„Ich vertraue nur einer Person, und diese Person bist du ..Also habe ich dich für eine schwierige Mission ausgewählt“
„Je n’ai confiance qu’en une seule personne, et cette personne c’est vous. Je vous ai donc choisi pour une mission difficile. “
L’amiral Karl Donitz avait convoqué à Berlin le jeune Kapitan Zur See Alain Pagès. Je me souviens, c’était au printemps 1943, alors que les bourgeons des tilleuls commençaient à sortir sur l’avenue Unter Den Linden. Goering avait dit de Dönitz que c’était un nazi, qu’il fallait se méfier de lui, que c’était un fanatique. Le Kapitan Zur See Alain Pages, qui avait lui-même choisi sa voie dans la Kriegsmarine, et avait déjà affronté plusieurs grenadages en Mer du Nord, s’était imaginé que cette convocation à Berlin pouvait présager une sanction. Sans avoir fait quoi que ce fut d’inacceptable, il pouvait avoir été victime d’une dénonciation, un marin de son équipage avait pu écrire une lettre anonyme, indiquant que le Kapitan tenait souvent des propos antinazis, que c’était un traître.
Dans cette époque troublée, il ne fallait pas oublier que tout était possible. Une semaine avant la date fatidique du voyage à Berlin, en une seule nuit, la neige du temps était passée dans ses cheveux. En se réveillant dans sa maison près de Bordeaux, il s’était regardé dans le miroir de la salle de bain, et en voyant ses cheveux blanchis, avait juré : « saloperie de soucis, saloperie de guerre, saloperie de double nationalité… »
Il s’était retrouvé face à l’amiral Karl Dönitz, commandant en chef de la Marine de Guerre Allemande. Il avait succédé au grand Amiral Raeder.
„Willst du eine Zigarre? ein Glas Cognac?“
„Un de mes commandants préférés, Hans Ibbeken de l’U-178 m’a longuement parlé de vous. Il vous tient en grande estime, et m’a promis que vous seriez l’home de la situation…“
Cette phrase avait intrigué le Kapitan Zur See Pagès…
Le Kapitan avait accepté le cigare, mais refusé le verre de cognac. Depuis qu’il savait qu’Adolf Hitler ne buvait pas d’alcool, il évitait de boire quand il était en dehors de son domicile du Cap Ferret. Dans le carré des officiers de son sous-marin, les choses étaient un peu différentes. Il n’hésitait pas à partager avec ses hommes, ce qu’il embarquait avec lui à chaque mission.
Donitz lui avait expliqué les détails de cette mission difficile. Il devait apporter à Constanta, en Roumanie, une importante quantité d’or, destinée à Ion Antonescu, le président du conseil des ministres de Roumanie, surnommé le „ conducator“, une brute fascinée par le pouvoir nazi, un nationaliste de la pire espèce, aussi, qui avait grand besoin de fonds pour acheter des armes et conduire une terrible répression à l’encontre des mouvements d’opposition. Aucunes traces de ce transfert ne devaient être laissées.
Le Kapitan Zur See avait embarqué avec quarante-trois sous-mariniers, un équipage réduit, dix-huit torpilles, mais il n’était pas en mission de combat : il s’agissait d’une simple mission de transport. Il n’avait pas eu mauvaise conscience, il faisait son métier de marin. Si, même, le reste de ses missions avait pu être du transport pur et dur, il aurait gagné son paradis. Il ne voyait aucun intérêt à imaginer la fin de marins ennemis, engloutis par les eaux glacées de l’Atlantique, brûlés par le fuel en flammes. Il savait que le passage le plus difficile serait le franchissement du détroit de Gibraltar. Il faudrait utiliser les moteurs électriques…il avait hâte d’avoir terminé cette mission. Il y en aurait probablement d’autres derrière. Tout dépendrait du succès ou de l’insuccès…mais surtout, tout dépendrait de sa capacité à ne pas se faire détecter par les sonars des bâtiments Anglais…
© 2019 Sylvain Ubersfeld pour Une Photo et Trente Lignes