J’avais pris le temps de réfléchir à la question pendant de longues années, que ce fut dans une chambre d’hôtel à l’autre bout du monde, dans un avion en route pour Varsovie, Luanda, Nouadhibou ou bien Paraguaná, au milieu de nulle part dans la pampa Vénézuélienne.
J’avais même fait de nombreux trajets, essayant de composer ma propre épitaphe, entre la gare du Nord, à Paris, et la gare de Bruxelles-Midi. Pour l’épitaphe, je n’étais arrivé à rien, réalisant que finalement, quelques lignes gravées au burin sur un morceau de pierre, impliquent déjà qu’il y ait une pierre, ce qui n’était pas du tout dans ma façon de voir les choses. Il n’y aurait aucun tombeau, pas de fleurs, aucuns larmoiements, pas même de Christ en métal qui rouillerait avec les années, ou de bouclier de David qui identifierait mon patrimoine génétique.
Je n’étais pas un homme à monument, c’était tout simple.
En plus de cela, se faire rouler par le tenancier d’une entreprise de pompe funèbre ? Quelle honte… ! Du chêne clair, avec les poignées qui vont, des bouts de métal en bronze ? au prix ou est la ferraille un peu classe, tu rigoles, non ? Et puis le bronze, c’est pour les copies de statues grecques, et je n’aime pas la façon dont ça verdit au fil des ans… !
Allez, mon ami…tu me mettras un bois qui brûle bien, tu t’assureras surtout que j’ai bien passé l’arme à gauche avant de craquer l’allumette, nom de dieu…même si je ne suis pas pyrophobique (1), c’est quand même mieux de ne pas se réveiller au milieu des flammes, déjà que sur mes vieux jours, je me suis mis à craindre les coups de soleil…
Le premier mort que j’avais vu, ce n’était pas vraiment un mort au complet, c’était son bras, qui émergeait par la fenêtre d’un véhicule retourné sur le périphérique, à la hauteur de la porte de Bagnolet. Je me souviens de l’incongruité de ma pensée. Il faisait un soleil d’enfer, et le mec (mais était-ce un homme ? macho que je suis…) portait un imper d’une marque connue, un truc qui faisait vachement Anglais…Un imper un jour de grand soleil ? il devait être particulièrement pessimiste…mais il avait eu peut-être eu raison ; un coup de frein mal placé, un regard sur une des grandes tours, un connard qui freine devant, et hop, plus de mec…plus-là… ! C’était un samedi. Ils avaient dû mettre un bon moment pour soulever la bagnole, dégager le corps, faire les « constatations d’usage » et tout le tremblement…Le deuxième mort, c’était beaucoup plus tard, sauf si ma mémoire a des cahots, sur cette route qui va jusqu’au bout. J’étais en voiture, sur l’A.4, en route pour un de ces week-ends magiques pendant lesquels, tous autant que nous étions, nous essayions d’arrêter le temps, de figer les moments qui nous faisaient chaud au cœur, tu vois, des moments pendant lesquels on aimerait que tout s’immobilise y compris les pensées.
En provenance de Paris, et avant d’arriver à la bretelle de sortie vers la vallée du Grand Morin, il y avait un bouchon du feu de dieu, avec circulation sur une file. Comme ceux qui étaient devant moi, et ceux qui étaient derrière, j’avais dû ralentir mon allure, et, à quinze kilomètres par heure, j’avais laissé parler le voyeur qui sommeillait en moi. La mort de ce frère humain, ou de cette sœur, m’avais véritablement attristé. Une désespérée, un suicidaire, l’amalgame entre le corps et le véhicule sur lequel le corps était tombé, n’avait pas permis de savoir si c’était véritablement « elle » ou « lui ».
Le résultat était le même.
Quelle tristesse, quel courage, quel désespoir, un chagrin d’amour ? une dépression chronique ? Un endettement au-delà du décent, le décès d’un proche ? La persécution d’un patron aigri, du harcèlement pur et dur ?
Je n’avais pas su, je n’avais pu qu’imaginer la souffrance, et l’incroyable « no ’man’s land » de quelques nano secondes entre le moment où tu décides de ton départ définitif et celui où tu arrives à destination…Des nano secondes, mais quelle peur, sans doute, quelle horrible, quelle hideuse peur…
Après, cela avait été au hasard de mes aventures, de mes pérégrinations professionnelles. Il y avait eu des morts aux Indes, quand je m’appelais Chuck Evans, (2) et que je passais régulièrement à Calcutta. Il y en avait eu au Tchad, en Pologne, en Ouganda. Il y avait même eu ce « Hadji » (3) dont le cœur s’était arrêté, quelques heures après avoir tourné autour de la Kaaba. Nous l’avions ramené en Lybie d’où il était originaire. Si tu parles de cercueils, oui, bien sûr, j’en avais déjà vu, avec sorti de messe , inhumation, prêtre sans âme qui te débite un discours policé, ou bien Imam avec trois poignées de sable lancées sur le cercueil, ou encore rabbin avec Kaddish (4) qui glorifie le dieu qui t’a volé celui que tu aimais…tu parles d’une révolte, quand tu vis cela….et puis moi, la religion, c’était beaucoup trop cadré…je préférais l’imaginaire possible, plutôt que le dieu nécessairement barbu, ou même le gardien d’un Gan Eden (5) avec beaucoup d’appelés et peu d’élus, je pense.
J’avais gardé au fond de moi les images de culottes courtes, de ma main dans celle d’un adulte. Je me souviens que le même jour, j’avais découvert le contraste entre le chaud et le froid, en sortant du hall de l’immeuble familial, et en plongeant dans la rue Alphonse Daudet de mi-juin, où régnait un vingt-six degré de bon augure. C’était il y a très longtemps, mais cette image, comme tant d’autres, est restée gravée en moi.
Dans le petit paradis qu’était le Quartier du Petit-Montrouge, la circulation était à double sens. En passant la patte d’oie que faisait la rue Alphonse Daudet avec de la rue Leneveux, j’avais vu un immeuble drapé de noir, des immenses tentures avec des franges d’argent, j’avais trouvé cela très joli. Juste au-dessus de la porte d’entrée, une immense lettre « N » avait été suspendue. Un peu plus loin, un camion Citroën des « Pompes Funèbres Municipales » prenait la place de trois voitures. « C’est un enterrement » avait-dit ma mère, alors j’avais cherché des yeux la terre, les pelles, l’herbe, mais je n’avais vu que quelques femmes habillées chic, qui portaient une voilette, sortant de l’immeuble. En fait de terre, je n’avais vu que l’imbécile trottoir, et l’eau qui coulait dans le caniveau.
« Zig et zig et zag, la mort en cadence
Frappant une tombe avec son talon,
La mort à minuit joue un air de danse,
Zig et zig et zag, sur son violon. (6) »
Je me suis séparé, il y bien longtemps, de la mort grimaçante. Était-ce devant un corps sans vie dans la banlieue de Bombay ? Je ne sais plus…mais le choc avait été brutal…
A force de fractionner cette empêcheuse de vivre en rond, je me suis aperçu qu’il n’en restait pas grand-chose. J’ai pris l’ensemble, je l’ai cassé en petits morceaux, en me disant qu’il serait plus facile peut-être de s’attaquer à la compréhension de chaque fraction, plutôt qu’à celle du « grand tout », qui soulève tellement de questions que même si j’avais été immortel, je n’aurai probablement pas eu assez de l’éternité pour tout comprendre.
J’étais arrivé à l’âge des « petits casiers » et des « étagères » …Il fallait absolument ranger en ordre tout le bordel qui se trouvait dans ma tête, dépoussiérer les vieux machins, virer ce qui ne servait plus, faire de la place pour pouvoir ranger des trucs plus importants avec étiquettes et mode d’emploi…comment on se sert de ce truc,ou donc ai-je rangé ce fourbi, j’ai l’impression que j’ai déjà vu ce machin….
Il fallait que je me nettoie le cerveau, à défaut de pouvoir me nettoyer l’âme…
Du paradis, de l’enfer, de l’éternité vraie, quand il n’y a pas assez de nombres pour compter les siècles, du retour sur terre sous une autre forme, animal, fleur, de la mystérieuse transformation du défunt en étoile dans le ciel, et plein d’autres options aussi : tant de croyances diverses …alors que choisir pour se raccrocher à quelque chose d’imaginable avec des mots ?
Curieusement, j’avais l’impression qu’on passait sa vie à toujours avoir peur d’un truc qui pourrait éventuellement se passer. Vouloir contrôler l’incontrôlable, un truc à faire pleurer les bouddhistes, non ? Eviter l’inévitable, une attitude puérile, mais, il est vrai, j’étais longtemps resté un grand enfant.
Ma vraie peur ne restait-t-elle pas celle de la souffrance ? de la fin de vie dégradante et dégradée ? le retour à une nécessité d’être pris en charge dans les gestes du quotidien, ceux auxquels tu n’accordais avant, aucune attention ? Pour le reste, la thanatomorphose de l’après, ce n’est que de la chimie de base, rien d’extraordinaire. Quant aux représentations, illustrations, légendes, folklores, traditions je n’avais jamais réussi à trouver quelque chose qui me plaisait quand je « faisais mon marché », en me projetant, dans le cinéma de mon égo, des scènes d’obsèques grandioses, avec femmes, amis ou ennemis, en larmes bien sûr, réalisant , beaucoup trop tard, quel « être d’exception » (A) j’étais de mon vivant…J’avais eu évidamment le temps de penser pas mal à « l’après », avec portes de placards qui claquent toutes seules, température ambiante qui dégringole en présence d’ « entités »…Je te rassure, je ne crois pas aux fantômes, je suis plutôt « force de l’esprit » que « Jo le Trembleur » quand il faut parler de cet après que certains choisissent d’ignorer…
Mon dieu, que de conneries….
Meyn got ... ! vos umzin ... ! (7)
…et pourtant……
Je n’étais jamais vraiment passé près de la mort. La seule fois où je m’étais imaginée que je l’avais tant soit peu intéressé, c’était dans la maison de campagne, un lendemain de premier de l’an. Un malaise à base d’huîtres avariées, un truc tout con, aucune gloire à se faire dessouder dans ces conditions. Dans une semi-inconscience, j’avais passé un accord : ne plus jamais garder dans mon coffre de voiture une bourriche de fruits de mer, pendant cinq jours. En échange de la promesse dictée par l’instant, j’avais demandé la vie sauve. Visiblement, ça avait marché.
Augustin d’Hippone, mon aîné de plusieurs siècle, devenu Saint-Augustin, était un drôle de type, un théologien, chrétien, Romain, de la classe aisée, avec des origines berbères. C’était, sans doute, une fine lame puisqu’à 17-18 ans, étudiant à Carthage, il se lia à une compagne qui lui donna un enfant. Mais ce n’était pas son habileté à fonder une famille, étant aussi jeune, qui me le rendit sympathique, mais plutôt sa vision de la mort, qu’il avait traduite dans un poème très convaincant, te présentant la personne décédée comme étant juste « dans la pièce d’à côté », ce qui était plutôt sympa, comparé à cette « vie éternelle » que te promettaient les barbus de tout poil, et dont personne ne savait comment elle pouvait rester suspendue, au-dessus des nuages, dans un quelconque ciel qu’on avait du mal à imaginer…..
La pièce d’à côté, je connaissais, c’était chouette et pratique, juste quelques pas…l’éternité ? c’était, pour moi, inconcevable.
Je n’avais, jusque-là, jamais envisagé que la mort puisse-être autre chose qu’une séparation sans avenir ni pour le partant, ni pour les restants. Alors j’avais creusé. Pour comprendre la mort, ne suffit-il pas d’étudier la vie ?
C’est ce que m’avait dit une sorte de chamane qui vivait à l’ombre des oliviers, dans un coin du Var, là où les cigales faisait plus de bruit que le bruit des hommes.
Le seul souci reste que, dans certains cas désespérés, comme le mien, il avait fallu que je dépasse de loin les soixante ans pour commencer à comprendre l’incompréhensible, ne plus me soucier de ce qui allait se passer le moment venu, ne plus m’inquiéter du « quand », ni même du « comment », puisque de toute façon, j’étais maintenant convaincu que les choses se passent toujours comme elles doivent se passer, mort comprise. Mais du jour où un petit peu de lumière avait éclairé mon questionnement, j’avais eu l’impression grandiose d’être maintenant armé pour aller jusqu’au moment où il me faudrait partir, sereinement.
Il n’y avait pas d’inquiétude, la mer était étale, et, curieusement, alors que je savais que c’était physiquement impossible, je sentais l’horizon se rapprocher, lentement, mais régulièrement, et je pouvais voir, au-delà, des couleurs, des formes.
Au lieu d’un progression linéaire, sans à-coups, mon parcours ressemblait plus aux montagnes russes de Six Flags Magic Mountain, qu’a une course d’aviron de quatre kilomètres, avec respiration régulière, gestes précis, et victoire finale.
Alors, bien sûr, j’avais été un peu bouffé par ces histoires de bilan, quand tu te retournes sur la vie en te demandant ce que tu as finalement fait de bien…parce que ce que tu as fait de pas bien, tu le sais, personne n’a envie qu’on lui rappelle. Le bilan en question était venu de lui-même. C’était, je pense, ma conscience qui avait frappé à la porte de la où ça faisait mal. Tu vois, les trucs qu’on met sous le tapis en se disant qu’avec le temps, ça disparaîtra…mais non, vois-tu, ça ne disparaît pas juste comme ça…
Alors j’avais repensé aux années d’errances et de fuites, toujours plus loin, ne pas s’attacher, nulle part, à personne. De ces périodes de domiciliation dans des endroits étrangers où il fallait toujours reconstruire quelque chose…New-York à Kips Bay, sur la trente-troisième rue, Londres sur Inderwick Road, Bruxelles, au cent-vingt-et-un de l’avenue Louise, à quelques centaines de mètres des étangs d’Ixelles.
Curieusement, c’était cette époque qui m’était apparu comme la plus significative de cette « errance » dont je te parle. Bruxelles m’avait séduit. La Belgique avait marqué mon cœur avec un fer rouge. Anvers m’avait été plus grand qu’Amsterdam. Quatre années. J’avais touché de près au bonheur. Etés magiques, sages hivers, printemps dans les Ardennes.
Alors que j’étais plongé dans ces réflexions, et que mon esprit était, une fois de plus, parti à la dérive, Il y avait eu un grand bruit, un choc sur une des baies vitrées qui donnaient sur le jardin de la maison de Vendée.
J’avais pensé peut-être à une poursuite entre deux chats ennemis, l’un qui dérape et va taper dans le vitrage…mais non, ce n’était pas un chat…c’était une gentille chouette, encore titubante sous le choc, qui m’avait regardé avec étonnement. Je n’avais pas compris si cet étrange regard traduisait la surprise d’avoir cogné dans la fenêtre, ou bien celle de voir un humain à quelques centimètres de ses plumes. Elle s’était blottie, quelques instants, dans un angle, comme si elle avait besoin de reprendre ses esprits, je l‘avais vu respirer trois ou quatre fois…puis elle s’était envolée vers une des dépendances.
Je n’aurais jamais imaginé que cette rencontre de quelques secondes entre ce bel oiseau de nuit, et moi, pu être un quelconque signal pour attirer mon attention.
Qu’aurait-elle bien pu me dire …et surtout quelle étrange façon de s’adresser à moi …Cette scène de quelques instants avait continué à me trotter dans la tête, mais non pas comme quelque chose de menaçant, mais plutôt comme quelque chose qui devait m’amener vers une autre réflexion…mais quoi ?
Je m’étais senti soudainement incapable de respirer, alors qu’en même temps je savais que ce n’était pas le tabac qui était en cause, puisque je ne fumais plus.
J’étais, tout à coup, devenu étonnamment léger, comme si, sous mes chaussures, des ressorts avaient été installés. Les mots me venaient tout de suite pour traduire ce à quoi je pensais à l’instant présent. Je n’avais pas à articuler quoi que ce soit, ni même à penser, tout me venait naturellement. Je m’entendais parler, même si je ne parlais pas, étrange impression.
Ce devait être un gradé des sapeurs-pompiers qui me tenait la main. L’homme avait une barbe…je m’étais dit que j’aurais bien préféré une petite infirmière, comme il y en avait dans ma jeunesse…J’avais bien entendu qu’il s’adressait à moi, mais la seule chose que je pouvais faire était de sourire béatement parce que j’étais en paix avec moi-même et le monde. Je l’entendais qui me disait : « vous avez bu de l’alcool ? vous vous droguez, vous prenez des médicaments pour le cœur, ou pour autre chose ? » et moi, comme un idiot, incapable de répondre, je continuais à sourire.
Je m’étonnais de cette respiration si paisible, si lente, jusqu’à n’être plus qu’une vague inspiration, une tentative d’expiration. Ce qui me frappais était surtout l’absence totale de douleur, la morphine peut-être, même si je ne me souvenais pas d’une quelconque injection…
Un tas de machins confus étaient venus se glisser près de moi, des souvenirs, des choses auxquelles je n’avais pas pensé depuis des années….il y avait pêle-mêle un Lockheed Constellation 1049 sur la tarmac du vieil aéroport d’Orly, une locomotive Pacific 231 qui rentrait doucement en gare de Plouaret, tirant un train qui m’emporterait vers Paris-Montparnasse, le souvenir d’un premier rendez-vous avec une élève infirmière qui se nommait Eve-Marie, un pique-nique au vert galant, à Paris, un retour, éméché, depuis l’Hôtel Mont-Royal dans l’Oise, jusqu’à Paris.
Il y en avait eu d’autres, encore, la vision du port de Haïfa, dans lequel le TSS « Athinaï » entrait à vitesse réduite, un petit matin sur Tahiti, quand les coqs se mettaient à chanter tous en même temps, un été magique à Rome, quand mes cheveux n’étaient pas encore de la couleur du sel, ni même de la couleur du poivre, l’incroyable vision d’une aurore boréale au-dessus de Keflavik, quand j’étais exilé dans cette Islande qui allait changer mon regard sur le monde.
Ce n’était pas des images fixes, mais plutôt des scènes qui me passaient devant les yeux. Je pouvais sentir les odeurs, je n’étais pas simple spectateur, mais acteur du moment. Je savais que ce n’était pas un rêve, j’avais acquis cette capacité à retourner dans le temps…, il y a très longtemps, à l’époque où un accordéoniste jouait devant le cinéma de la place d’Alésia, pas très loin d’une guérite en bois dans laquelle un mutilé de guerre, ô combien mutilé, vendait des billets multicolores de la Loterie Nationale, Tranche des Gueules Cassées.
Il était sûr que j’étais bien entouré. J’avais senti l’air frais au moment où l’équipe des sapeurs-pompiers me transférait à celle des urgences du grand hôpital, mais je n’étais pas sûr en fait de l’endroit où je me trouvais. Je me souviens m’être demandé comment le sort d’un seul homme pouvait intéresser autant de monde, motiver tant de regards, et puis, qui étaient ces gens qui venaient vers moi pour me poser des questions ? Une femme demanda au capitaine des pompiers : « savez-vous s’il a sa carte vitale avec lui ? », le pompier avait alors haussé les épaules et écarté les mains d’un air de dire « je n’en sais rien » … Une autre femme, avec des cheveux gris, s’était approché de moi, avait pris ma main droite dans sa main gauche, son visage était si doux que j’avais senti des larmes perler… « et vous, qu’avez-vous fait de votre vie ? Racontez-moi tout, je vous promets que ça ne fait pas mal… ».
Alors, j’avais commencé au tout début, sans rien oublier, et de temps en temps, son visage devenait sérieux, pour retrouver sa sérénité quelques instants plus tard…
Le récit avait pris du temps.
On ne peut jamais tout résumer en une seule fois.
« Allez, je vous emmène au bloc » me dit-elle… « vous pouvez vous lever, vous n’êtes pas estropié que je sache… ». J’avais réussi à quitter le brancard sur lequel les urgentistes m’avaient couché, le temps de faire la sacro-sainte paperasse si prisée des gestionnaires…J’avais suivi la femme aux cheveux gris dans les couloirs de ce curieux hôpital dans lequel tout était, incroyablement propre… « voulez-vous faire un petit tour dehors, j’ai une surprise pour vous ». Dans un petit jardin intérieur, une gentille chouette hulotte se chauffait les plumes au soleil de ce début d’hiver…Dans ses yeux, il y avait une sorte de gentillesse animale… Je m’étais approché d’elle pour la caresser. Elle avait tourné sa tête vers moi, et soudainement, j’avais réalisé que l’oiseau me parlait : « tu vois, c’est curieux, comme on se retrouve, toi aussi, ils t’ont amené ici ? ».
La femme aux cheveux gris m’avait regardé avec gentillesse. J’avais eu envie de la prendre dans les bras, sentant confusément qu’un lien fort existait entre elle et moi, et ce, depuis la nuit de mon temps, mais elle ne m’en avait pas laissé le loisir. Nous étions arrivés devant une sorte de passerelle en bois sur laquelle se trouvait une jeune fille….
Visiblement, les deux femmes se connaissaient.
« Je vous confie à elle » me dit la femme « suivez là, elle sait où vous devez aller ». Il ne m’était même pas venu l’idée de questionner ces instructions. J’avais l’impression que tout était clair, il me fallait simplement suivre…
Alors j’avais commencé à marcher sur la passerelle, légèrement, comme en apesanteur…J’avais l’impression étrange d’avoir oublié de dire au revoir…alors je m’étais retourné, juste au milieu de ce petit pont en bois, et j’avais simplement dit à ceux qui me connaissaient : « A bientôt, au revoir, vous voyez, je ne suis plus là… »
© 2019 Sylvain Ubersfeld pour Histoires Courtes
La pyrophobie est la peur du feu.
Voir « La Charrette des Morts » https://sylvainubersfeld.wixsite.com/histoiresdu
Musulman qui a accompli le pèlerinage à La Mecque
Prière juive en araméen récitée à la fin de chaque partie de l'office. Cette prière de « sanctification » est bien sûr présente lors des obsèques au cimetière.
Le jardin d’Eden, le paradis, connu également sous le nom de Gan Pardess
Dans Macabre, poème symphonique de Camille Saint-Saëns
Que de conneries, mais en Yiddish.
C’est bien sûr de l’humour….. !