Dora Feingold ne se serait jamais cru capable de quitter la rue de Ménilmontant. Elle n’avait jamais imploré l’éternel de l’aider à faire son choix. De la même façon, aucun rabbin ne l’avait éclairé. Depuis la mort d’Eli, son gentil mari, qui ne vivait que pour pouvoir, un jour, s’établir sur la terre de ses lointains ancêtres, Dora avait longuement hésité. Partir ? Rester ? On lui avait dit tellement de choses sur le pays, sur cet « Israël » avec ses kibboutz, son socialisme, ses agriculteurs-soldats, ses avocats-soldats, ses chauffeurs d’autobus-soldats, ses soldats-soldats….Elle ne savait plus qui croire….Elle était confrontée à ce dilemme : rester et vivoter, mourir en France, ne rien vraiment savoir de son judaïsme, ignorer l’histoire de son peuple, évoluer dans un quotidien sans espoir, avec peu de soleil, et la perspective décevantes des lessiveuses avec les couches des trois petits, le linge d’Elia, celui de Salomé. L’homme de l’Agence Juive lui avait fait miroiter tant de choses : une place dans le kibboutz de Givat-Brenner, un passage sur le paquebot « Jérusalem » de la compagnie maritime ZIM, pour elle et les cinq enfants, de quoi vivre sur place, en tout cas, de quoi assurer la transition, des cours d’hébreu… « Vous allez revivre » lui avait dit l’homme, un certain Nathan Weiss.
Dora avait trainée du côté de la rue des Ecouffes, où elle avait des amies qui fréquentaient le même mikveh (1) Dora n’était pas religieuse, mais elle croyait profondément en la destinée de son peuple. Elle avait gardé avec ses amies d’école des liens qui favorisaient la transmission de recettes de cuisine, d’histoires de petits copains, de projets insensés, comme, justement, celui de faire son « Aliyah », cette « montée » spirituelle vers Jérusalem.
Elle avait discuté avec les frères Goldenberg, dont les parents avaient un restaurant dans le « shtetl » de la rue des Rosiers, juste en face du boulanger Moskvitch. Albert lui avait dit « Allez-y », Joseph, lui, avait été plus réservé : « savez-vous ce qu’ils vous feront faire comme métier ? Souvenez-vous, vous n’aurez pas le choix, il vous faudra apprendre… » D’un grand appartement rue du Docteur Blanche, Dora Feingold était passé à un trois pièces, rue de Ménilmontant. Dans son immeuble, quatre familles sur les huit étaient juives. Le Vendredi, il y avait des odeurs de cuisine dans tout l’immeuble. Les familles échangeaient les invitations. Parfois, il fallait se serrer un peu. Tout le monde savait Dora parfaitement laïque, mais on faisait comme si, et les soirs de Shabbat, on ne parlait pas de religion, mais de tradition…et on parlait de Sion, De Théodor Herzl, du « Bund » (2), aussi…
Je crois que le départ avait été finalement décidé sur un coup de tête, mais après réflexion, je pense qu’en fait, depuis longtemps, la petite graine que l’Agence Juive avait semé lors de son passage, avait poussé dans le cœur de Dora. Ce n’était plus tellement elle qui comptait maintenant, mais ses enfants, les triplés, Elia et Salomée. Alors que depuis des années, elle hésitait à sauter le pas, d’un seul coup, elle n’avait qu’une hâte : partir. Il y avait eu la paperasse, les derniers dîners avec les uns et les autres. Le plus dur avait été d’annoncer le départ aux époux Weinberg qui, depuis la mort d’Eli, avaient pris Dora en affection, et n’hésitaient pas à apporter leur aide dès qu’il le pouvaient. Certes, Yacov Weinberg était un « frum » (3) qui voyait le péché partout, et vivait dans la peur permanente de punitions divines , mais Hawa, son épouse, la gentille Eve de la Genèse, avait un cœur d’or, et ne vivait que pour aider les autres. Dora et elle avaient beaucoup parlé….. « je suis vieille maintenant « avait dit Hawa « je mourrai içi, en France…vous, vous êtes jeune, vous pourrez finir votre vie en Eretz Israël, Dieu soit béni… » Dora avait déjà commencé à apprendre l’hébreu dans une association de quartier. L’alphabet avait été assez simple à retenir. Le plus difficile avait été de commencer à lire et à écrire de droite à gauche. Toute fière, elle avait apporté un vendredi soir une afficher publicitaire qu’on lui avait demandé de traduire en Français. « Quelle curieuse langue » avait-elle dit…Mais en fait, c’est bien…on apprend aussi à penser à l’envers… !
Bain rituel
L’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie1 (yiddish : אַלגעמײנער ײדישער אַרבעטער בונד אין ליטע, פוילן און רוסלאַנד (algemeyner yidisher arbeter bund in Lite, Poyln un Rusland) ; russe : Всеобщий еврейский рабочий союз в Литве, Польше и России), plus connue comme le Bund (yiddish : בונד, russe : Бунд), est un mouvement socialiste juif créé à la fin du xixe siècle dans l'Empire russe.
Mot tiré du Yiddish (langue commune des juifs Ashkénazes) désignant un dévot, une personne ultra religieuse.