juive qui s’était développée en Pologne depuis le onzième siècle, jusqu’à sa brutale éradication pendant la seconde guerre mondiale, par la racaille nazie du gouverneur Hans Franck.


Le jour de sa nomination en Israël, et bien qu’il ait depuis déjà longtemps abandonné la fréquentation de la synagogue de la rue Copernic, dans les beaux quartiers de Paris, il avait cru à un signe divin, même si l’existence d’un quelconque dieu restait, pour lui, de l’ordre du peu probable. Il s’était, toutefois, imaginé la fierté de son grand-père Moshe, s’il avait pu être encore de ce monde. « …un de mes petits-enfants en Eretz Israël, quelle affaire… ». L’espace d’un instant, il avait pensé à ce qu’avait pu ressentir ses grands-parents Moshe et Feigel, ainsi que sa tante Hella, le jour où tous trois avaient été raflés dans leur ghetto, en route pour une sinistre fin de vie. Ils avaient dû avoir si peur…

Savaient-ils où ils allaient ? Moshe, oui, sans doute, puisqu’il avait des contacts au sein du Judenrat (C) et qu’on l’avait informé qu’il régnait une certaine agitation chez les nazis, annonciatrice de grandes catastrophes dans un futur qui ne dépasserait pas les quarante-huit heures. Mais les autres ?

Alors que l’air déjà tiède d’avril entrait dans le véhicule par la vitre légèrement baissé, Ilan s’était laissé aller à fermer les yeux, remettant pour quelques dizaines de minutes, son destin entre les mains du chauffeur, un russe qui faisait partie sans doute de la plus récente vague d’immigration que connaissait le pays. Dès son arrivée à Tel-Aviv, Ilan avait tout de suite aimé la ville, l’incroyable énergie qu’elle dégageait. Il avait parcouru des dizaines de fois la grande métropole, du Nord au Sud, des villas luxueuses d’Herzlia jusqu’aux ateliers d’artistes du quartier de Florentine et aux petites maisons désuètes de Neve Tzedek, pas loin du marché Carmel. Il se souvenait fort bien de son premier dîner, dans un restaurant qui servait de la cuisine de Mongolie. Autour d’une table circulaire, les clients faisaient cuire par un chef, sur un grill central, un ensemble de viandes et de légumes sélectionnés sur un buffet. A la gauche d’Ilan, un homme d’une cinquantaine d’année dînait tranquillement, un pistolet Sig-Sauer P.226 glissé dans un holster fixé à la ceinture de son pantalon. L’image était restée gravée dans la mémoire d’Ilan. « Curieux pays », avait-il alors pensé, avant de rejoindre, à pieds, son appartement, profitant ainsi de la douceur de la soirée. Il y avait eu l’incroyable découverte de la ville, les odeurs du marché Carmel, les passages réguliers au bar du « Nanushka », sur Lilienblum Street, derrière le Dan Panorama, là où, un soir, une femme d’une étrange beauté lui avait pris la main.

En trois semaines, Ilan s’était approprié la ville. Il était même retourné devant l’immeuble du 27, Rue Dizengoff, là où se cachaient encore des bribes de souvenirs d’enfance remontant à son premier voyage, quand il était venu par bateau depuis l’Italie.1960 ? 1961 ?


Bennek, Irka, Daphna, Amir… sa famille de l’autre côté de la méditerranée.


Ilan se souvenait très bien de son premier shabbat sur place (2). Peu avant le coucher du soleil, une camionnette munie d’un haut-parleur avait parcouru le quartier où il habitait. Des religieux munis d’un microphone, invitaient les habitants pratiquants, à cesser leurs activités, pour se concentrer sur « Berechit, le premier chapitre de la Genèse ». (A) En moins de trente minutes, un silence léger avait enveloppé Ramat-Aviv, et, tandis que les laïcs se préparaient aux sorties du vendredi soir qui se terminaient au bout de la nuit, parfois sur la plage, et plus si affinités, les pratiquants, et ceux pour qui la tradition importait, se retrouvaient en famille pour se ressourcer.


Curieux pays, avait donc pensé Ilan Fränkel, le jour de son arrivée en mission sur cette terre, où se trouvaient, enracinée depuis plusieurs millénaires, une partie de ses origines.


Il y avait, dans la ville, et partout d’ailleurs, de la Galilée jusqu’au désert du Néguev, des dizaines de lieux dont la création et la maintenance étaient financés par des donateurs de la diaspora. L’homme se souvenait très bien de son père, Motti, qui, pendant des années, avait souscrit aux appels de dons de telle ou telle organisation juive. Il se souvenait également de la petite boîte métallique bleue et blanche, qui se trouvait autant sur le comptoir de la boulangerie Moskvitch, que du traiteur Goldenberg, ou bien de l’échoppe du « Roi du Falafel ». Il avait été surpris, par contre, d’en trouver une, également, dans la maison funéraire de Monsieur Warga, un homme devenu chroniquement triste, probablement, à force d’organiser des obsèques, et qui tenait boutique au bout de la rue des Rosiers, là où commençait la rue Mahler. Pour Ilan, il y avait sa nouvelle vie sur la colline du printemps (3) et son ancienne existence, avant qu’il ne goûte pour de vrai au lait et au miel.

Les réminiscences de la synagogue de la rue Copernic, et celle de la rue Pavée étaient en train de perdre de leur acuité. Il avait remplacé ce besoin de lien avec le sacré, par un déplacement hebdomadaire au centre communautaire de Beit Daniel, une synagogue réformée, installée sur Bnei Dan Street, dirigée par une femme rabbin. Ilan avait eu l’incroyable surprise d’y trouver, parmi les fidèles, un proxénète repenti, trois avocats marrons et francophones, spécialisés dans les affaires d’escroqueries aux assurances, un banquier devenu peintre de talent, un psychiatre en fin de parcours qui mélangeait dieu et le diable, un trafiquant d’armes qui voyageait, chaque semaine, entre Tel-Aviv et Johannesburg, habitait un triplex en haut d’une tour sur Brazil Street, et parlait régulièrement, sur son téléphone portable, au premier ministre de l’Etat d’Israël. Il y avait également parmi la population qui se retrouvait le vendredi soir, à l’heure de l’office, d’anciens juifs orthodoxes, à divers degrés, et des ex-membres de différentes communautés, qui avaient tout envoyé balader, s’étaient débarrassé de leurs vêtures noires et blanches, fait don à des plus croyant qu’eux de leur « shtreimel » (4) et qui commençaient à véritablement revivre, loin des interdits systématiques auxquels ils étaient soumis depuis leur petite enfance.


Dans l’immeuble où habitait Ilan Frankel, au deuxième étage, vivaient Amos et Rachel Mandelboïm, des juifs Français qui avaient laissé derrière eux leur ancienne vie Parisienne, après qu’un matin, sur la voiture du couple, leur fille Esther ait pu lire l’inscription faite avec une bombe de peinture noire : « Casse-toi, sale youpin, ou bien on va te crever… ! ». A soixante ans, avec un peu d’argent devant lui, fruit d’un dur labeur qui avait duré un peu plus de quarante ans, Amos avait, la même semaine, pris contact avec l’agence Juive, le déménageur, et prévenu sa banque de son prochain départ. Il n’avait nullement cédé à la peur, mais cet incident avait été un déclencheur. Amos et Rachel ne voulaient pas mourir en France. « Cette terre ne veut pas de nous », avait un jour dit Rachel lors d’un dîner de Shabbat. Alors, ils avaient laissé derrière eux, sans regrets aucuns, leur appartement près du bois de Vincennes, leurs trois enfants, et leurs souvenirs. Lors de son installation, Ilan avait croisé Rachel Mandelboïm dans le parking arboré, derrière l’immeuble. Lui descendait sa poubelle pleine, elle remontait sa poubelle vide.

La conversation s’était engagée et, bien sûr, lors du shabbat, cette même semaine, Ilan avait été invité à partager le repas du vendredi soir. Amos était un homme « craignant dieu », sans excès, mais sans faiblesses non plus. Il n’avait pas voulu s’enfermer dans une religiosité excessive, et avait choisi le quartier de Ramat-Aviv pour y acheter un large cinq pièces a peu de distance de la synagogue, dont les fidèles suivaient le courant « Massorti » (5) du judaïsme, un moyen d’être à la fois croyant, pratiquant et de vivre aussi dans son siècle. Amos et Rachel avaient pris Ilan en amitié, et permis au quarantenaire en poste à Tel-Aviv, de se créer un réseau de contacts. Au lieu de se sentir perdu, la première semaine de son arrivée en Israël, il s’était senti pris en charge et apprécié. Amos se méfiait beaucoup de ceux qui étaient figés dans la foi, et donnaient des leçons au nom de « Yahvé » (B). Il n’avait porté aucun jugement quand Ilan avait partagé avec lui sa vision du monde en général et du judaïsme en particulier. « L’Eternel sait ce qui se trouve au fond du cœur de chacun » avait-il dit à Ilan, en souriant, alors que Rachel s’apprêtait à servir le « Tchulent » (6) qu’elle avait longuement cuisiné la veille. Lors du premier diner de shabbat chez les Mandelboïm, Ilan s’était souvenu des évocations de la vie juive à Cracovie dont avait souvent parlé son père. « Mes parents payaient un « shabbes-goy » (7) pour pouvoir dîner tranquillement le vendredi soir » disait Motti, le père d’Ilan, qui avait alors expliqué les fonctions de cet étrange domestique intérimaire, et le souvenir était resté dans une petite case, dans le cerveau d’Ilan. « Et de quoi vivait-vous réellement ? » avait demandé Amos, en débouchant une bouteille de Carmel rosé. Alors, Ilan avait expliqué ses racines, son métier, son intérêt pour l’hébreu moderne, l’hébreu biblique, la guématria (8), le notarikon (9), et le lien indissoluble qu’il avait créé avec ce pays. Il avait également évoqué ses nombreux voyages, sa passion pour Jérusalem. La soirée avait vite passé et après la tisane offerte par Rachel, alors qu’il s’apprêtait à remonter dans son appartement du cinquième étage, Ilan avait voulu en savoir un peu plus sur son hôte. Les deux hommes avaient parlé encore un peu. Amos avait mentionné quelques détails de sa famille, une sœur qui vivait à Zurich, un frère qui s’était établi à Anvers, des membres de la famille qui passaient, de temps en temps, en « Eretz Israel » pour refaire le plein de souvenirs, et renforcer leurs racines, et de dix minutes en quarts d’heures, alors que Rachel était partie se coucher, ils avaient continué à deviser comme s’il étaient de vieux amis, des connaissances de longue date, ou des membres de la même famille.

Les fenêtres du salon étaient ouvertes sur le silence de la rue Tagore. Ilan aimait bien cette nuit de transition, quand il avait le sentiment, de basculer du profane au sacré, et même s’il était loin d’être inspiré par une quelconque pratique religieuse, il était simplement sensible à la séparation entre le septième jour, et le reste de la semaine. Après avoir refait le monde, Amos avait simplement posé la question à Ilan : « et si vous vous portiez volontaire pour la Zaka ? (10) nous avons besoin de jeunes, vous pourriez très-bien nous rejoindre, je peux même vous aider…


Ilan n’avait rien répondu. Il avait simplement remercié son hôte, en souhaitant un « Git Shabbes » sonore à Amos, avait franchi, presque en titubant, la porte de l’appartement des Mandelboïm.


Rejoindre la Zaka ? (10)


Le taxi d’Ilan s’était garé devant l’aéroport. Deux-cent shekels… ! Voleur, avait pensé Ilan…puis il s’était calmé, sachant très bien que de toutes façons, le temps qu’il dépose une plainte contre le chauffeur en question auprès de la commission des taxis de Tel-Aviv, il coulerait de l’eau sous les ponts, et puis, pour soixante shekels de plus que le prix « standard », cela valait-il le coup ? Le chauffeur avait sorti la valise d’Ilan du coffre, et avait quitté les lieux rapidement. Ilan avait pénétré dans le bâtiment, rejoint la file d’attente de la sécurité, et s’était apprêté à faire preuve de patience. Les questions étaient toujours les mêmes, il fallait y répondre avec diplomatie, sous peine de devoir passer encore plus longtemps à obtenir le fameux sésame permettant de s’enregistrer sur tel ou tel vol.

Ilan avait l’habitude de mettre à profit les moments d’attente…Que ce soit sur un quai de gare, a une station d’autobus, dans une file de client au marché Carmel, chaque seconde, chaque minute était utilisée pour penser à tout, comme à rien.


Rejoindre la Zaka ?


( Des juifs religieux tendance "Chabad". (***) Ils portent un chapeau fabriqué par Borsalino, dont le modèle se nomme "Tortona")

Les derniers mots d’Amos, le soir de ce fameux shabbat, lui étaient restés à l’esprit. Lui qui ne s’était jamais porté volontaire en faveur d’une quelconque cause, se voyait sollicité pour rejoindre une organisation unique au monde. Il disposait de temps, il arrivait à un âge ou une certaine maturité venait de remplacer son ancienne fougue, il n’avait rien, en vrai, contre les orthodoxes qui constituaient la majorité des bénévoles, mais n’avait tout simplement jamais envisagé un quelconque engagement au sein de cette organisation, qu’il avait déjà vu à l’œuvre à travers des reportages télévisés, des journaux d’actualités, bien trop souvent dans le cadre d’attentats terroristes comme le pays en subissait depuis de longues années. Il se méfiait quand même un peu de ceux qu’il appelait parfois, par dérision, les « fous de dieu ». Sa propre famille de laïcs avait montré des signes d’inquiétude quand lui, Ilan, avait commencé à fréquenter une synagogue, même réformée, qui devait en principe le garantir contre une pratique religieuse trop extrémiste aux yeux des oncles, cousins, tantes…

Rejoindre la Zaka ?

En aurait-il, seulement, le courage ? Bien sûr, il savait qui étaient ces gens dont l’horrible tâche était la collecte des restes humains après explosion suite à un attentat, ou dans la foulée d’un accident de la route, ou bien d’une quelconque catastrophe naturelle ou causée par les hommes. Dans son passé, en France, Ilan s’était retrouvé une ou deux fois face à la mort, il avait gardé au fond de lui des images qui l’avaient tourmentées pendant de nombreux mois : celles d’un corps décapité retrouvé dans l’habitacle d’une voiture après qu’un cheval fou ait percuté celle-ci sur une route de campagne des Vosges et également celles de deux bras séparés de leur propriétaire décédé d’hémorrhagie dans une scierie artisanale du Jura. Le bûcheron avait trébuché, mis les bras en avant pour amortir le choc, et oublié le ruban d’acier qui coupait en deux les troncs de sapin. Alors pompier volontaire, Ilan avait été profondément marqué par ces deux accidents tragiques.


Le premier mois qui avait suivi son installation dans le nord de Tel-Aviv, l’homme avait évité, lors des arrêts imposés par les feux de circulation, de se trouver avec sa voiture dans l’environnement immédiat d’un autobus. Il avait trop vu d’images de guerre, de scènes de destruction, et de volontaires de la Zaka, munis de leurs gilet jaune ou orange, les « Tzitzits » (11) dépassant de leur ceinture, et lors d’attentats en centre-ville, ramassant les restes humains, que ceux-ci soient membres, lambeau de chair, ou bien sang. Alors que la file de voyageur avançait trop lentement à son goût, et au rythme des questions des officiers de sécurité, dont certains, Ilan le savait, appartenait également au « Shin-Beth » (12), il avait toutefois envisagé, un quart de seconde seulement il est vrai, d’adhérer à cette étrange organisation.

« Il serait peut-être temps que je fasse quelque chose pour les autres » s’était-il dit…La file avait avancé plus vite qu’Ilan ne le pensait, l’officier de sécurité avait été bienveillant, et n’avait posé aucune des questions habituelles. Il avait saisi le nom de famille d’Ilan sur son ordinateur, avait probablement vu qu’à « Frankel, Ilan » étaient associés des « commentaires positifs », et avait rapidement rendu au voyageur, son passeport dans lequel était glissé la carte de sécurité tamponnée et qui permettait de s’enregistrer sur le vol.

Depuis longtemps déjà, Ilan évitait de voyager sur la compagnie nationale. Il savait toutefois que des agents de sécurité spécialement entraînés se trouvaient à bord de chaque vol. Il avait privilégié les compagnies étrangères qui prenaient, à son avis, un peu plus soin de leurs passagers. Il ne l’aurait jamais avoué, mais il aimait par-dessus tout utiliser une compagnie qui l’obligeait à faire un arrêt ou un changement d’appareil en cours de route. Un trajet avec une escale à Athènes, Rome ou même Madrid, lui permettait de prolonger la magie du voyage. Mais ce jour-là, avec un programme serré en Europe Il avait embarqué dans son vol Air France, direct vers Paris, et, comme chaque fois qu’il quittait Israël, même temporairement, il avait ressenti ce petit pincement au cœur. « Et si quelque chose m’arrivait et que je ne revienne pas… ? »


L’avion avait décollé de Tel-Aviv en route vers la ville-lumière. Dans moins de huit heures, et avant de prendre un train vers la Belgique, puis la Hollande, Ilan aurait déjà fait son petit tour, avec nostalgie obligatoire et larmes qui perlent, dans son ancien royaume du quartier du « Petit-Montrouge ». Il y aurait sans doute une visite rue Montbrun, le souvenir du doux visage de Madame Zeitoun, le tranquille silence de la rue de la Saône, un saut rue Vercingétorix, où se trouvait le centre communautaire du 14 -ème arrondissement, un passage, plus douloureux, rue Alphonse Daudet, là où tout avait commencé.

Il y aurait aussi, c’était sûr, un ou deux croissants grignotés dans le taxi, en route vers la gare du Nord, une fois que le vague à l’âme légitime aurait fait place à l’avenir et à ses promesses, et, comme toujours, une fois sur le quai de Paris-Nord, il dégusterait un hot dog à la moutarde, un truc régressif qui devait, du moins pensait-il, remonter à son enfance.


Ilan s’était installé dans l’avion. Il aimait bien profiter de ce l’attente entre la fin de l’embarquement et la mise en route de l’appareil. Cela lui permettait de mieux s’approprier son voyage, d’en déguster les saveurs à la façon d’un gourmet. Eponger le sang ? Placer des morceaux d’êtres humains dans des réceptacles, identifier des corps, récupérer des documents ou des objets qui avaient eu une vie avant de terminer, répartis, déchiquetés, sur la chaussée, ou bien dans la carcasse calcinée d’un véhicule ? Israël, c’était aussi cela…une violence dont personne ne savait quand et où elle allait faire irruption, briser des avenirs, faucher des vies, enterrer des espoirs.

Rejoindre la Zaka…pourquoi-pas s’était dit l’homme, avant de sombrer dans une sieste sur le fauteuil 3A, bercé par le bruit des moteurs.


Charles-de-Gaulle, un temps à se mettre le cœur poivre-et-sel, taxi bavard, bouchons dans le nord de la ville. Poubelles, cris, bruit, la tête qui tourne…le Lion de Denfert qui ne dormait que d’un œil, la vision du grand clocher de Saint-Pierre de Montrouge.



Les premières réminiscences qui se profilent à l’horizon de la mémoire très, très ancienne…Comme il l’avait projeté, il avait fait son petit tour du souvenir dans les rues calmes du Petit-Montrouge, il y avait eu de grosses larmes entre l’avenue du Général Leclerc et la rue Sarrette, des sourires en passant devant la maison de Lénine, rue Marie-Rose, un grand retour en arrière quand il était passé devant le dépôt des autobus, près de la porte d’Orléans. Il avait, depuis toujours, été fasciné par les véhicules garés sous l’énorme verrière. Une masse d’images était apparue devant ses yeux, une foule d’odeurs évocatrices de son enfance avait envahi ses narines. Il avait ensuite sauté dans un taxi pour rejoindre la Gare du Nord, laissant derrière lui son ancienne vie parisienne, celle d’avant les grands voyages au bout du monde. Quatre rendez-vous d’importance dans quatre capitales Européennes ! Bruxelles, Amsterdam, Bonn et Zürich, le tout en cinq jours, aller et retour compris. Sept clients à rencontrer, caler des déjeuners, des dîners, optimiser le temps. Le Trans Europ Express Ile de France reliant Paris à la capitale Belge, avait à peine commencé à rouler, Ilan était déjà fatigué…


Yona Finkelstajn s’appelait en fait Wered, de son vrai prénom.

Wered… la rose… !


Yona, qui veut dire en hébreu, colombe, était son diminutif affectueux par lequel elle était connue de ceux qui l’aimaient. C’était une référence cachée à une colombe symbole de paix. Cela lui allait bien. Elle était la plus jeune professeure de l’université de Tel Aviv et enseignait l’histoire de la shoah. Elle n’avait aucune affection particulière pour le sujet, mais considérait qu’il était important de former les jeunes esprits aux dangers que pouvait représenter toute banalisation de la haine. Depuis deux ans, elle faisait le trajet depuis l’immeuble de cinq appartements, qu’elle habitait, jusqu’à Ramat-Aviv, où se situait l’Université. Yona était aussi attachée au passé, qu’à une certaine vision de son propre futur. Elle avait une tante, Hella Fisher, qui habitait non loin de chez elle. La femme était une originale qui s’habillait « hors normes », vivait comme une hippie des années soixante-dix, recevait de nombreux amis hommes dans son appartement de la rue Antokolski, et vivait en ménage, avec deux femmes, l’une de 10 ans son ainée, l’autre de 13 ans sa cadette. Elle adorait sa nièce, et, pour son anniversaire, lui avait offert un « smart phone » et l’abonnement qui allait avec, qu’elle avait pris à son nom propre, Fisher, histoire que Wered n’oublie pas sa tante.


Hella Fisher avait pris la formule la plus chère, qui permettait de contacter l’étranger, recevoir et stocker des données, télécharger des films et des séries. Hella Fisher était une femme de son temps…elle se disait connectée à son siècle, comme à « l’autre monde ».

(Frug Street, du côté de Gordon Beach, en plein centre de Tel-Aviv: des petits immeubles à un ou deux étages, le paradis..C'est dans cette rue qu'habite Wered Finkelstajn, l'héroïne de cette petite histoire)


Chaque jour, quand elle enseignait, Wered prenait, en premier lieu, l’autobus 22, à la station qui se trouvait face au numéro 100 de la rue Dizengoff, une artère majeure de la ville. Yona se liait facilement. Elle connaissait les voyageurs réguliers de son autobus, et les saluait d’un sourire, d’un signe de tête, d’un regard bienveillant. Elle avait émigré depuis Jaffa, jusqu’à Frug Street, une petite rue plus centrale. Son père avait fait fortune dans le béton dans les années cinquante, et avait placé de grosses sommes d’argent dans des banques en Europe. Chaque mois, Yona recevait sur son compte bancaire à la « Banque des Travailleurs », une allocation qui lui permettait de bien vivre, payer son loyer, et s’offrir une vie plus douce que beaucoup de jeunes femmes de son âge.

Au début, peu après son installation, elle avait regretté la proximité du vieux port par lequel, disait la légende, étaient arrivés les cèdres du Liban qui avaient servi à construire le premier Temple, à Jérusalem. Mais au bout d’un mois, Jaffa était oublié, elle savait qu’elle pouvait s’y rendre si elle le souhaitait, alors elle avait simplement profité de chaque instant, de chaque journée, de chaque nuit, dans son nouveau domicile. En dix minutes de marche, elle pouvait être allongée sur la plage de Gordon Beach…Il y avait pire, bien pire.

Yona était tout ce qu’il y avait de plus laïque, jamais un quelconque dieu n’aurait influé sur ses décisions, ce qui ne l’empêchait pas de connaître avec précisions les cinq livres de la bible hébraïque, du premier chapitre de la Genèse jusqu’au dernier du Deutéronome. Au cours des années, elle avait développé un intérêt évident pour sa propre culture. Elle évitait de fréquenter des « gens de foi », voyageait régulièrement en Europe pour garder les yeux ouverts. Elle aimait la mer, et passait de longues heures d’été à regarder le soleil se coucher sur l’horizon. Le soir, parfois, elle faisait le vide dans sa tête, assise sur le sable encore chaud, regardait fixement l’horizon, en se demandant ce qu’il y avait au bout de son regard, à la fin de la ligne droite qui partait de la plage de Tel-Aviv et le reliait à un autre pays…


En partant de Jaffa, elle avait quitté un passé douloureux, une histoire amour impossible avec Arik, un homme qui pouvait être violent, elle avait décidé de tourner la page. Elle adorait son nouveau lieu de vie dans cette rue calme où les immeubles ne dépassaient pas la hauteur de deux étages. Yona avait toujours détesté tout ce qui était trop moderne. Elle aimait bien ce qui était un peu désuet, les bâtiments de taille mesurée, le silence de bon aloi, la proximité avec les arbres, et avait loué un trois pièces-cuisine eu deuxième étage du numéro 18. De son immeuble jusqu’à la station d’autobus il y avait seulement neuf-cent-cinquante mètres…juste quelques pas…trois coups d’aile pour un ange, encore moins pour un oiseau…


Yona la colombe avait rencontré Ilan Frankel à une soirée dans une maison de rêve à Sheffayim, au nord de Tel-Aviv. Une relation commune, un avocat promis à un bel avenir, les avait invités à célébrer un événement important, sa nomination simultanée au barreau Israélien et à celui de Londres. Ce succès ne devait rien à la fortune du père, ou à ses relations politiques. L’avocat avait tout simplement travaillé dur pendant neuf ans. Il était légitime qu’il célèbre son succès et se réjouisse des perspectives, entouré de celles qui lui étaient chères et de ceux avec qui il était en relation. Ilan avait eu recours à ses services pour une histoire de visa de travail, Yona était amie avec l’épouse de l’homme de loi. Le hasard, qui n’existe pas, avait réuni sous un même toit, sous une même lune, la jeune femme de Frug Street avec l’homme qui habitait Ramat Aviv, au 29 de la rue Tagore.

Ce soir-là, le champagne venait de France, la Vodka de Cracovie, le Whisky Oban de l’Ouest de l’Ecosse, les participants à la fête parlaient l’anglais, l’italien, l’allemand, le tchèque, le hongrois, et même le français.

Pour allumer sa cigarette, Yona avait simplement pris la main d’Ilan qui tenait son briquet, cela avait suffi. La maison étant proche de la plage, le reste de la nuit s’était passé à regarder les étoiles. En quelques heures, ils se connaissaient comme s’ils avaient vécus ensemble depuis dix ans, en quelques jours, ils étaient prêts à passer ensemble le reste de leur vie, mais chacun avait décidé, pour le moment, de laisser du temps à l’autre, ils vivaient, heureux, une période de construction. Un soir chez l’un, le lendemain chez l’autre, le troisième jour chez une amie habitant à Neve Tzeddek, le quatrième chez un couple à Nahalat Benyamin, Yona et Ilan découvraient la vie à deux, sans autres contraintes que les horaires professionnels de l’un et de l’autre. Quand l’avion d’Ilan avait décollé pour Paris, Yona était certainement pour quelque chose dans le curieux pincement au cœur qu’il avait ressenti quand les roues de l’appareil avaient quitté le sol.

Rejoindre la Zaka ? Mais je ne porte ni la kippa, ni le talit (*) et je ne vais pas en plus changer mes habitudes pour faire plaisir, c’est fini cette époque-là… »


En arrivant à Bruxelles, Ilan, qui connaissait bien la ville, avait rejoint sa chambre d’hôtel dans une petite rue tranquille derrière l’avenue Louise. Il fuyait les grands caravansérails pour hommes d’affaires m’as-tu-vu, et tapins de luxe.


C’était un établissement où il avait déjà ses habitudes, un hôtel qu’on aurait dit surgi du dix-neuvième siècle, chambres avec drap de lin, dont Ilan appréciait le contact sur la peau. Il avait dîné dans un restaurant branché, près de la rue Veydt puis était sagement rentré se coucher. Demain matin, il vaquerait à ses occupations. Il était attendu ensuite, en fin de journée à Amsterdam, de là il irait à Bonn, terminerait son voyage par Zürich, et rentrerait en Israël par un vol de la Swissair. Ilan s’était endormi avec, devant les yeux, l’image de la plage de Tel-Aviv, un jour d’été, quand le soleil était tellement chaud que même les oiseaux de mer cessaient de voler, pour se poser sur l’eau et attendre la fraîcheur relative du soir.



Parce qu’on était en avril, Yona s’était vêtue de couleurs vives. Elle avait fermé à clé la porte de son appartement du 18 Frug Street, pas loin de la mer, et du centre de Tel-Aviv, la ville qui ne dormait jamais, même pendant shabbat. Elle avait, enregistrées sur son baladeur, la totalité des chansons de Robert Zimmerman, plus connu sous le nom de Bob Dylan, et une quarantaine de celles de Woodie Guthrie. Elle avait également, dans un fichier spécial, une trentaine de berceuses qui lui rappelaient son enfance, et dont certaines étaient en Yiddish et d’autres en Ladino, cette langue parlée par les juifs sépharades (13). Il y avait, entre autres, Tchitchi Bunitchi, et Ay Le Lule, une chanson à laquelle elle s’accrochait, et qui évoquait, pour elle, les souvenirs d’enfance, maintes fois contés, de son propre père.


Elle n’avait qu’un seul cours prévu ce matin, et deux autres plus tard, dans l’après- midi. Elle savait ses étudiants du matin dissipés et ironiques, elle connaissait le sérieux de celles et ceux qui assisteraient à ses cours, à partir de quinze heures. Elle avait, entre temps, prévu de faire un tour dans l’énorme centre commercial de Ramat-Aviv, où on serait cru dans n’importe quelle grande ville d’Amérique, boutiques de sucreries, et Mac Donald compris. Yona connaissait les heures de pointe à Tel-Aviv : des bouchons énormes, des conducteurs irascibles qui appuyaient sur l’avertisseur, à défaut de pouvoir appuyer sur le champignon. Attendre, être patiente, il n’y avait pas le choix. Était-ce un vendredi ? Il y avait tant de monde dans les rues, une soixantaine, peut-être, de voyageurs, tant hommes que femmes, attendaient le passage de l’autobus 22 de la compagnie Dan. Yona s’amusait régulièrement à essayer de découvrir le profil de tel voyageur, ou telle passagère…lui doit être employé de banque, elle, peut être coiffeuse, celui-ci est certainement cuisinier, celui-là ressemble à un gardien de sécurité…Beaucoup de voyageurs étaient des militaires, reconnaissables à leurs uniformes. Il y en avait plein dans les rues. Les hommes, c’était trois ans, les femmes, deux.

Pas d’esquive ! au service du pays ! sauf qu’il y avait des exceptions, et à cause de ces exceptions, des tensions surgissaient régulièrement au sein de la société.

(Un instructeurs de blindés avec des recrues sur le toit d'un char Merkava)

Yona n’avait jamais réussi à comprendre ce qui empêchait les Israéliens de former une quelconque file ordonnée, dans une banque, en attendant d’entrer dans un cinéma, ou, plus simplement, à une station d’autobus. Elle avait pesté plusieurs fois au marché Carmel, où elle faisait souvent ses courses le vendredi matin. De grossiers personnages, hommes, mais pas seulement, sans aucune éducation, esquivaient les files d’attentes devant les étals de fruits et légumes, et se faisaient servir directement, sans faire la queue. Cela la mettait hors d’elle. Yona avait pas mal voyagé au Moyen-Orient, et avait réalisé depuis longtemps déjà qu’à l’est de Rome, la discipline et l’ordre n’étaient pas vraiment le fort des populations. Yona, la colombe, Wered, la rose, aimait bien en fait ses deux prénoms. « Rose » lui rappelait les origines Iraniennes qu’elle avait héritée de sa mère, Mahsa Delrahim, qui avait émigré depuis Tabriz, dans des circonstances incroyables, vers la fin des années trente. Avec ses amis enseignants de l’Université de Tel-Aviv, Yona plaisantait souvent au sujet de ses origines. Elle aimait à dire : « Mahmoud (D) et moi avons tous deux une certaine connaissance des problèmes de trafic routier, et des embouteillages ». Elle se souvenait que le président Iranien avait reçu, en 1987, un diplôme d’ingénieur civil dans le domaine des transports publics, et qu’elle-même avait passé plusieurs mois de stage dans la compagnie des autobus Dan à étudier les flux de trafic afin de pouvoir optimiser les horaires, un travail fastidieux, mais bien payé, qu’elle avait terminé en préparant un rapport détaillé sur l’histoire de la ligne N° 5, la plus ancienne du réseau Dan, dont la création remontait aux années 30.


« Ils n’ont aucune discipline, ils sont débraillés, ça doit être un sacré bordel dans leur chambrée » était-elle en train de penser, alors qu’un groupe de sept ou huit soldats vêtus d’uniformes kaki et de chaussures de marche montantes, étaient en train de chahuter en attendant l’autobus « 22 ». Il y avait également un homme âgé, avec deux cabas à roulettes, un ancien certainement. Vu de l’extérieur, ses cabas semblaient être bien remplis. Peut-être ne faisait-il ses courses qu’une fois par semaine ? Yona pensait à l’été qui n’était plus très loin, à la dernière soirée passée avec Ilan, à ses parents qui devenaient âgés, à un voyage qu’elle avait effectué en Pologne, deux ans avant, pour encadrer un groupe d’étudiants. Elle avait tellement de choses dans la tête que, parfois, il lui était difficile de garder sa sérénité et le détachement affecté qu’elle avait pour les grands conflits de société et les vicissitudes de l’histoire contemporaine de la région. Yona s’était retournée, par habitude, avec l’espoir de voir arriver le fameux autobus « 22 ». Il devait y avoir eu de sacrés embouteillages en amont de la ligne…elle avait déjà plus de dix-sept minutes de retard sur son trajet habituel. A une centaine de mètres derrière elle, deux autobus «22 », l’un derrière l’autre, commençaient à ralentir pour aborder l’arrêt du 100 Dizengoff Street. Yona s’était fait la réflexion que le bleu du ciel était absolument identique au bleu de la livrée des autobus MAN qu’utilisait la compagnie. « Incroyable comme de simples choses peuvent être belles » …s’était-elle dit alors. « Deux bus ? Je n’ai pas de raison de forcer mon passage…Je vais laisser monter tout le monde en premier, et si je vois que ça coince, je prendrai le second ». Devant Yona, qui se forçait à ne pas fendre la foule qui allait certainement s’élancer pour monter dans le premier autobus, il devait y avoir, maintenant, une bonne quarantaine de voyageurs, militaires compris, et vieil homme aux cabas en tête. Une fois le bus immobilisé, la porte ouverte, les jeunes soldats entendirent la voix autoritaire du chauffeur : « Alors, les jeunes…vous ne voyez pas qu’il y a une personne âgée devant vous ? Du calme, vous aurez tout le temps d’aller à la caserne ensuite…donnez-lui plutôt un coup de main pour monter ses courses dans l’autobus… » Yona avait entendu, et souri…Au moins, les jeunes militaires avaient reçu un minimum d’éducation…Ils s’étaient reculés de quelques pas pour laisser passer le vieil homme et ses cabas à roulettes en premier. Deux jeunes hommes avaient chargé les imposants fardeaux roulants d’où émergeaient des bottes odorantes de poireaux et d’aneth.


Les voyageurs avaient commencé à grimper à bord.


En quelques secondes, Yona su qu’elle n’avait aucune chance d’embarquer dans le véhicule, elle se mit sur le côté, fit quelques pas en arrière pour se diriger vers le second véhicule qui était déjà arrêté le long du trottoir, porte ouverte. Elle avisa le visage du chauffeur et pensa qu’il ressemblait à Omar Sharif. Elle avait son badge de transport à la main. Du coin de l’œil droit, elle pouvait voir que l’autobus sur lequel elle n’avait pas réussi à embarquer, quittait péniblement son arrêt, probablement très lourd, et s’apprêtait à continuer son parcours sur la rue Dizengoff. « Les voyageurs vont crever de chaud avec tout ce monde dans le bus »

Il y eut un coup de frein, un crissement de pneus sur l’asphalte. Yona tourna la tête vers l’origine du bruit. Un réflexe. Il y eu un incroyable éclair qui lui brûla les yeux. « Pourquoi ? comment ? c’est quoi ?» se demanda-t-elle.


Avant même que l’éclair ne s’efface de la rétine, il y eu une incroyable explosion, deux, peut-être, et l’autobus « 22 » qu’elle n’avait pas pris, se souleva de cinq ou six mètres au-dessus de la chaussée. On aurait alors dit que l’air s’était embrasé. Yona vit des débris de toutes sortes sortir par les fenêtres du bus bleu et blanc maintenant en flammes. Elle eut le souffle coupé, et senti soudain un liquide chaud lui couler sur la tête. Elle n’eut même pas la curiosité de se demander ce qui venait de se passer, son esprit était passé en mode « survie ». De l’air, vite, de l’air, sortir, courir, aller loin. Elle ne ressentait aucune douleur. Sous la violence de l’explosion, quatre des fenêtres de l’autobus de Yona, avaient étés soufflées. Elle se précipita vers la porte arrière, manœuvra la commande d’ouverture de secours, un truc qu’elle savait faire pour l’avoir pratiqué pendant des exercices à l’armée. Avant de quitter son autobus, elle eut le temps d’apercevoir le demi corps du chauffeur, encore assis sur le siège du conducteur, tandis que la tête, le tronc et un bras se trouvaient, coincés à l’envers, entre deux sièges de la troisième rangée. Yona descendit le marchepied du véhicule, couru sur une dizaine de mètres, sans même se questionner sur cette incroyable force qui lui ordonnait de fuir, fuir encore, et, sans qu’elle ne sache pourquoi, s’assit enfin par terre, derrière une palette en bois qui contenait des parpaings destinés aux travaux d’un magasin de mode qui faisait peau neuve.


(Un autobus de la compagnie " DAN", aprés un attentat)

Son premier réflexe fur d’activer son téléphone en mode selfie. L’écran refléta un instant son visage couvert du sang qui semblait sortir par une large balafre sur le front. Encore attaché au côté droit de son cou, elle put voir un lambeau de chair, à demi recouvert par le liquide rouge qui giclait par saccade. Elle se releva, pendant quelques secondes, regarda autour d’elle, et réalisa que l’avant de son propre autobus avait été disloqué par l’explosion du bus précédant. En posant son regard sur le trottoir de la rue Dizengoff, elle vit que le sol était couvert de débris matériels et de restes humains, des morceaux des corps qui avaient été disloqués, déchiquetés, fracassés, démembrés, désagrégés par l’incroyable souffle. Elle vit également des milliers de boulons et d’écrous de toutes tailles, des sous-vêtements, des pantalons baignant dans le sang. Devant un kiosque qui vendait l’édition du jour du Jérusalem Post, les yeux d’une tête humaine regardaient l’éternité. Sur au moins trois-cent mètres, et l’équivalent de trois étages de hauteur, il n’y avait plus aucunes fenêtres, aucun châssis, aucunes vitrines. La rue n’était que cristal, verre pilé, vérandas détruites, terrasses de cafés dévastées. Rue Dizengoff, à la hauteur du numéro 100, il n’y avait plus que la mort, et les cris des blessés. Quand elle voyageait en autobus, Wered, par crainte des pickpockets, portait toujours son portable à la main, attaché à son poignet par une dragonne en fibre synthétique, un truc inarrachable. Elle prit une photo de son visage ensanglanté, une autre de la scène de dévastation, prépara un SMS à l’attention d’Ilan disant simplement : « Attentat, je t’aime ». Elle cliqua sur la commande « envoi » mais à ce moment, l’indication « batterie faible » apparu sur son écran. Wered, la Rose, n’avait pas peur, Yona, la Colombe ne pouvait plus garder les yeux ouverts. Elle se dit qu’elle avait essayé de tout faire correctement dans sa vie. Elle porta sa main droite à son cou, s’étonna de la puissance du jet, laissa ses yeux se fermer, ses jambes fléchir. Elle s’effondra à côté des parpaings du chantier et sombra dans l’inconscience, sur le trottoir tiède de la Rue Dizengoff.


Le beeper d’Amos s’était mis à vibrer alors qu’il était sur le chemin du retour de la synagogue. Il était prévu que Rachel et lui aillent, ensuite, ensemble marcher le long de la mer, pour s’oxygéner le cerveau. Ils le faisaient une fois par mois, depuis la plage de Gordon Beach, jusqu’aux hauteurs de Jaffa, d’où on peut voir un beau point-de vue sur la ville. « Attentat rue Dizengoff. Autobus 22. Au moins 47 morts plus de 146 blessés ». Pour Amos, c’était la trente-septième fois qu’il recevait un message de ce genre sur son beeper. Il y en avait eu bien d’autres, des moins sérieux, mais également des plus dramatiques encore. Il n’y avait pas de gradation dans l’horreur, mais c’est vrai que certains évènements mettaient plus de temps à s’effacer de la mémoire des « zakistes » comme Amos Mandelboïm.

Selon une procédure éprouvée, les hommes de la Zaka de Tel-Aviv/Yafo avaient été contactés, des véhicules les avaient récupérés, là où ils se trouvaient, ils avaient rejoint les endroits où étaient garés d’autres véhicules spécialisés dans lesquelles se trouvaient les équipements nécessaires à leurs tâches. Amos se souvenait que l’« ambulance » à laquelle il était assignés, avec sept autres membres de son groupe de Ramat-Aviv, avait été financée par la communauté juive d’Anvers. Ce véhicule, en service depuis déjà trois ans portait une petite plaque de cuivre toute simple, à l’avant, sur le bas de la caisse : « A la mémoire d’Anselme Klipper ». Il ne savait pas qui était ce généreux donateur. Les six autres personnes du groupe d’Amos avaient tous reçu le même message. Personne ne parlait. Il y avait Zev, le dentiste, Amir, l’informaticien, Benjamin, qui dirigeait un cabinet de courtage d’assurances maritimes, Ethan, le gynécologue, Lazare, le violoniste de l’orchestre philarmonique d’Israël, et Nahum Weinberg, qui, curieusement, était né le même jour, et à la même heure qu’Amos Mandelboïm, ce qui, bien sûr, avait créé un lien tout particulier entre les deux hommes.

Aller vite, « sauver ceux qui pouvaient l’être, honorer ceux qui ne pouvaient plus l’être ». Pour Amos, la première partie de la devise de la Zaka, était la plus importante. Ne pas pouvoir sauver quelqu’un était une forme d’échec. Il savait que ce n’était pas toujours possible, et, dans le passé, avait versé des litres et des litres de larmes, après avoir passé une journée entière à ramasser chair, membres, fluides corporels, de personnes victimes d’actions violente. En Israël, le « respect des défunts » n’était pas une mince affaire.

A la hauteur du numéro 100 de la rue Dizengoff, c’était le chaos total, une sorte de fin de ville, la couleur dominante était devenue le rouge sang. Sept minutes après l’explosion, le quartier était totalement bouclé. Plus de quatre-vingt ambulances effectuaient des rotations pour évacuer les blessés. Les morts, ce serait pour plus tard. Une cinquantaine d’officiers de la police scientifique, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil, étaient déjà à l’œuvre. Au siège du Shabbak (15), la sécurité intérieure, le cabinet de crise était déjà en réunion, et suivait, minute par minute, l’évolution des interventions des services des secours et celles de la Zaka, qui avaient également commencé, tout en sachant que les priorités des uns, pouvaient être différentes de priorités des autres.


Rejoindre la Zaka ?

Dans son petit hôtel de charme de Bruxelles, Ilan Fränkel venait de se réveiller avec cette question à l’esprit. Il avait résisté à l’envie de dormir encore une demi-heure, et devant le programme chargé qui l’attendait, il avait vite rejoint la petite salle-à-manger qui sentait bon les viennoiseries artisanales, et le café « comme à la maison ». Dans un coin de la salle, en hauteur, un écran plat diffusait les informations météo du jour. Pas loin de lui, un couple de Hongrois avait déplié sur leur coin de table, un plan de Bruxelles. C’était du sérieux, ils organisaient la visite de la ville. A sa gauche, un homme bien calé dans la maturité de sa probable soixantaine, lisait le Financial Times en buvant son thé. Juste derrière lui, un téléphone portable sonna. Il n’avait pas remarqué son propriétaire, mais il sut tout de suite qu’quelque chose de sérieux venait de sa passer quelque part. L’homme jura, se leva d’un bon, s’approcha de l’écran plat, manipula la télécommande. Une émission spéciale de la BBC était en cours de diffusion. Sur un bandeau numérique en bas d’écran figurait le mention « Special broadcast from Tel-Aviv, Israel. « Terror attack this morning in Tel-Aviv on a bus of line 22, killing at least 47 feared dead and more than 140 injured. Stay tuned for more news »


En un quart de seconde, l’ambiance de la salle à manger changea. Les images diffusées étaient d’une telle violence que les clients reposèrent leur croissant et leur pain au chocolat. Une serveuse s’approcha, tenant un plateau vide, hypnotisée par le contenu de l’écran… « pauvres gens » murmura-t-elle… Ilan saisit son téléphone, composa le numéro de Wered, se trompa deux fois sous le coup de l’émotion, puis finalement réussi. Wered ne répondant pas, il laissa un bref message sur sa boite vocale : « C’est Ilan, J’ai vu les nouvelles, appelles-moi vite pour me dire que tout va bien » …


La réalité rattrapa vite Ilan.


Il y avait son client à voir, le train à prendre pour Amsterdam, faire ce pourquoi il était payé…Il avait senti l’angoisse prendre possession de son être, une angoisse décuplée par la distance. Quatre mille cinq cent kilomètres séparaient les deux amants. C’était beaucoup, dans ces circonstances. Des images d’autres actes terroristes commencèrent à remonter de son passé. Jérusalem, au marché, Tel-Aviv au Dolphinarium, Munich aux jeux Olympiques, Tel-Aviv, encore pas loin du quartier de Neve Tzedek…. Sa journée allait être longue, les trois jours à venir également.

Avant de quitter la salle-à-manger, il avait pu voir, sur l’écran, la carcasse calcinée de l’autobus « 22 » dans lequel la bombe avait été placée, et celle, à moitié disloqué, de l’autobus qui le suivait de près. Il avait vu d’autres images dont celles de volontaires de la Zaka qui procédaient aux opérations de collecte des restes humains, et assistaient les policiers, quand cela était nécessaire, leur remettant tel ou tel document trouvé sur le sol, tel ou tel bijou, ou objet personnel. Il fut pris de violentes nausées et dû aller respirer à l’extérieur pour se sentir un peu mieux.

Une pluie fine tombait sur le quartier de l’avenue Louise. Ilan, qui était grand admirateur de Jacques Brel, et connaissait par cœur un grand nombre de ses chansons, pensa au « Plat Pays » … « Quelle tristesse », pensa-t-il avant de grimper dans son taxi et de partir à son rendez-vous….

Amos Mandelboïm, Nahum Weinberg, et le reste de leur petit groupe avait déjà commencé méthodiquement à explorer le sol autour des deux autobus, signalant aux ambulanciers que telle ou telle personne était blessée, et telle autre malheureusement décédée.

Les deux hommes n’avaient jamais vu rien de tel. Une bombe ? Une seule ? Pas possible…Deux ? plus ? Trop tôt pour savoir…

Dans la section « off-limits » de la rue Dizengoff régnait une odeur de brûlé. On entendait le bourdonnement des radios, les ordres lancés par les médecins, les appels à la vengeance de certains, dans cette foule qui était tenue à l’écart derrière de grandes barrières métalliques apportées en urgence par un camion de la police. Les urgentistes et les policiers avaient dressé en grande hâte trois énormes tentes, une pour la Zaka, deux pour le « bouclier rouge ». Cette proportion était parlante, et indiquait qu’il y aurait probablement, plus de blessés à soigner que de personnes décédées, mais, dans les deux cas, l’horreur absolue restait l’horreur absolue. La fragile trêve entre le pays et les plus radicaux de ses ennemis, était manifestement rompue.


Parmi les badauds, Il y avait, bien sûr, des compagnes, des compagnons, des maris, des femmes, des enfants, tous venu à la recherche d’information, craignant qu’un de leur proche ne figure parmi la liste des victimes qui s’allongeait de minute en minute. Amos glissa sur une flaque de sang et atterrit face contre le sol. Sa bouche rentra en contact avec le liquide rouge, il eut immédiatement dans sa bouche un goût qui lui rappela celui du métal. Benjamin Birnbaum, que tout le monde surnommait « BB », s’approcha du corps d’une jeune fille qui gisait là, à quelques mètres de l’arrière du second autobus. Pour l’atteindre, Il avait dû écarter une jambe, privée de son propriétaire, qui devait avoir échoué à cet endroit au moment de l’explosion, ou des explosions. Le visage de la jeune fille était couvert de sang, elle tenait à la main un téléphone portable, un modèle manifestement cher, que lui-même n’aurait jamais pu s’offrir. L’appareil était en mauvais état, suite à un choc, peut-être ?

Il s’approcha du corps. La jeune fille respirait toujours, on pouvait voir sa poitrine se soulever un peu, indiquant qu’il y avait encore de la vie en elle.

Il appela de l’aide à la radio, ramassa le téléphone portable, le mit dans une enveloppe plastifiée et agrafa le tout au corsage de la victime. Le téléphone était-il celui de la victime ? C’était probable, même si Amos et ses équipiers avaient appris à se méfier des déductions hâtives. Une équipe de trois personnes du Bouclier Rouge Israélien (16), marchant par-dessus les débris qui jonchaient le trottoir, arriva en hâte vers la jeune victime. En la manipulant, ils comprirent vite qu’elle saignait, également, du dos, à la hauteur des épaules. En quelques secondes, elle était prise en charge, les deux colosses qui portaient la civière sur laquelle Wered était allongé, dans le coma, se hâtèrent vers l’ambulance des services d’urgences. L’infirmière qui les accompagnait portait bien haut un sachet plastifié contenant un liquide à perfuser.

Déjà, les hommes de la Zaka avaient repris leur tâche à la fois sainte pour ceux qui y croyaient, et morbide pour ceux qui n’y croyaient plus.



Fatigue, lumière insuffisante, destin, hasard ? Ils passèrent à dix-huit centimètres seulement d’une sorte de sac à dos, imbibé de sang et recouvert par des débris de verre et des boulons. A l’intérieur se trouvait un trousseau de clé, un baladeur électronique, un badge d’accès aux locaux de l’Université de Tel-Aviv, une lettre de sa cousine d’Australie, une facture d’électricité sur laquelle on avait inscrit « payé » avec la date du paiement, et un petit répertoire alphabétique à tranche dorée, qui contenait une centaine de noms, dont les uns étaient surlignés avec un large trait jaune fluo. Il y avait également une carte d’identité de l’Etat d’Israël au nom de Wered Finkelstajn, 18 Frug Street, 6341718 Tel-Aviv.


Personne ne vit le sac souillé, donc personne ne le ramassa tout de suite. Il est vrai qu’ils avaient, tous, d’autres priorités…en fait, il y avait tant de priorités qu’ils ne savaient plus par où il fallait commencer. Un léger vent de printemps venait de se lever, entraînant des tourbillons de poussière sur la scène de carnage. Il fallait faire vite avant que des débris étrangers aux corps ne soient déposés par le vent et compliquent la tâche.

Les hôpitaux de Tel-Aviv avaient été tous mobilisés. Les années de guerre avaient eu au moins un impact positif : la rapidité avec laquelle la ville et l’état pouvait mettre à disposition les moyens matériels de faire face à une crise, et la qualité croissante des soins, dont le but ultime était, bien sûr, le maintien de la vie par tous les moyens possibles.


Ilan Fränkel avait tenté dix-sept fois de joindre Wered par téléphone. Il avait réussi à maintenir une certaine façade vis-à-vis de son client, qui s’était montré attristé des derniers évènements dont parlaient, maintenant, toutes les télévisions. Pour Ilan, les jours fériés n’existaient pas. Il avait eu la chance d’être en affaire avec des clients qui savaient faire des entorses aux lois sociales du vieux continent. Samedi, Dimanche, peut importait, seul changeait la façon dont on s’habillait, seuls pouvaient différer les endroits de rencontres. Un bureau austère se remplaçait par un café au bord d’un canal à Amsterdam, une promenade sur Unter-den-Linden à Berlin ou bien une mini-excursion au sommet de l’Uetliberg, au-dessus de Zürich, avec chocolat chaud et petits pains au sésame. Il suffisait de se mettre d’accord, on pouvait traiter des affaires n’importe où, dans les endroits les plus improbables, comme dans les films…


Tout annuler ? Rentrer immédiatement en Israël ? Ceci aurait été totalement non-professionnel. Ilan avait pris un jour une mauvaise décision sous le coup de l’émotion, et s’était juré de ne jamais refaire la même erreur. Le téléphone de Wered pouvait ne plus fonctionner, le réseau téléphonique être endommagé, ou saturé…Il y avait tant de possibilités… Ilan s’était refusé, à tout de suite sombrer dans le drame. Il avait la vie devant lui, elle également…tout se passerait bien…Mais tout de même…pourquoi ne répondait-elle pas… ?

Oui, vois-tu, c’était effectivement un vendredi. Je me souviens du silence qui était descendu sur le reste de la ville, alors qu’à Dizengoff, tout le monde était encore au travail. Certaines victimes intransportables avaient été opérées directement sous une des deux tentes des services de secours, et attendaient maintenant d’être prises en charge par des ambulances spécialisées de l’armée.


Les soldats du génie avaient réussi à charger les restes des autobus sur deux grands châssis plats. Ils avaient été emmenés pour expertise par les artificiers et d’autres éléments de la police scientifique. Il circulait le bruit qu’un homme âgé, avec un cabas sur roulettes, pouvait avoir été à l’origine de l’explosion. L’expertise en dirait plus…

Les minutes passaient, puis les heures, le petit groupe d’Amos n’avait pas arrêté depuis son arrivé sur les lieux. Ils devaient faire abstraction de ce qu’ils voyaient, de ces visions qui seraient suffisantes pour créer une obsession morbide, chez certains. Mais eux, avaient l’habitude, et puis, disait-ils, « il y a l’Eternel » qui sait adoucir les peines, et la prière qui renforce la foi » …

S’il ne restait plus de corps sans vie, ou de blessés, à même le sol, il y avait encore du travail pour les volontaires de la Zaka…Ils devraient probablement travailler tard.


Alors qu’Amos s’apprêtait, dans le périmètre de son groupe, à terminer la collecte des restes qui, cinq heures auparavant, jonchaient la zone derrière le deuxième autobus, sa lampe torche lui avait glissé des mains, et avait roulé sur le sol, en direction d’une palette en bois sur laquelle reposaient des bastaings en béton, devant le chantier d’un bâtiment en rénovation. Dizengoff était un quartier chic et cher, les gens investissaient. Il n’était pas rare de passer dans une section de la rue un jour, et de ne rien reconnaitre la semaine suivante. Amos était un homme d’un calme olympien. Il ne jurait jamais…il jura, ce jour-là, contre sa foutue torche qui lui avait échappé des mains, et l’avait forcé à se mettre, encore une fois à quatre pattes. La lampe de poche s’était coincée entre la lame d’une pioche et un morceau de madrier en bois. Il n’eut aucun mal à la récupérer, et, au moment de la prendre en main, il aperçut, sous un tas de brindilles de bois, un sac à dos, couvert de sang, qu’il saisit immédiatement et rapporta jusqu’au véhicule de service de son groupe. Il en vida le contenu à même le sol, trouva les objets, vit le badge de Wered, ouvrit le carnet d’adresse…Une victime ? mais où donc se trouvait-elle alors ? Contacter les urgentistes pour leur donner le carnet ? Amos décida de la conserver. Il disposait de plus de temps que les urgentistes, et pourraient éventuellement en apprendre plus à la lecture du répertoire. Peut-être aurait-il dû faire autrement, mais il s’était toujours fié à son instinct. Mais, dans ce répertoire, qui fallait-il contacter ? Dans quel ordre ? Quels noms choisir ?


Amos avait eu trois garçons et quatre filles…Il mesurait pleinement l’inquiétude dans laquelle d’éventuels parents pouvaient, en cette fin de journée, être plongés, sans nouvelles de leur proche, peut-être victime d’un attentat aveugle. Il allait falloir attendre un peu …Il y avait tant de noms surlignés en jaune, mais l’alphabet hébraïque plaçait le nom d’Ilan Fränkel en dix-septième position. Rien n’indiquait que de l’autre côté de la méditerranée, dans son hôtel de charme à Amsterdam, en face du canal, sur Herengracht, Ilan Fränkel se faisait un sang d’encre.

Le lendemain matin, Ilan avait pris une décision : il n’attendrait pas de nouvelles, il allait s’en procurer. Il contacta un de ses collègues sur place à Tel-Aviv, expliqua la situation, l’incroyable silence de Wered, l’impossibilité du contact. Le collègue au bout du fil, Avi Shulmann, avait abandonné la foi depuis de nombreuses années, mais appartenait à une association d’écoute aidant souvent ceux qui avaient de lourds problèmes à déposer leur fardeau psychique au bon endroit. Il comprit tout de suite l’importance de ce qu’Ilan cherchait à accomplir. Il promit de s’en occuper…


A peine avait-elle été prise en charge par les urgentistes de la rue Dizengoff, que Wered était décédée, pendant quelques instants, avant que le défibrillateur de l’ambulance, ne la ramène à la vie, et que, peut-être également, les dix ordres d’anges de la Genèse, ne se soient concerté pour décider de laisser la vie sauve à la gentille colombe. A L’hôpital Sourasky de Tel-Aviv, son ambulance était attendue. Avant même que le véhicule qui amenait la blessée ne pénètre dans la cour des urgences, l’équipe médicale connaissait son âge approximatif, la localisation et la gravité des blessures, au front, au cou, et entre les deux omoplates.

Les urgentistes avaient fait ce qu’il fallait pour alléger une probable souffrance du corps, mais la blessée était dans un coma qui ne laissait que peu d’espoir.

« C’est la Zaka qui nous l’a signalé », indiqua le médecin qui avait assuré le convoyage dans l’ambulance qui avait amené Wered. « Ils l’ont trouvé à une quinzaine de mètres derrière le second autobus… »


Faute d’avoir une quelconque identité officielle, du moins pour le moment, Wered Finkelstajn s’était vu « désignée » par un numéro. Elle était, à son insu, devenue la victime « 37 » de la rue Dizengoff. Le portable agrafé à son corsage avait été retiré de son épingle de sûreté, inséré cette fois dans une boite en plastique sur laquelle le chiffre « 37 » avait été écrit au feutre indélébile. La boîte avait été remise, juste au moment de l’entrée dans le bâtiment, à un officier de la section informatique de la police scientifique, un de ces types capables de pénétrer, si nécessaire, les réseaux des agences de sécurité du monde entier, ceux des banques à la pointe du progrès, ou bien d’entrer dans les bases de données du Parti Communiste Chinois, ou dans la bibliothèque virtuelle personnelle du dictateur Kim Jong-Un. Il n’y avait là rien d’exceptionnel. Il fallait savoir qui était la victime, il fallait un point de départ…quoi de mieux qu’un téléphone qu’il fallait exploiter au plus vite, avec même l’espoir de découvrir des photos prises, peut-être, dans l’autobus, avant l’attentat, et qui pourraient aider les enquêteurs…


Wered Finkelstajn, la rose, la colombe, la victime « 37 » …


La blessure à la carotide, de Wered, était plus sérieuse que ne l’avait pensé le médecin urgentiste qui était présent lors de son transport, elle avait une fracture ouverte de l’omoplate gauche, et lors du court trajet entre le 100 rue Dizengoff et l’hôpital, on lui avait retiré du torse, sept boulons d’acier et trois écrous. La nuit à venir allait être décisive. Devant la porte du bâtiment où se trouvait maintenant Wered, et de nombreuses autres victimes, des patients, des anonymes, étaient venus, par solidarité, déposer des dizaines de petites bougies allumées, autant de petites flammes vacillantes, qui pouvaient s’éteindre au moindre coup de vent, comme pouvaient s’achever les vies de ceux qui avaient été frappés par l’attentat du bus « 22 ». Contre toute attente, le cœur de Wered continuait à battre.

Dans la petite salle polyvalente, attenante aux urgences, le fonctionnaire spécialiste en téléphonie, avait placé le téléphone de Wered dans une large boite en plastique qui portait le numéro « 37 ». En d’autres temps, le travail d’exploitation du téléphone aurait été effectué au siège du Shin-Beth, à Tel-Aviv, pas loin de la gare centrale. Mais là, il y avait urgence. Une petite unité de police s’était déplacée à l’hôpital, pour quelques heures, ou quelques jours.

Il fallait, tout d’abord nettoyer le téléphone du sang coagulé, trouver un chargeur adéquat, essayer de mettre en route le portable. Était-il, oui ou non, celui de la victime ? Alors que Wered était étendue, sans conscience, rue Dizengoff, les hommes de la Zaka n’avait procédé à aucune recherche permettant une quelconque identification. Une Israélienne ? Une touriste ? C’est seulement lors du passage de la jeune femme aux urgences de l’hôpital qu’en découpant ses vêtements, on avait pu procéder à la fouille des poches, mais sans trouver d’éléments permettant de savoir qui était la victime « 37 ». Elle n’était juste, pour le moment, que la 37 -ème victime à avoir été prise en charge par les services d’urgence. L’important était en premier lieu de sauver une vie….


A Amsterdam, Ilan Fränkel s’était couché tôt, sachant que le lendemain, il prenait un avion pour Berlin. Il avait laissé deux messages sur le portable de son amie, et échangé au téléphone pendant une bonne trentaine de minutes avec Avi Shulmann. « Le premier bilan indique qu’il y a eu sept victimes décédées qui pouvaient se trouver dans la tranche d’âge de Wered. Cinq ont été formellement identifiées, deux, pas encore. Le bilan total, après décompte, s’élève à soixante -deux morts et cent soixante-dix-huit blessés. Il y a encore de l’espoir Ilan. Tiens-bon. » Ilan avait raccroché le téléphone, essayé de sombrer dans le sommeil. Reverrait-il sa petite amie ?

Amos Mandelboïm avait tout laissé à la Zaka. Il avait eu sa dose pour la journée. Il était convaincu que l’Eternel ne lui en voudrait pas de prendre quelques heures de repose et d’aller se ressourcer auprès de Rachel, son épouse, celle qui était la Lumière de sa vie. Il avait sonné à la porte de l’appartement, n’ayant pas pensé à prendre ses clés avant de se rendre sur les lieux du désastre.

Quand Rachel lui ouvrit, il se mit à pleurer à grosses larmes, un chagrin comme Rachel n’avait encore jamais vu. « Du sang partout, des lambeaux de peau, des morceaux de corps, jamais, jamais je n’ai vu ça…comment est-ce possible… Oy vaï… ! » (E)


A quatre heures du matin, l’officier de la police scientifique avait réussi à nettoyer le téléphone de Wered. Il avait trouvé du sang jusque sur le micro-processeur du téléphone. Il avait rechargé la batterie, et procédé aux vérifications permettant de connaitre le titulaire de l’abonnement, une certaine Hella Fischer, qui résidait au 8, Antokolski Street à Tel-Aviv. Il y avait donc de fortes chances que la victime « 37 » soit, en effet, la personne titulaire de l’abonnement téléphonique…

…mais était-ce sûr ?


Le nom d’Hella Fischer fut communiqué à la direction de l’Hôpital et aux services de police. Ce même nom fut ajouté sur la liste des victimes « en soins intensifs » à l’hôpital Sourasky.


A l’heure où, de l’autre côté de la Méditerranée, Ilan Fränkel était en route pour l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, Amos Mandelboïm était déjà au travail à la Zaka. Alors que certains de ses collègues poursuivaient leurs tâches d’identification des victimes à partir d’objets collectés de ci et de là, d’autres plaçaient dans de grands sacs en plastique opaque, des tampons de papier absorbant saturés du sang des victimes, ou de fluides identifiés comme provenant des corps mutilés. Les éléments trouvés dans le sac à dos, une fois nettoyés, permettaient raisonnablement de penser que la propriétaire de ce sac avait été une des victimes de l’attentat…mais où était-elle ? Était-elle décédée, blessé, indemne, chez elle ? Amos avait été surpris de ne pas trouver de téléphone portable dans le sac. Il avait confié à Nahum Weinberg, son alter ego, le soin d’exploiter le répertoire trouvé dans le sac à dos.

En contactant les hôpitaux, grâce à un numéro téléphonique spécifique qui permettait un accès à une large base de données concernant les patients hospitalisé, Nahum avait tenté de vérifier si une certaine Wered Finkelstajn se trouvait hospitalisée, ou placé en chambre funéraire, mais rien n’y fit. Il avait alors commencé à éplucher le petit cahier, page par page. Il avait contacté les seize premiers noms, par ordre alphabétique, Auerbach, Bergman, Brodski, Danziger…et d’autres…trois avaient décroché, puis croyant à une mauvaise plaisanterie, avaient simplement mis un terme rapide à la conversation. Douze numéros n’avaient simplement pas répondu, un treizième correspondant avait dit à Nahum d’aller se faire voir.


Il avait finalement composé le numéro d’Ilan Fränkel, et était tombé sur sa boite vocale. Visiblement, le message d’Ilan avait été formaté pour la période de son court voyage en Europe : « Bonjour, vous êtes sur la boîte vocal d’Ilan Fränkel, vous pouvez me laisser un message. Si c’est ma future femme qui appelle, sache que je pense à toi à chaque instant, et qu’il me tarde de revenir pour te serrer dans mes bras. A plus tard ». Un sourire illumina le visage d’Amos. Il avait peut-être le début d’un commencement de piste. Il fallait absolument parler à ce Fränkel… Il laissa un court message sur la boite vocal du jeune Israélien en déplacement en Europe : « Bonjour Monsieur Fränkel, je suis Nahum Weinberg, de la Zaka…J’aimerais vous parler. Auriez-vous la gentillesse de me contacter dès que possible ? »

A l’hôpital Sourasky de Tel-Aviv, la victime numéro « 37 » était toujours dans le coma, reposant sur un lit médicalisé, reliée à toute une batterie d’appareils électroniques. Dans la petite salle à part, où travaillait, sur place, un officier de la police scientifique, le téléphone du Wered Finkelstajn avait commencé à livrer ses secrets les plus intimes. Dans la liste des contacts figuraient beaucoup de noms, probablement plus de trois-cent. C’était beaucoup, cela prendrait du temps. L’officier avait connecté le téléphone de Wered à une imprimante portable. Il cliqua sur son écran, la petite machine se mit à inscrire sur une feuille A4 la liste des numéros de téléphone de tous ceux qui, visiblement, étaient en relation avec Wered.

Au bureau des admissions de l’hôpital Sourasky, et dans une demi-douzaine d’agences gouvernementales, sur la liste des victimes de l’attentat, mise à jour toutes les heures, à côté du numéro « 37 » et du nom « Hella Fischer », un gros point d’interrogation indiquant le doute, venait d’être ajouté…

Ilan Fränkel avait atterri à Berlin-Tegel. Il devait y commencer sa journée de travail. Passerait-il , ensuite, par Bonn ??

Il avait ajusté les réglages de son smartphone de façon à pouvoir reprendre le contact avec le monde, une fois sorti de son avion, qui l’avait amené à Berlin, d’un coup d’ailes, depuis Amsterdam. Une avalanche de tonalités différentes et de double-bips confirma que le téléphone d’Ilan était de nouveau en contact avec le monde.


L’espace Schengen avait un avantage, il n’y avait pas de queue à effectuer pour un quelconque contrôle des passeports, et, pour se déplacer en Europe, il utilisait le passeport Français auquel il avait droit au titre de binational. Comme tout bon Israélien, Ilan détestait faire une quelconque queue… ! Il avait profité du temps d’attente de la navette qui l’amènerait en ville, pour éplucher, l’un après l’autre, les messages laissés sur la boite vocale de son téléphone. Dix-sept appels depuis qu’il avait quitté Amsterdam…L’un avait tout de suite attiré son attention, un certain Nahum Weinberg, appartenant à la Zaka… « Amos a vraiment de la suite dans les idées…à croire que la Zaka manque de volontaires……et puis, je ne suis pas orthodoxe, loin de là, et je n’ai pas grand-chose à leur offrir, en dehors de mon temps libre, et encore…… » Mais dans un coin de son cerveau, Ilan avait déjà décidé de contacter Nahum Weinberg, à son retour à Tel Aviv. Pour le moment, il était important de savoir si son ami Avi Shulmann, avait pu avancer et trouver des nouvelles concernant Wered. Dans sa liste de contact, il sélectionna le numéro d’Avi, mais l’appel n’aboutit pas : les réseaux de téléphone mobiles en Israël, devaient être saturés. Ilan se mit à espérer…Peut-être Avi a-t-il pu faire le tour des hôpitaux, chercher sur des listes, contacter le bouclier rouge, utiliser ses connaissances au Shin-Beth. Pourquoi Wered aurait-elle été fauchée dans un attentat ? Qu’avait-elle fait pour mériter de mourir ? Ce n’était juste pas possible. Wered était une battante, elle n’était pas morte.


Depuis trois jours maintenant, la rue Dizengoff était fermée au public. Le nombre d’hommes de la Zaka avait été réduit, et juste une vingtaine de « religieux » portant une kippa, les tsitzits dépassant de la ceinture du pantalon, battaient encore le pavé à la recherche d’éléments qui devaient faire l’objet d’un traitement particulier, dans la droite ligne de la Halacha (17). Une tente portant le logo du Shin-Beth avait été déployée en plein milieu de la rue, à la hauteur du numéro 120. De temps à autres, on pouvait voir des hommes entrer et sortir, portant des documents, apportant des sacs de débris métallique, des morceaux de ferraille tordus, des caissettes en bois contenant des boulons et des vis de toutes tailles, et aspects. La mort s’était éloignée. Il restait maintenant à comprendre ce qui s’était passé. Les artificiers avaient déjà établi que contrairement à leur première approche qui semblait favoriser l’action d’un seul terroriste, il y avait eu en fait deux hommes, et une femme dans le premier autobus « 22 ». Un homme âge, une femme d’une cinquantaine d’année, et un homme plus jeune, peut-être même une famille ? Acte réfléchi ? Terreur aveugle ? La femme était assise à l’arrière du premier autobus. Le déclenchement de la bombe qu’elle portait sur elle avait été suffisant pour tuer neuf personnes, endommager l’avant de l’autobus dans lequel se trouvait Wered, et tuer le chauffeur.


Le docteur Rafi Weinberg était un drôle de toubib. Il avait huit ans de moins que la moyenne de ses collègues de l’hôpital Sourasky. Il était aussi laïc que son père était orthodoxe. Il n’y avait pas eu de conflits de génération. Rafi, Raphaël, Weinberg avait simplement décidé, un jour, de prendre sa vie en charge. Il avait fait ses études de médecine, pris deux ans pour faire le tour du monde sur un voilier, fait la vie pendant six autres mois, et faisait partie du personnel médical de l’Hôpital Sourasky depuis trois ans. Il excellait dans sa spécialité, la neurochirurgie mais savait, bien sûr, recoudre n’importe quelle plaie, enlever à leur hôte des saloperies de tumeurs, rattacher des membres, dans certains cas, trépaner, sauver des enfants, des vieillards, des femmes et des hommes de toutes croyances et origines, que la vie plaçait régulièrement sur son chemin, comme s’il s’était agi de quelques épreuves « initiatiques ». Rafi Weinberg aurait soigné le monde entier, si on l’avait laissé faire. Il devait, dans peu de temps, quitter temporairement Tel-Aviv pour rejoindre une organisation humanitaire juive de Chicago, et y exercer ses talents et son humanisme, histoire de se dire qu’il faisait quelque chose pour les autres…sans oublier de se faire plaisir… La place à Miami avait été prise, était resté celle dans la grande métropole du nord des Etats-Unis, près du quartier de Greek Town de Chicago.

Wered avait ouvert un œil : elle eut du mal à articuler sa phrase « J’ai mal, j’ai si mal, ou suis-je ? » Le docteur Weinberg fit un signe discret à une infirmière qui ne s’affairait pas loin du lit de Wered. « Donnez-lui ce qu’il faut pour la douleur, voulez-vous ? »


L’infirmière sourit et s’exécuta rapidement.


« Comment vous appelez-vous » avait demandé le docteur Weinberg, d’une voix qui se voulait douce… »

La blessée, visiblement encore sous le choc, avait répondu d’une façon curieuse… « Je m’appelle colombe, je suis une colombe de paix…J’ai quitté l’arche pour aller trouver la terre sèche… »

Avait-elle perdu l’esprit ? était-ce le choc lié à l’attentat, ou une sorte de délire induit par les antalgiques ?

« Que s’est-il passé ? » demanda Wered, toujours en articulant avec difficulté. Rafi Weiberg avait tout de suite vu que cette femme était particulière. Son corps était meurtri, mais il y avait dans ses yeux une incroyable lueur, une petite flamme qui ne pouvait pas s’éteindre, pas aujourd’hui, pas demain. Rafi su que Wered ne baisserait pas les bras.


Il mit de côté la question de l’identité de sa patiente et commença…


« Vous avez été victime d’un attentat dans l’autobus « 22 », vous avez été retrouvée à une quinzaine de mètre du deuxième autobus. C’est la Zaka qui vous a trouvé, et qui a immédiatement appelé l’équipe de secours qui vous amené à l’hôpital, avec d’autres victimes. Sans eux, vous seriez probablement morte. Même si nous vous avons pris en charge, c’est certainement à eux que vous devez d’être vivante. Nous avons retiré de votre corps de nombreux boulons d’acier, une bonne quantité de vis, vous aviez une fracture ouverte de l’omoplate, dont nous nous sommes occupés. Il a fallu également suturer cette vilaine blessure à la carotide, et recoudre la peau. La plaie au front n’était pas trop grave. Si vous êtes croyante, remerciez vos anges, si vous ne l’êtes pas, remerciez la Zaka qui s’est trouvé à vos côté. Les services d’urgences étaient débordés »


Wered accusa le choc. L’antalgique puissant que l’infirmière avait introduit dans sa perfusion faisait déjà de l’effet. « C’est du Néfopam » (18) indiqua le docteur Weinberg…. « Vous aurez droit à la même dose dans quatre heures. Je vois dans vos yeux que vous vous en sortirez. Vous êtes forte. Puis-je faire quelque chose pour vous ? »


La jeune femme eut de nouveau du mal à articuler, comme si elle allait rapidement quitter ce monde. Le docteur Weinberg savait que l’antalgique resterait dans son corps pour trente-six heures au moins. Il ne s’inquiéta pas mais s’approche de Wered quand il vit qu’elle voulait dire quelque chose…. Il lui prit la main, gentiment, et renouvela son offre : « que puis-je faire pour vous ? » Wered lui fit signe d’avancer vers elle, et dit simplement…. « La colombe, la colombe de l’arche de Noë, la colombe, prévenez Ilan Fränkel, il comprendra, dites-lui que vous avez parlé avec la colombe, dites-lui que la colombe est vivante… » alors, comme si la vie venait de disparaître de son corps, elle sombra de nouveau dans le coma.


Le docteur Rafi Weinberg ne s’était jamais totalement coupé de sa famille, en dépit de différences religieuses et philosophiques qui l’opposaient depuis toujours à son père, Nahum Weinberg, membre de la Zaka depuis aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir. Comme beaucoup de ses amis, et de ses collègues de cette étrange et unique association, Nahum Weinberg craignait dieu et avait passé son enfance dans le milieu très orthodoxe de Bnei Brak, un quartier de la banlieue de Tel-Aviv, près de Ramat Gan. Rafi avait passé plusieurs mois sans contacter sa famille. Il en avait été exclu. Mais il avait eu l’intelligence, une fois ses diplômes obtenus, de reprendre contact avec ses frères et sœurs, et sa mère avait joué un rôle important de négociateur pour permettre à Rafi de reprendre sa place au sein de la structure familiale et d’être de nouveau le bienvenu, les vendredi soir, quand il n’était pas de garde, ou voyageait pour se rendre à un congrès. Nahum Weinberg avait pardonné la désertion. Il se savait malade, et ne voulait pas prendre le risque de partir sans avoir fait la paix avec son fils aîné, Raphaël, le chirurgien courtisé de l’hôpital Sourasky.


Rafi Weinberg avait terminé son service. Pour cause d’attentat, il avait déjà fait le tour du cadran, procédé à treize opérations dont quatre n’avaient pas permis de garder en vie les victimes, horriblement mutilés. Rafi s’était souvenu de son temps dans l’unité médicale de l’armée. « Je n’ai jamais vu des blessures pareilles » avait-il mentionné à l’anesthésiste qui travaillait à ses côtes. Dans les moments les plus intenses de sa vie, Rafi s’interrogeait toujours pour savoir s’il avait fait le bon choix en épousant la laïcité. Il lui semblait que si un quelconque dieu existait, il n’aurait jamais permis que de telles horreurs puissent prendre place…Cela l’interpellait à chaque fois, et après quelques instants de réflexion profonde, la même conclusion s’imposait à lui … « dieu n’a rien à voir avec tout ça, ce sont les hommes qui génèrent le chaos, c’est sûr ». Alors, satisfait de son raisonnement, et de la sécurité que cette « vérité » lui apportait, il reprenait le cours de sa vie. Il est vrai qu’il avait mal vécu cette jeunesse loin de sa famille, mais il se félicitait également, au même instant, d’avoir pris sa propre vie en main, et d’avoir progressé, loin des interdits de l’orthodoxie pure et dure.

« Dites-lui que vous avez parlé avec la colombe, il comprendra…Prévenez Ilan Fränkel… » Les paroles de Yona, la patiente « 37 » lui étaient restées dans l’esprit. Des mots étranges, presque incongrus, qui n’avait probablement d’autre origine que l’étrange état induit par les médicaments et les antalgiques perfusés dans le corps de la jeune femme. Il savait par expérience que certains cocktails médicaux pouvaient altérer, temporairement, la raison la plus solidement établie.

(L'hôpital Ichilov, de Tel-Aviv, qui fait partie du complexe hospitalier)


Ilan Fränkel se préparait à quitter Berlin. Il s’était octroyé deux heures de temps libre pour les passer dans un café du Ku’Damm (19). A chaque fois qu’il se déplaçait en Europe, il se donnait toujours un peu de temps pour faire le vide dans sa tête. Il avait passé quatre heures avec trois clients, deux hongrois, un serbe, et essayait maintenant de se vider l’esprit.

Il venait parfois en Allemagne, mais toujours à reculons. Il se souvenait de plusieurs séjours qu’il avait fait à Bonn, à l’hôtel Dreesen, devant le Rhin. La grande salle à manger avait conservé ses boiseries d’origine, et le souvenir de « l’élite » du parti Nazi avait souvent tournoyé devant les yeux d’Ilan qui connaissait l’histoire de ce lieu particulier où Adolf Hitler avait rencontré Neville Chamberlain. « Tout est vrai » s’était-il dit. « Quelle horreur, ils auraient dû détruire l’hôtel… » Mais « ils » n’avait rien détruit, et à la terrasse de l’Hôtel Dreesen de Bad Godesberg, Ilan avait bu plusieurs « Kellerbier », de la bière non-filtrée, un truc incroyable qui l’avait rendu un peu accro, sans pour autant le réconcilier avec l’Allemagne.

Il avait appelé Avi Shulmann, encore une fois. L’homme au bout du fil lui avait confirmé qu’il cherchait toujours des nouvelles de Wered Finkelstajn. Il avait également dit à Ilan que d’après ses contacts au Shin-Beth, certaines victimes vivantes n’étaient pas encore en état d’être formellement identifiées. « Merci Avi…je repars demain soir. Je serai à Tel-Aviv après demain matin, très tôt. Appelle-moi si tu as quelque chose entre temps. »

Avi avait promis.


Brave Avi.


C’était un deux ceux sur qui Ilan avait toujours pu compter, quelle que soit sa propre situation. C’était un homme d’honneur, comme l’étaient souvent ceux qui avaient vécu des expériences particulières, dont on ne devait pas parler. Ilan savait qu’Avi avait côtoyé la mort bien des fois, au service du pays. Les deux hommes s’étaient souvent retrouvés, dans un restaurant de plage qui n’avait pas d’âge, près de la mer, à Naharya. Dans un espace protégé du temps, des pisse-froids, et des fâcheux de tout poil, Ilan et Avi avaient souvent parlé de leur vie, trahi des secrets pour le meilleur, et tu de mauvais souvenirs du pire.

Dans la mémoire de Rafi Weinberg, les légendes et histoires de la Genèse avaient refait surface, comme si Yona, la patiente « 37 » avait déclenché un étrange mécanisme… La colombe, Noé, l’arche, Le Buisson Ardent, l’Exode, les plaies d’Egypte, la construction du Temple, tout remontait maintenant, y compris les souvenirs de sa Bar-Mitzvah (20). Il n’avait rien oublié de ce qu’il avait appris en d’autres temps, bien avant maintenant, quand il habitait encore à Bnei Brak.

Depuis qu’il avait renoué avec son père, Rafi Weinberg respectait son engagement d’appeler, chaque milieu de semaine, tant pour se manifester, que pour faire parler Nahum son père, en espérant en apprendre un peu plus sur l’évolution de la maladie dont il était atteint, une saloperie de fibrose pulmonaire, un truc dont on ne réchappait pas, et qui allait bientôt rendre la vie du vieil homme intolérable.

Le téléphone avait sonné dans l’appartement de Nahum Weinberg, membre de la Zaka, homme craignant dieu, un « frum », un religieux, une belle âme qui avait dédié son temps libre au service des victimes, et au Hésed Chel Emet, le respect dû aux morts.



Nahum avait décroché :

« ערב טוב אבא, Erev Tov, Bonsoir Père » avait dit Rafi, le chirurgien de l’Hôpital Sourasky…alors ils avaient devisé pendant une quinzaine de minutes, parlant de tout et de rien, et, bien sûr, de l’attentat, de la haine, des morts, des blessés, des parents en souffrance, des enfants qui ne souffriraient plus….

« Il m’arrive une curieuse histoire, Abba (21) …Une de mes patientes m’a dit s’appeler la colombe de la paix, et elle m’a demandé de prévenir un certain Ilan Fränkel…elle devait délirer, colombe de la paix ? ce n’est pas un nom…A quoi penses-tu si je te parle d’une colombe ?

Alors, Nahum Weinberg qui connaissait la Torah sur le bout des doigts et du cœur lui répondit simplement, comme lorsqu’il le préparait pour la cérémonie de sa majorité religieuse, il y avait bien longtemps…. « La colombe ? Et la colombe ne trouva pas de repos pour la plante de ses pieds, et elle revint dans l'Arche, car il y avait de l'eau sur la surface de toute la terre ; il la prit, il la ramena dans l'Arche. Il attendit encore sept jours, et il envoya la colombe de l'Arche. Elle vint vers le soir, et voici qu'elle tenait une feuille d'olivier dans sa bouche, et Noé sut que les eaux avaient diminué de la terre. Il attendit encore sept jours, il envoya encore la colombe, qui ne revint plus... C'est alors que Noé ouvrit le couvercle de l'Arche. Il constata par lui-même que la terre était sèche... D-ieu parla à Noé et lui dit : "Sors de l'Arche... multipliez-vous sur la terre. ""

Et, comme si cela eut aussi fait partie de ce passage de la Genèse, Nahum Weinberg ajouta simplement : « Fränkel ? Ilan Fränkel ? Je connais ce nom….je lui ai laissé un message sur la boite vocale de son téléphone, lui demandant de me rappeler…une coïncidence ? Nous avons trouvé un répertoire téléphonique sur lequel figurait son nom….. !!! »

Nahum Weinberg ne croyait pas aux coïncidences, Rafi Weinberg faisait semblant d’y croire. Pour Nahum Weinberg, Ilan le contacterait…ou pas. Nahum n’était pas homme à forcer le destin. Rafi Weinberg avait salué son père, souhaité un bon shabbat à venir, puis était retourné à son appartement du 58 de la rue Hakovshim, tout près de la mer.

C’était un duplex sur les toits d’un immeuble. De sa terrasse, Il voyait passer les avions qui se préparaient à se poser à Ben-Gurion. Il voyait aussi, et c’était mieux, les rouleaux et les paquets de mer qui, les jours de grand vent, venaient mourir sur la plage de Banana-Beach.

Avant de préparer son gin-tonic, et de s’asseoir sur la terrasse du sixième étage pour regarder le soleil se coucher, Rafi prit son téléphone, appela l’hôpital Sourasky, se fit mettre en contact avec l’officier de police qui gérait, sur place, les informations concernant l’identification des victimes. Le fonctionnaire décrocha, Rafi s’identifia et délivra son message d’une voix claire : « Pour la patiente «37 » pouvez-vous rajouter à côté du nom « Hella Fischer », et du point d’interrogation, la mention « Yona, la colombe, et le nom Ilan Fränkel. Nous sommes peut-être sur une piste… » Ce soir-là le Gin-Tonic eut un goût particulier…On avance, se dit Rafi Weinberg….


Rejoindre la Zaka ?

Cette curieuse interrogation restait dans l’esprit d’Ilan Fränkel. Il se réveillait avec ce questionnement, s’endormait avec, une fois mise de côté l’inquiétude légitime qu’il ressentait devant le manque de nouvelles de la part de Wered Finkelstajn. Il y avait dans cette interrogation une espèce de dualité dont il ne comprenait pas le sens, faite de fascination, et de dégoût, d’intérêt, et de peur. On lui envoyait un signe ?

Et si Wered était morte ? Si personne ne savait ce qu’elle était devenue ? Et si, soudainement, un autre homme avait décidé de partager le futur avec elle ? Et si, et si, et si ……Il y avait des moments, dans la journée, pendant lesquels l’inquiétude devenait tellement envahissante qu’Ilan en perdait ses mots, et son sens des affaires. Il sortait de sa poche un petit comprimé blanc de Lorazepam, le plaçait sous sa langue, et le laissait fondre en essayant de ralentir les battements de son cœur.


Rejoindre la Zaka….

Il trouvait que ce Nahum Weinberg avait un certain culot, et qu’Amos Mandelboïm, probablement derrière toutes ces manigances, pour lui forcer la main, et l’obliger à rejoindre les rangs de l’organisation Zaka, faisait preuve d’un incroyable « chutzpah » (22), Mais, après réflexion, ce n’était pas tellement anormal, et cette pensée fit sourire Ilan. « Il est un peu tard pour appeler maintenant » se dit-il, je le contacterai demain matin, à mon arrivée à Zürich.


Ilan Fränkel était arrivé » trente minutes en avance à la gare de Berlin Hauptbanhof. Il aspirait à sa nuit en voiture-lit, dans l’un des nouveaux trains mis en circulation entre Berlin et Zürich par la compagnie Autrichienne ÖBB. Quand il était en Europe, Ilan préférait le train, une manière bien à lui de faire durer le voyage plus longtemps, et de s’échapper des contingences du monde. Il avait envoyé un SMS à son ami Avi Shulmann, lui précisant qu’il serait injoignable jusqu’au lendemain matin, quand il serait arrivé dans la grande ville Suisse. Il s’était calé dans le lit de son « single », avait ouvert à la page 293 son édition Allemande du « Hitler Mythos », un livre historique de l’écrivain Ian Kershaw. C’était Wered qui lui avait donné le virus de la recherche. Il lui fallait comprendre, pourquoi, comment, qui… Alors, il se replongeait régulièrement dans la longue histoire de cette « grande tragédie ». Mais quand il tourna la page 327, alors que le convoi, en route pour la Suisse, traversait la grande banlieue de Berlin, les yeux d’Ilan Fränkel se fermèrent avec l’aide d’un cachet blanc de Lorazepam. Il eut le réflexe d’appuyer sur le bouton de la veilleuse. Il n’y avait plus que le chuintement discret des roues sur les rails, et le confort du lit aux draps souples. Il n’y avait plus que le sommeil…Demain, il avait prévu de rencontrer ses trois clients Suisses, et vingt-quatre heures plus tard, de prendre un vol de nuit pour rentrer dans ce « chez-lui » qui n’était pas chez lui.


En passant, tôt le matin, la petite ville Suisse de Kreuzlingen, le train de nuit avait ralenti sa marche. La différence d’allure avait réveillé Ilan. On avait frappé à la porte de sa cabine. Ilan avait ouvert, encore un peu endormi. L’employé, un Italien, s’était adressé à lui dans un Allemand impeccable : « Hallo, es ist Frühstückszeit ». Bonjour, c’est l’heure du petit déjeuner. « Wir werden in vierzig Minuten in Zürich ankommen » Nous arriverons à Zurich dans quarante minutes…Ilan avait remercié, facilité l’installation du plateau sur la tablette repliable, et avait, une fois la porte de la cabine refermée, commencé à s’habiller. Au moment où il portait à sa bouche la tasse de café en porcelaine blanche monogramée au logo de la compagnie ferroviaire, le rêve qu’il avait fait le rattrapa, un rêve confus dans lequel il était question, il se souvenait, de Torah à traduire en Allemand, de Rabbin qui ne portait pas de châle de prière, ni de kippa, ni même de vêtements noirs. Dans son rêve, il avait accepté de donner à la Zaka, dix heures par semaine, de son temps, pour se sentir mieux avec lui-même. « Drôle de rêve » se dit-il….

Il pensa aussitôt que la cause en était le questionnement qui ne le quittait plus…et pour la première fois, il envisagea :

Rejoindre la Zaka ? Pourquoi pas…


Le convoi d’Ilan en provenance de Berlin s’était immobilisé sur la voie 13. Ilan en était descendu, et, sorti de la gare, avait hélé un taxi pour se faire conduire à l’hôtel Florhof, dans la vieille ville.

Les vieux hôtels… !

C’était une gentille manie d’Ilan, qui ne se sentait bien que dans des établissements chargés d’histoire. Il avait une passion pour les hôtels victoriens, fuyaient les machins modernes avec plus de cinq étages. Que ce fut à Zurich, Lausanne, Neuchâtel, Lenke, ou Wengen, dès qu’il s’agissait de réserver un hôtel, il apportait le plus grand soin à choisir « le » bon établissement, un endroit où il se sentirait bien, quelle que fut la durée de son séjour. Le Florhof était une belle bâtisse dont la construction remontait à 1909…Ilan aimait se sentir en contact avec le passé…Il avait pour la Suisse un amour presque aussi inconditionnel que celui qu’il ressentait pour sa terre d’adoption, entre le Liban et l’Egypte.

Il avait le temps, avant son rendez-vous de midi, dans un restaurant au sommet de l’Uetliberg, la « petite montagne » qui culminait à 869 mètres au-dessus de Zurich. On y accédait par un petit train, en quelques minutes. Ilan aimait voir l’horizon. Du sommet, on pouvait voir le lac et la ville de Zurich qui s’étalait au pied du mont Ueli, avec les Alpes comme toile de fond. Plus d’une fois, Ilan était venu là, parfois en hiver, d’autres au printemps. Il attendait avec impatience l’heure de se mettre en route. Il avait pour habitude d’arriver toujours sur place avant ses clients. Cela lui donnait la possibilité de vérifier la « quiétude » de l’endroit…

Ilan essaya de contacter Avi Shulman…..il ne put que laisser un message sur la boite vocale du téléphone de son ami : « Avi, je suis à Zurich, appelles moi si tu as des nouvelles de Wered »

Son inquiétude concernant Wered, sa colombe, ne s’était pas effacée avec la nuit. Dès son réveil dans le train, son estomac était devenu douloureux. Il connaissait bien ce symptôme. Le Maalox n’avait pas fait grand-chose.


« Rejoindre la Zaka. ? Sacré Amos…Quel culot…Je vais appeler ce Weintruc, Weinberg, ce Nahum qui m’a laissé le message… »


Il faisait beau sur Zurich, la petite réceptionniste du Florhof était toute mignonne, dans sa jupe noire et son chemisier d’un blanc immaculé. Ilan se souvenait d’elle, ils avaient bavardé ensemble lors de son précédent séjour. Ce matin, elle lui avait fait un large sourire, comme si elle éprouvait un authentique plaisir à voir le voyageur.

Il se souvenait qu’elle était Tchèque, et que son prénom était Ditka…

« Ahoj, je hezké te ase videt » ….

Bonjour, je suis content de vous voir…lui avait-il dit, en remplissant son formulaire de check-in…


Pour on ne sait quelle raison, la vision de Ditka l’avait mis de bonne humeur…Il repensa à son appel téléphonique….

« Je vais rester cool » pensa Ilan « après tout, on ne sait jamais…et puis cet homme ne m’a rien fait…allez, je l’appelle… »


Le numéro de téléphone de Nahum Weinberg, le bras droit d’Amos Mandelboïm, figurait sur le journal des appels du « smartphone » d’Ilan. Il n’eut juste qu’a cliquer sur « call »

De l’autre côté de la mer, le portable de Nahum Weinberg se mit à sonner. Nahum détecta tout de suite que l’appel venait de Suisse : le numéro commençait par +41…

« Qui peut bien m’appeler » se demanda-t-il ?

Il décrocha :

- « שלום, אני מקשיב, Shalom, j’écoute…

- « Bonjour, vous êtes Nahum Weinberg ? je m’appelle Ilan Fränkel…Je suis une connaissance d’Amos Mandelboïm…Ne me dites pas qu’il vous a suggéré de me contacter pour m’enrôler dans la Zaka, n’est-ce pas… »

Ilan avait essayé de mettre de la douceur et de l’humour dans le ton de sa voix, mais ce n’était pas simple…

« …parce que, si c’est le cas, autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas du tout le type de profil que vous recherchez…je n’ai pas mis les pieds dans une synagogue depuis six ans, je ne mange pas cacher, je travaille les samedis quand c’est nécessaire, je n’ai rien contre les goys, les gays, en plus, je déteste le consommé de poulet et le gefilte fish. En plus, je choisirai moi-même la femme de ma vie…et elle ne portera certainement pas de perruque… »


Ilan avait débité sa tirade presque sans reprendre sa respiration. Un moyen comme un autre de se libérer rapidement de cette « obligation » de retourner l’appel téléphonique de Nahum.

Pendant un quart de seconde, il regretta la dureté de ses mots, mais la seconde d’après, il se souvint d’un passage par Mea Shéarim (**), le quartier Orthodoxe de Jérusalem, quand Wered avait reçu des pierres de la part des religieux qui pensaient qu’elle n’était pas vêtue de façon assez « modeste » ……

A l’autre bout du fil, Nahum Weinberg laissa un grand silence s’établir.

« Monsieur Weiberg, vous êtes toujours-là ? »

Nahum se racla la gorge…et commença …ce n’était certainement pas la meilleure façon de commencer une conversation…


« Be Ezrat HaShem, avec l’aide de d-ieu, Ilan Fränkel, je ne suis même pas sûr que la Zaka voudrait de vous pour nettoyer ses véhicules…mais je vais quand même vous dire pourquoi je vous ai contacté.

Après l’attentat du bus « 22 », mon équipe et moi-même avons trouvé sur le trottoir, un sac à dos contenant plusieurs objets dont un badge d’accès aux locaux de L’Université de Tel-Aviv, un trousseau de clé, une carte d’identité, et un répertoire téléphonique dans lequel figurait votre nom et votre téléphone. Il semblerait que nous ayons identifié la propriétaire de ce sac, une certaine Wered Finkelstajn, en tout cas il s’agit d’une jeune femme qui nous a demandé de prévenir un certain Ilan Fränkel. Mon fils, chirurgien à l’hôpital Sourasky a reçu d’elle une étrange mission qui vous parlera peut-être. Cette jeune femme connue jusqu’à présent comme la victime « 37 » nous a demandé de transmettre le message suivant à un certain Ilan Fränkel : -dites-lui que vous avez parlé avec la colombe, il comprendra-.

Nous n’avons pas vu nous-mêmes la victime, il semblerait que cette personne soit depuis le jour de l’attentat, au service d’urgence de l’hôpital Sourasky, où personne ne connait encore sa véritable identité. Voilà le sens de mon appel, Monsieur Fränkel, il s’agit de compassion, d’aide aux blessés, de respect des principes du Judaïsme, et non d’un quelconque appel à du volontariat…

Sachez en plus qu’on ne rentre pas comme cela à la Zaka. Nous sommes à la recherche de qualités humaines qui sont rares…Si vous pensez connaître la personne dont je vous parle, faites le moi savoir rapidement. Elle est blessée, mais toujours vivante…pour le moment… je vous souhaite une bonne journée Monsieur Fränkel, avec ou sans l’aide de D-ieu »


Dans un geste d’exaspération, Nahum Weinberg avait raccroché.


A L’hôtel Florhof de Zurich, le cœur d’Ilan Fränkel s’était arrêté de battre. Il s’était senti enveloppé dans une sorte de fin linceul glacé.

Wered…blessé…morte peut-être, à l’instant où il venait de raccrocher. Il eut soudainement honte, appela tout de suite Avi Shulmann, l’homme sur qui il pouvait compter dans un moment aussi intense.

Shulmann décrocha son téléphone et eut droit à un flot ininterrompu de mots de la part d’Ilan. « Wered, Sourasky, la patiente « 37 », elle dit s’appeler la colombe, c’est elle, je suis sûr, Il faut l’identifier, va à Sourasky, demande à voir le docteur Weinberg, fais vite pour l’amour du ciel… appelles moi quand tu l’auras vu, quand tu seras sûr que c’est elle, dis-lui que demain, je serai là, demain, c’est promis. »


Ilan s’efforçait de respirer normalement. L’espoir était de nouveau d’actualité. Curieusement, cet espoir était apparu par l’intermédiaire d’un « zakiste », une improbable rencontre téléphonique…mais Ilan, le presque athée, savait au fond de lui que les choses se passaient quand et comme elles devaient se passer. C’était une sorte de vision du monde que lui avait enseigné Wered.


L’amour du ciel ?

Depuis bien longtemps, Ilan n’avait pas prononcé une telle prière… Il lui avait paru étrange d’évoquer ce concept, alors qu’il était si loin d’une quelconque spiritualité…


Il était sorti de l’hôtel, avait décidé de marcher jusqu’à la gare centrale de Zurich, une promenade de printemps, quinze minutes d’un bon pas. Il se souvenait que pour monter à l’Uetliberg, il y avait un train toutes les 20 minutes. Il avait embarqué sur un petit tortillard en livrée rouge et orange de la compagnie SZU qui exploitait la toute petite ligne composée de 9 stations seulement réparties sur une distance d’une quinzaine de kilomètres. Ilan, était fan inconditionnel des chemins de fer de montagne, et avait parcouru toutes les lignes à crémaillère de la patrie de Guillaume Tell. Cette petite escapade n’était pas pour lui déplaire. Il avait fixé rendez-vous à ses clients Suisses dans un restaurant qui portait le curieux nom « d’Oto Kulm ». Il devait tenir bon, penser aux affaires, mettre de côté, pour quelques heures encore, les visions imaginaires d’une Wered ensanglantée, reposant à même le trottoir, rue Dizengoff, à Tel-Aviv.

Alors qu’Ilan Fränkel recevait à déjeuner ses trois clients helvètes, dans le restaurant d’altitude, d’où on avait un incroyable point de vue sur la ville de Zurich, le lac, avec la chaîne des Alpes comme horizon, Avi Shulman avait enfourché sa moto, une vieille BSA datant des années 1960, qu’il briquait régulièrement et entretenait avec amour. Il s’était faufilé dans le trafic de Tel-Aviv, avait réussi à trouver le bâtiment des urgences de l’hôpital Sourasky, en dépit des panneaux indiquant des directions contradictoires, une curiosité typiquement Israélienne. Il avait sorti son badge d’officier de l’AMAN (23), l’avait présenté aux gardes de sécurité qui barraient l’accès du service à qui n’avait pas qualité pour y pénétrer. Au bureau des admissions, il avait tout de suite demandé à joindre le Docteur Weinberg, arguant d’un cas de vie et de mort. Il avait un peu exagéré bien sûr.

Rafi Weinberg était en train de se laver les mains. Il venait de pratiquer une chirurgie digestive sur un homme de quatre-vingt-trois ans, atteint d’un cancer en stade 3, et s’était plongé, dès sa sortie du bloc, dans des considérations philosophiques concernant le libre arbitre, la valeur de la vie humaine, et la psychorigidité de certains qui avaient, il y a longtemps, établi des règles incontournables pour retarder « la mort ». Le gardien de la sécurité s’était approché de lui et l’avait tiré de ses pensées, alors qu’il se séchait les mains avec une grande serviette jetable en non-tissé, au monogramme du groupe hospitalier. « Docteur Weinberg, il y a un officier de l’AMAN qui vous attend, il dit que c’est urgent, il dit qu’il a des informations de la part de votre père »

Rafi sentit son cœur cogner dans sa poitrine, il ressentait un curieux mélange de curiosité et d’anxiété. Il jeta sa serviette en non-tissé, se défit de sa blouse et dit simplement au gardien : « je vous suis ».

"Des informations de la part de mon père ?"

"Un officier d’AMAN ?"

"Des mauvaises nouvelles ? "


Le docteur Rafi Weinberg n’aurait jamais imaginé qu’un officier de l’AMAN, le service des renseignements militaires, put s’habiller comme un hippie des années soixante-dix.


Il est vrai qu’Avi Schulmann détonnait dans son environnement. Ses supérieurs avaient bien essayé de lui faire adopter une tenue un peu plus réservée, mais rien n’y faisait. Le dossier exemplaire de ses états de service avait plaidé pour un « non-lieu » vestimentaire et Avi portait, avec une certaine classe, un pantalon en toile de jean, une sorte de veste militaire kaki, des baskets qui devaient accuser une bonne dizaine de milliers de kilomètres, un T-shirt aux armes d’une fraternité universitaire de Buffalo, dans l’état de New-York, et un collier en ambre, de type « ras de cou ». Il était assis dans la salle d’attente du service des urgences. Quand il vit le médecin, il se leva immédiatement, montra son identification militaire, sur laquelle figurait son grade de « Seren », capitaine, tendit la main et fixa Rafi Weinberg dans les yeux. Il y eu un échange de regards qui dura deux ou trois secondes, pendant lequel les deux hommes ne parlèrent pas, puis Avi commença :

« Docteur Weinberg, un de mes amis, Ilan Fränkel vient de me contacter de Suisse. Il avait eu votre père au téléphone quelques instants auparavant. Ne me demandez pas comment ou pourquoi ils se connaissent, je n’en sais rien. Votre père, qui est volontaire à la Zaka, m’a-t-il dit, a indiqué détenir des informations concernant une de vos patientes que vous n’avez pas encore pu formellement identifier. Elle porterait le numéro « 37 » sur la liste des victimes de l’attentat du bus « 22 ».

Cette patiente aurait pour surnom Yona, la colombe. Votre père a trouvé, après l’attentat, un sac à dos contenant des informations sur l’identité de son propriétaire. Il s’agirait d’une certaine Wered Finkelstajn…il faudrait lui dire qu’Ilan Fränkel sera à Tel-Aviv demain…Ma mission d’arrête là…Pouvez vous vous charger de cette commission ? »

Rafi Weinberg n’avait jamais entendu un discours similaire. La surprise était telle qu’il eut du mal à croire à l’échange qui venait de se dérouler.

Rafi eu pendant une seconde l’impression de se retrouver dans le cotonneux d’un rêve…

« Je m’en occupe tout de suite » réussit-il à articuler, en serrant la main du curieux militaire.


Dans la chambre 12.B du service des urgences à l’hôpital Sourasky de Tel-Aviv, la patiente « 37 » se réveillait d’un très long sommeil. Il semblait à Rafi que la peau de la jeune fille avait jauni, en juste cinq jours. Il se dit que bientôt, elle aurait la possibilité de passer du temps sur la plage de Gordon Beach. Elle laisserait derrière elle toutes ces épreuves, les horribles souvenirs de ce traumatisme. Pour calmer les douleurs, elle avait eu droit aux trois cent milligrammes quotidiens, dose maximum de Néfopam. Depuis hier soir, la dose avait baissé, sans qu’il n’y ait d’impact négatif. L’élocution de la jeune femme était moins hésitante, et la lueur dans ses yeux était plus affirmée que lors de son bref réveil. « Elle va s’en sortir » pensa Rafi.

Le docteur s’approcha de la blessée. Une sorte de sérénité se dégageait du visage fatigué de Wered. Le docteur Weinberg lui prit la main et lui demanda « Vous souvenez-vous de votre nom ? »

Alors, la patiente « 37 » répondit simplement :


« Je m’appelle Wered Finkelstajn, les gens qui m’aiment me surnomment « Yona », la colombe de la paix.


Ilan avait été rassuré. Avi l’avait recontacté. Il avait décrit son bref entretien avec le docteur Rafi Weinberg, qui avait pris grand soin de Wered, et à qui, même, elle devait peut-être la vie. En quelques minutes, l’anxiété avait quitté Ilan Fränkel, les craintes et la peur s’étaient évanouies, il ne restait plus que le futur à envisager, qui serait, nécessairement, aux côtés de sa colombe.

En fin d’après-midi, le soleil s’était lentement couché derrière l’Uetliberg. Ilan était repassé au FlorHof, avait pris une douche, et décidé de s’offrir un dîner au « Kroennehalle », un restaurant habitué à une clientèle internationale, et parfois excentrique, depuis 1924. Il avait ensuite pris, sans se presser le chemin de l’aéroport de Kloten. Il lui restait un peu de temps avant la longue litanie des questions posées conjointement par des Israéliens détachés par le gouvernement pour assurer la sécurité des embarquements de la compagnie privée qui ramenait Ilan à Tel-Aviv.

Juste après avoir reçu le coup de fil d’Avi Schulmann, l’informant de sa rencontre avec le Docteur Weinberg, Ilan avait été pris d’une envie violente de repartir tout de suite vers l’état Hébreu. Il avait décidé d’abandonner le confort d’un vol Swissair et avait réussi à trouver un vol « Arkia » qui partait trois heures plus tôt que celui de la compagnie nationale Helvète. Il avait maintenant hâte de se retrouver chez lui, avec les bruits de la grande ville, les silences du shabbat, le bar Nanushka, le sable de la plage, les promenades sur le « Taielet », devant la mer (24), le restaurant « Chez Suzanne », au bout de Neve Tzedek. Il comptait maintenant les minutes avant de revoir Wered. Il avait chassé les mauvaises pensées, s’était promis une infinie patience pour aider la jeune femme à récupérer de son trauma.



Comme il le faisait à chaque fois qu’il prenait un vol de retour vers Israël, Ilan Fränkel s’était procuré, cette fois-ci au kiosque de presse de Kloten, un exemplaire de l’incontournable Jerusalem Post (25), un quotidien Hébreu en langue anglaise, publié depuis mille-neuf-cent-cinquante. Il avait pour règle de ne jamais en commencer la lecture tant qu’il restait encore plus d’une heure de vol avant l’arrivée à destination. Personne n’avait jamais compris pourquoi, seul Ilan aurait pu éventuellement en expliquer la raison.

Il m’avait dit, une fois, (mais était-ce vrai ?) que la lecture du quotidien était un plaisir de gourmet, qui lui permettait une transition plus facile encore entre « le monde » d’où il arrivait et « son monde », celui dans lequel il allait se replonger. En général, quand il terminait la lecture de ce journal « historique », il était temps d’attacher les ceintures et de se préparer à l’atterrissage à l’aéroport international de Tel-Aviv.


L’avion de la compagnie Arkia, un Boeing 737, était un de ces appareils configurés en haute densité. Le confort n’était visiblement pas le souci premier de l’opérateur, mais Ilan s’était dit que pour une durée de quatre heures et dix minutes, il pouvait bien endurer la présence d’enfants infernaux pas loin de lui, et les œillades insistantes d’une bimbo en short moulant rose, cheveux d’un blond malhonnête, et qui devait trouver Ilan à son goût. Il avait même accepté l’envahissement du siège voisin du sien par une véritable « yiddishe mame » (26) qui, à peine assise, ses cabas calés çà et là sous son siège, celui de devant, ceux d’à côté, avait, commencé à lui raconter l’histoire de sa famille depuis l’époque des premiers pogroms en Russie, au dix-neuvième siècle, jusqu’aux « Alyahs » (27) des uns et des autres, en passant par les installations de telle frère en Belgique, telle cousine à Brooklyn… Les hôtesses de l’air avaient vite effectué leur briefing. Elles en étaient à leur deuxième aller-retour. Il était temps que cela s’arrête. Les lumières avaient été passées en position « nuit » comme le voulait la procédure. En passant par le taxiway « Echo 9 », l’appareil de la compagnie Arkia avait atteint le seuil de la piste 34. L’élan puissant sur la bande de béton, le bruit des moteurs en montée, celui plus doux au moment où l’appareil avait atteint l’altitude de croisière, tout avait contribué à placer Ilan dans un bienfaisant état de somnolence réparatrice.


Une quarantaine de minutes après avoir survolé Héraklion, alors que les chariots du petit-déjeuner circulaient dans l’allée centrale, et que le personnel de cabine distribuait thé et café d’un air las, Ilan, qui s’était déjà réveillé, et se sentait de plus en plus impatient d’arriver à destination et de pouvoir filer à l’hôpital pour serrer Wered dans ses bras, saisi, finalement,son exemplaire du Jerusalem Post.


« Café ou thé ? » demanda l’hôtesse à Ilan, puis à sa voisine, qui venait d’ouvrir un œil. Ilan fit semblant de ne pas se rendre compte que la femme à sa droite était réveillée. Il se plongea dans la lecture de la page 3 qui résumait sur sa moitié supérieure les résultats du dernier sondage concernant les élections à venir. Dans la partie inférieure de la page s’étalait un large appel à volontariat en faveur de la Zaka.


« Au service des morts, au secours des vivants ».


Il y avait le logo de l’organisation, une ou deux photos, une simple phrase en hébreu : rejoignez-nous.

Un numéro de téléphone complétait l’encart.


« Donnez-nous votre temps, partez en mission, devenez bénévole pour la Zaka.. »

« Maintenant…. ! »

Il se dégageait de cet appel une sorte d’urgence, qui fit immédiatement remonter à l’esprit d’Ilan le contenu des cinq derniers jours, et l’expérience tragique qu’il venait de vivre.


Rejoindre la Zaka ?

…….


Du bout des yeux, la voisine d’Ilan, qui n’avait pu s’empêcher de jeter un œil sur le quotidien que lisait l’homme, se pencha vers lui et lui dit simplement :


« Rejoindre la Zaka ? Mon frère en fait partie …

Si vous le souhaitez, il pourrait sans doute vous aider, c’est chez lui que je vais séjourner, il habite à Ramat-Aviv.

Je peux lui parler de vous …

…Il s’appelle Amos Mandelboïm…"


©2020 Sylvain Ubersfeld pour Histoires d’U








(A) Berechit : le premier chapitre de la genèse qui évoque la création du monde en sept jours par « l’Eternel », et inclus la notion du repos du « septième jour ».


(B)Translittération de l’hébreu ancien יהוה, YHWH, nom et tétragramme de Dieu dans la Bible hébraïque, composé des quatre lettres yōḏ (י), hē (ה), wāw (ו) hē (ה) : voir Exode III, 14. Selon la tradition juive, ce nom, dont on ignore la vocalisation, est ineffable (imprononçable)


(C) Les Judenrats (ou Judenräte, conseils juifs en allemand), étaient des corps administratifs formés dans les territoires occupés par l'Allemagne nazie. Composés des leaders des communautés juives, ils formaient le gouvernement de ces communautés et servaient d'intermédiaire entre les autorités nazies et la population. Ces conseils étaient forcés par l'occupant de fournir des Juifs qui devaient leur servir d'esclaves, et furent contraints d'aider à la déportation des populations vers les camps d'extermination.


(D) Il s’agit d’une référence à Mahmoud Ahmadinedjad qui fut président de la république islamique d’Iran du 3 août 2005 au 3 août 2013.


(E) Oy (hébreu/yiddish : אוי) est une interjection d’origine hébraïque, utilisée dans les sources juives classiques pour exprimer la souffrance et le désarroi. Il acquiert un sens nettement plus large en yiddish, où il est utilisé pour formuler un éventail allant de la surprise à l’abattement en passant par l’irritation et l’ironie. Il est souvent décliné sous des formes plus élaborées comme oy v'avoï (hébreu : אוי ואבוי « Ah ! Hélas ! »), oy vaï/oy vey (yiddish : אױ װײ « Ô malheur ! ») ou oy vaï iz mir (yiddish : אױ װײ איז מיר « Oy, quel malheur que le mien ! »)


(*) hébreu : כִּפָּה ou כִּיפָּה ; pluriel : kippot, כִּפוֹת ou כִּיפּוֹת) est le terme hébraïque désignant la calotte portée traditionnellement par les Juifs pratiquants. Elle est également appelée yarmoulke (aˈjɑrməlkə ou ˈjɑːməkə, du yiddish : יאַרמולקע) aux États-Unis, et parfois kapele (yiddish : קאפעלע) .


Talit=Le talit (judéo-araméen : טלית « habit », prononcé talit en hébreu moderne, talith dans certaines communautés séfarades, talèth dans celles d’Afrique du Nord, talis, tolis ou talès en hébreu ashkénaze) est un vêtement à quatre coins, propre au judaïsme, et dont chaque coin est, en vertu de la prescription biblique, pourvu de franges.

L’usage distingue le talit gadol (grand talit), châle généralement fait de laine dont les juifs adultes s’enveloppent pour la prière, et le talit katan (petit talit), pièce textile le plus souvent portée au-dessous des vêtements dès le plus jeune âge.


(**) Mea Shearim : quartier ultra religieux de Jérusalem avec ses propres règles de vie en société et des principes vestimentaires hyper-stricts.


(***) Il s'agit d'un courant judaïque nommé Hassidisme, avec ses propres traditions . Ce mouvement est présent aux quatre coins du monde. https://fr.wikipedia.org/wiki/Dynastie_hassidique_Habad-Loubavitch





  1. Le restaurant traiteur Goldenberg, situé rue des Rosiers, dans le quatrième arrondissement de Paris, a été, pendant plus de cinquante ans, un point de repère dans le petit monde du « quartier juif » de la capitale. On pouvait y manger midi et soir, et acheter des produits alimentaires connus de la diaspora juive, que celle-ci ait ses racines dans les pays d’Afrique du Nord, ou les pays de l’Est.

  2. Le shabbat ou chabbat (hébreu : שבת - cessation, en yiddish שבת ou, rarement, שאַבעס (shabbes) est le jour de repos assigné au septième jour de la semaine juive, le samedi, qui commence dès la tombée de la nuit du vendredi soir.nÉlément fondamental de la religion, il est observé par beaucoup de Juifs. Au-delà des notions de permis et d'interdit, le chabbat est surtout considéré comme un jour hors du temps et des contingences matérielles, un jour durant lequel toutes les activités extérieures doivent être réduites pour se concentrer sur sa famille et son foyer. Il y est surtout question d'activités dans son cercle familial, de moments pour se ressourcer, de repas en famille…

  3. Tel-Aviv. Le nom de la ville veut en fait dire la Colline du Printemps.

  4. Le shtreimel (Yiddish: שטרײַמל, pl. שטרײַמלעך shtreimlech) est un chapeau de fourrure porté par de nombreux Juifs, plus particulièrement — mais pas exclusivement — par des membres de groupes hassidiques, pendant le chabbat, les fêtes religieuses et autres célébrations. Dans certaines familles, plus particulièrement celles de Jérusalem, les garçons ne commencent à porter le shtreimel qu’après leur mariage. Le shtreimel est un chapeau de véritable fourrure à large bord fait de treize queues, en règle générale, de zibeline canadienne ou russe, parfois de martre, fouine ou même de renard gris américain. Ces treize queues sont censées représenter les treize aspects de la miséricorde divine. Le shtreimel est la pièce de l’habillement hassidique la plus chère, son prix pouvant aller de 1 500 € à 4 500 €. Habituellement, le père de la mariée achète le shtreimel du futur époux pour ses noces. Il est désormais coutume d’acheter deux shtreimels. L’un, meilleur marché (environ 600-1 200 €), appelé regen schtreimel (« schtreimel de pluie »), s’emploie quand le schtreimel plus onéreux pourrait être endommagé. On trouve des fabricants de shtreimels à Montréal, en Israël et à New York. Ce chapeau à large bord entouré de zibeline, que l’on trouvait jadis chez les Tatars1,2,3 était initialement une adaptation à l’hiver continental d’Europe orientale, protégeant du soleil éclatant et de la neige, avant de devenir un élément identitaire des Hassidim, à côté du spodik porté surtout par les Gerrer de Pologne, Lituanie et Biélorussie.

  5. Le judaïsme massorti (appelé Conservative Judaism aux États-Unis et au Canada) est un courant du judaïsme contemporain. Développé sur les bases du judaïsme positif-historique postulé par Zecharias Frankel, il revendique une Halakha évolutive et adaptée aux contraintes de la vie moderne tout en conservant un cadre traditionnel notamment dans les domaines du culte. Le mouvement occupe pendant le XXe siècle une position privilégiée dans le judaïsme américain, offrant une pratique moins contraignante que celle du judaïsme orthodoxe tout en conservant une plus grande place aux traditions que dans le judaïsme réformé. Sa position mitoyenne entraîne cependant des différences sensibles entre diverses congrégations massortites et des schismes internes, avec la création en 1963 du judaïsme reconstructionniste par Mordecai Kaplan et, vingt ans plus tard, de l’Union for Traditional Judaism (en) par David Weiss Halivni. À l’orée du XXIe siècle, le mouvement semble connaître un déclin aux États-Unis tandis que des centres massortim sont fondés de par le monde.

  6. Le tcholent (yiddish : טשאָלנט, tsholnt ou tshoolnt) est un plat typique de la cuisine juive ashkénaze, composé d'orge perlé, de pommes de terre, de viande (généralement du bœuf) et de haricots. Du fait de la tradition rabbinique de consommer un plat chaud durant le chabbat sans contrevenir à l’interdiction de cuisiner, le plat mijote pendant une nuit depuis la veille. On y ajoute souvent des kishke (tripes farcies), des cous de dinde également farcis ou d’autres accompagnements. Selon une étymologie populaire, le nom viendrait du français : « chaud » et « lent ».

  7. Un Shabbes goy, Shabbat goy ou Shabbos goy (yiddish : שבת גוי ; hébreu moderne : גוי של שבת goy shel shabbat) est quelqu'un qui aide régulièrement une personne ou une organisation juive en exécutant pour elle certains actes que la loi juive lui interdit le jour du Shabbat. L'expression combine le mot « Shabbes » (שבת), qui se réfère au Shabbat, et le mot « goy » (גוי), qui désigne « l'étranger » ou « le non-juif ».

  8. La gematria (גימטריה, aussi « guématrie » ou « gématrie ») est une forme d'exégèse propre à la Bible hébraïque dans laquelle on additionne la valeur numérique des lettres et des phrases afin de les interpréter1. Gematria, Temura et Notarikon sont les trois procédés de la combinatoire des lettres (hokhmat ha-zeruf), pour déchiffrer la Torah. La littérature talmudique reconnaît l'intérêt de la gematria « classique » mais met en garde les profanes contre le risque de superstition.

  9. Le Notarikon (Notaricon ou Notariqon) ou la Notarique1 fait partie des trois systèmes cabalistiques avec la Gematria et le Temura. Ce système utilise la combinaison des lettres (Hokhmat ha-zeruf) pour déchiffrer la Torah. Le Notarikon est semblable à la sténographie romaine, dans laquelle les lettres initiales ou finales des mots dans une phrase forment de nouveaux mots. Le terme hébreu de Notarikon est dérivé du mot latin notarius (« écrivain »).

  10. ZAKA ( זק"א - איתור חילוץ והצלה - חסד של אמת, abréviation de Zihuy Korbanot Asson signifiant « Identification des victimes de catastrophes ») est un organisme caritatif israélien, reconnu par le gouvernement. L'organisme a été créé en 1989 par Yehuda Meshi Zahav et Rabbi Moshe Aizenbach.Les membres du ZAKA, pour la plupart des juifs orthodoxes, participent à l'identification des victimes du terrorisme, des accidents de la route et autres catastrophes. Ils se chargent de collecter les restes de corps et les flaques de sang afin que les victimes puissent être enterrées avec intégrité. Ils fournissent aussi des aides de premiers secours et participent à la recherche d'individus disparus. Le ZAKA s'est impliqué en Thaïlande, au Sri Lanka, en Inde et en Indonésie à la suite du tremblement de terre du 26 décembre 2004, où ils furent surnommés « l'équipe qui dort parmi les morts » pour leur acharnement à travailler nuit et jour1.Les fondateurs et les membres de ZAKA préfèrent appeler leur organisme et leur travail : Hessed shel Emet (ce qui signifie « vraie bonté »), car ils se consacrent à ce que les corps de juifs massacrés soient enterrés conformément aux lois de la Halakha. Après un attentat terroriste, les volontaires du ZAKA s'occupent aussi des corps de non-juifs et de ceux des kamikazes avec le même soin afin qu'ils soient renvoyés à leurs familles.

  11. Le tsitsit (tzitzis ou tsitsis selon la prononciation ashkénaze sont des franges ou tresses façonnées au coin des vêtements, souvent retrouvées sur les bords du Talit (le châle de prière). Les juifs observants portent des vêtements munis de tsitsits afin de se conformer à une prescription biblique. Dans le judaïsme orthodoxe, le tsitsit n’est porté que par les hommes.

  12. Le service de sécurité intérieure Israélien (shabak en hébreu) est l’acronyme de Sert Habita hon hallali, service de sécurité générale. Il était connu autrefois sous l’acronyme anglo-saxon de GSS (General Security Service. Il est en charge des affaires de sécurité internes à l’état d’Israël et de la protection des personnalités du gouvernement et des institutions. Sa devise est « le défenseur qui ne doit être vu »

  13. Les juifs d’origine Nord-Africaine ou/et Espagnole.

  14. Dan : compagnie de transport routiers fondée en 1945, qui gère une partie des transports par autobus dans la zone de Tel-Aviv, l’autre partie ayant été confiée à la société Egged. Dan opère plus de 1200 autobus aujourd’hui. A L’époque de cette histoire, il devait y en avoir déjà un peu plus de mille.

  15. L’agence de Sécurité Intérieure de l’Etat d’Israël

  16. Magen David Adom, le Bouclier de David Rouge, l’équivalent de la Croix-Rouge, les services de secours de l’Etat.

  17. La Halakha (hébreu : הלכה « Voie », Halokhe selon la prononciation ashkénaze, plur. halakhot) regroupe l’ensemble des prescriptions, coutumes et traditions collectivement dénommées « Loi juive ».Essentiellement fondée sur la Bible hébraïque et, dans le judaïsme rabbinique, sur le Talmud, la Halakha guide la vie rituelle ou les croyances de ceux qui la suivent et les nombreux aspects de leur vie quotidienne. Basée sur les acquis des générations précédentes et les discussions et débats portant sur les problèmes de la génération présente, elle connaît de nombreuses variantes entre les diverses communautés et factions juives, du fait de leur dispersion dans le temps et l’espace. Elle est, jusqu’à l’ère moderne, le pilier et ciment de nombreuses communautés juives, qui sont régies par ses règles civiles et religieuses.

  18. Le Néfopam est un antalgique non-opiacé utilisé dans le traitement des douleurs post-opératoires.

  19. Le Kurfürstendamm (appelé aussi Ku'damm par bérolinisme) est une avenue de Berlin s'étendant sur 3,5 kilomètres de la Breitscheidplatz en Charlottenbourg au quartier de Grunewald au sud-ouest. C'est l'une des principales rues commerciales de la cité qui attire beaucoup de touristes.

  20. La Bar Mitzvah (en hébreu, בר מצווה) est le statut de majorité religieuse acquis par les jeunes garçons juifs, à 13 ans. Par extension, il désigne aussi la cérémonie facultative célébrant ce passage. L’équivalent féminin est la Bat Mitsvah, par laquelle la jeune fille juive atteint sa majorité religieuse, à 12 ans. Une cérémonie peut être célébrée, généralement dans la sphère familiale. Ces cérémonies sont d'apparition récente : elles remontent au XIVe siècle pour les garçons, et au XXe siècle pour les filles1.

  21. Vocalisation du mot אבא, qui veut dire « père »

  22. Chutzpah (/ˈhʊt.spə/ ou /ˈxʊt.spə/) est une forme d'audace, en bien ou en mal. Le mot provient de l'hébreu ḥuṣpâ (חֻצְפָּה), qui signifie « insolence », « audace » et « impertinence ». Dans l'usage moderne, il a pris un éventail plus large de significations.En hébreu, le mot chutzpah marque une indignation envers quelqu'un qui a dépassé outrageusement et sans vergogne les bornes du comportement acceptable.En yiddish et en anglais, le mot a des connotations ambivalentes, voire positives. Chutzpah peut être utilisé pour exprimer l'admiration envers un culot non-conformiste. Cependant, dans Les Joies du Yiddish, l'expression est illustrée par l'histoire du parricide implorant l'indulgence du tribunal en s'exclamant « Ayez pitié d'un pauvre orphelin » ...Le mot est aussi passé du yiddish au polonais (hucpa), à l'allemand (Chuzpe), au hollandais (gotspe) et à l'anglais (américain) (chutzpah) ; il désigne l'arrogance, le toupet, l'audace, le culot et l'absence de honte.

  23. Aman : Direction du Renseignement Mlitaire Israëlien. Cette agence gouvernementale militaire emploi plus ou moins 7000 fonctionnaires.

  24. La longue promenade devant le front de mer de Tel-Aviv

  25. Le Jerusalem Post se nommait Palestine Post avant l’indépendance de l’Etat Hébreu

  26. Une « mère juive » typique. Pleine d’amour, elles peuvent être parfois « envahissante », « soûlantes », mais jamais à court de nourriture…. Un archétype de la mère, ou parfois de la grand-mère dans la culture Yiddish des juifs ashkénazes.

  27. C’est le nom qui est donné à l’émigration définitive vers Israël. Le mot lui-même prends le sens de « montée spirituelle » vers Jérusalem.








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