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DER KAPITAN ( U-178)

Note de l'auteur : Il s'agit dans cette histoire de raconter le parcours d'un officier sous-marinierdela Kriegsmarine. Le personnage d'Hans Ibbeken a été "emprunté" à l'histoire. Il est décédé effectivement en septembre 1971, après une carrière bien remplie. Il a commandé le sous-marin U-178 appartenant à la 12ème flotille de la Kriegsmarine. A-t-il été amoureux d'une certaine Yvette ? Il semblerait que oui.... Je remercie la Mairie de Lège-Cap-Ferret pour m'avoir fourni un plan d'époque dressé par André Rebsamen, et qui m'a aidé à asseoir cette histoire sur un terrain "solide".

Le malaise l’avait pris entre les stations d’autobus d’Ilensee et de Klosterhofer Strasse, alors qu’il se rendait au café du Port dans lequel il avait ses habitudes. Chaque mardi, le « Kapitan zur see » Hans Ibbeken allait retrouver d’autres anciens de la Kriegsmarine, tous originaire de cette région d’Allemagne coincée entre deux mers et à une heure à peine du Danemark. On buvait quelques bières, on évoquait la guerre, chacun parlait de sa jeunesse tumultueuse, de son amour pour la mer, de son besoin incessant de liberté, mais surtout on se racontait des histoires de sous-marins, de moteurs diesel, d’immersion périscopique, de torpilles, de grenadages auxquels on avait survécu…on parlait aussi des odeurs âcres de la salle des machines et des petits matins en mer, quand le ciel rosissait et que l’équipage s’oxygénait les poumons en surface…des moments privilégiés entre les périodes d’attaques dans lesquelles des hommes mourraient parce que c’était la guerre. Il revoyait clairement la couleur du cuivre des instruments, la barbe drue de Hans Schulke, son second, et la photo d’une plage de la mer du Nord sur laquelle on pouvait voir une blonde plantureuse, Hilde, qu’il avait laissé derrière lui pour pouvoir poursuivre ses rêves de mer.


L’homme avait eu d’abord très chaud, puis un froid intense l’avait enveloppé, lui rappelant le vent glacé de la mer du Nord. Il avait eu alors l’impression qu’un étau d’acier lui enserrait le cœur. L’autobus de la ligne 1506 s’était rangé sur le côté le temps d’attendre les secours appelés par radio. Ce 31 aout 1971, à Schleswig, là où il avait passé son enfance, il ne restait plus que quelques heures à vivre à ce marin, mais il ne le savait pas. En attendant les services d’urgence de la ville, Hans Ibbeken s’était soudain mis à penser à Yvette Petit, l’amour de sa vie, celle qu’il n’arrivait pas à oublier…celle qu’il avait laissé sur la presqu’île du Cap Ferret, celle pour qui il avait même envisagé, sans jamais le lui dire, la désertion, avant de penser aux conséquences tragiques qu’un tel acte aurait sur les siens, tous restés dans la bonne ville de Schleswig.


(Café de Bordeaux...à Bordeaux,sous l'occupation)


Il avait replongé vingt-huit ans en arrière quand il avait découvert cet étrange et magnifique coin de France, cette langue de terre prisonnière entre le bassin d’Arcachon et l’Atlantique. Le jour de ce premier contact, il y avait du vent et un sévère crachin rajoutait à la grisaille de la côte, émaillée des fortifications mises en place par l’organisation Todt en prévision d’un possible débarquement, un jour….

Curieusement, les souvenirs commençaient à remonter avec une incroyable force et les détails lui revenaient en mémoire. L’odeur des pins, les plages, l’impression de liberté qui lui rappelait sa jeunesse. Il y avait entre Ibbeken et l’océan une incroyable histoire d’amour qui avait presque occulté la réalité du moment, cette sale guerre, et les cinquante-deux mille tonneaux envoyés par le fond pendant une patrouille qui avait duré cent-vingt-cinq jours … Le vieux commandant de sous-marin qui avait, pendant un temps, présidé à la destinée de l’U-178, un navire du type IXD-2, avait passé les deux dernières décennies à tenter de faire la paix avec lui-même. Souvent, vers trois heures du matin, il se réveillait et repensait aux morts de son fait, à son équipage de soixante-deux hommes, à sa dévotion à l’amiral Raeder. Nazi, lui ? il ne l’avait certainement pas été… !

Allemand, oui, bien sûr, il le revendiquait : les héros Nordiques, la mythologie, Wagner, les Walkyries, le vin du Rhin, une longue liste de conquêtes blondes ou brunes, Kant, Hegel, Leibniz, une totale incompréhension envers les diktats d’un certain traité de Versailles, Il était aussi Allemand qu’on pouvait l’être, mais en vrai, même s’il ne l’aurait jamais avoué en public, son admiration allait plutôt vers l’amiral Wilhelm Canaris que vers les fidèles du petit caporal devenu dictateur.

« Yvette, Yvette, c’était quand d’ailleurs ? » se demandait-il alors qu’il pouvait entendre, encore dans le lointain, la sirène du véhicule de secours…Il avait fermé les yeux, s’était laissé porter par l’étrange torpeur qui freinait les mouvements de son corps. Il revoyait tout. Il n’imaginait pas : il y était, tout simplement.

Il y avait eu l’arrivée à Bordeaux, dans cette base de sous-marin toute neuve avec les bunkers, le personnel affairé, les navires de la douzième flottille avec sur le kiosque l’emblème distinctif de l’unité, une tête de loup, un sous-marin, et une partie de globe terrestre. Novembre 1942 ? Il faisait étrangement froid. Il ne s’attendait pas à voir toute cette tristesse qui avait pris le pas sur Bordeaux. Des uniformes partout, trop d’uniformes pensait il … Le sous-marinier avait choisi son corps d’arme parce qu’il avait une adoration pour la liberté, pour la vision des grands espaces. Il supportait l’autorité, mais à distance. Il aimait pouvoir s’habiller comme bon lui semblait et la vêture de mise sur les « Untersee boot » lui convenait : barbe, casquette blanche pour marquer le commandement, pour le reste il n’y avait pas de règle en dehors des rares escales pendant lesquelles il fallait revêtir les blousons en cuir gris et se raser un minimum.


Le premier week-end suivant son débarquement, son second avait réussi à emprunter une Citroën à un sous-officier de la base. Lesté de deux jerrycans d’essence, et équipé d’une carte routière couvrant la région de Bordeaux, le marin avait cherché une destination pour une balade de la journée. Il avait entrevu cette langue de terre avec des plages, il avait vu le mot « forêt », plusieurs fois les mots « dunes », et, déchiffré un mot qu’il ne connaissait pas : estey… !


(Le plan dressé par André Rebsamen, Géographe et Historien, en 1939. Ce plan a été gracieusement fourni par le service des Archives de la Mairie de Lège-Cap-Ferret . Grâce soit rendue à Aurélie Dambrun)

Intrigué, il avait mis le cap vers la presqu’île située à cinquante-cinq kilomètres de Bordeaux. « Une heure de route » avait-il pensé. C’était sans compter les barrages, la chaussée glissante, et un petit problème d’allumage qui avait nécessité le décrassage d’une bougie. Il était finalement arrivé à Lège alors qu’un timide soleil venait juste de remplacer la pluie. Le premier choc avait été la vision d’une sorte de maison, une cabane plutôt, perchée sur des pilotis, en plein milieu du bassin. Il s’était demandé à quoi pouvait servir cet étrange bâtiment. Le deuxième choc fut quand, pas très loin de lui, amarrée à un énorme poteau en bois planté près de la rive, il découvrit une pinasse avec cette forme si particulière. Le troisième choc fut Yvette Petit… « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » se disait souvent Hans qui avait décidé un jour de faire confiance à la vie, même, et surtout si celle-ci pouvait se terminer à tout moment sous-l’eau, noyé, ou en surface, le corps transpercé par les balles d’un avion anglais en maraude. « Je sais que je survivrai » disait-il souvent à qui voulait l’entendre. Une gentille employée de la mairie lui avait donné un plan pour « touriste », un magnifique plan dressé à la main par un certain André Rebsamen, géographe et historien, certainement un homme de talent, s’était dit Hans Ibbeken.

Il l’avait déplié sur le capot de sa Citroën et avait tracé dans sa tête le trajet de la découverte. D’abord voir la chapelle Notre-Dame-des-Pins, puis marcher jusqu’à la forêt domaniale de Lège, regarder l’Océan au plus près, aller ensuite au « Canon-Plage », dont le nom l’intriguait. Il savait que pour déjeuner, il pourrait aller « Chez Hortense », enfin pas exactement chez Hortense mais dans les locaux du restaurant qu’elle avait ouvert en mille-neuf-cent-trente-huit et que les troupes d’occupation avaient réquisitionné pour en faire une cantine de militaire.


Il avait croisé Yvette rue de la Praya. Il ne se souvenait plus ni pourquoi, ni comment, mais les regards s’étaient « parlé ». Elle avait vu la profondeur du sien, il avait été ébloui par la lumière qui éclairait les yeux bleus de la jeune femme. Il avait pensé à du saphir. Il avait été immédiatement séduit par le physique de cette jeune Française. Il avait vu que la jeune femme s’était retournée. Il avait senti son regard se poser sur le haut de ses puissantes épaules.

Hans aimait la France. Il avait hérité cette curieuse « affection pour l’ennemi » par le biais de sa mère, qui avait été gouvernante chez une famille noble de Vendée qui portait un nom parmi les plus connus…Boutetier ? Boutetière ? De La Boutetière…voilà, oui, sa mère avait travaillé pendant dix-sept ans dans un Château à côté de Chantonnay chez le Comte Arnold Prévôt de la Boutetière de la Roche de Saint-Mars…et avait transmis à son fils un don pour la langue de Voltaire et un amour sincère pour tout ce qui touchait au pays des gaulois râleurs qui savaient comment faire du bon vin.

Yvette avait simplement regardé l’officier de marine qui présentait bien et dont le visage avait quelque chose de différent de celui des autres militaires qu’elle croisait dans les différents secteurs de la presqu’île.

« Bist du ein seeman ? » avait-elle osé lancer à l’homme en uniforme… « Je suis officier de marine » avait-il alors répondu.

« Je commande un sous-marin. Comment vous appelez-vous ? »


L’homme avait parlé presque sans accent, un peu comme s’il avait déjà passé de nombreuses années dans le pays. Et la conversation s’était engagée entre les deux « ennemis », l’un déjà responsable de la mort par noyade de neuf-cent-quarante-neuf hommes, civils ou militaires, l’autre responsable de la vie de cent-vingt-sept nouveaux nés qu’elle avait aidés à venir au monde puisqu’elle était sage-femme à Paris. C’était la guerre qui était responsable de cette curieuse rencontre. Sans guerre, il n’y aurait jamais eu d’histoire entre Hans Ibbeken, l’officier de la Kriegsmarine et Yvette Petit, la sage-femme que l’exode avait lancé en juin mille-neuf-cent-quarante sur une route qui l’avait finalement menée en Gironde où elle avait beaucoup d’amis et quelques relations. Une famille connue de Lège, le nom commençait je crois par un L…lui avait donné refuge. Elle avait ensuite été obligée de changer d’endroit et s’était installée de façon temporaire, qui été devenue presque définitive, chez un couple d’ostréiculteurs, les Pagès, Agnès et Alain, qui s’étaient montré d’une incroyable humanité, allant jusqu’à lui fournir des contacts qui pourraient l’aider à passer en Espagne le moment venu, si cela était souhaité.

Yvette Petit était en fait Yvette Klein, et la « Loi portant statut des juifs » du 3 octobre 1940, avait scellé le destin de la gentille Parisienne.

L’Espagne serait la deuxième étape sur la route de la Palestine.

Pour se moquer d’elle, ses amies de l’hôpital Trousseau lui disaient en se forçant à rire : « mais Yvette, tu ne risques rien, tu fais vraiment chrétienne, personne n’irait penser que tu peux être juive ».

Yvette avait fait le choix de la rébellion. Pas d’étoile jaune. De vrais « faux papiers » qui résisteraient aux fonctionnaires les plus collaborateurs et les plus pointilleux. Yvette Petit, 17 Rue Saint-Romain, Paris 6ème disait la carte d’identité tamponnée par la mairie de la place Saint-Sulpice à Paris.


La discussion s’était prolongée entre Yvette Petit et Hans Ibbeken. Il y avait eu d’autres regards, un tremblement dans la voix de la jeune fille, un rire d’enfant dans celle du marin. Ils avaient ensuite une sorte d’Ersatz de café à la terrasse d’un restaurant près du débarcadère…Alors Hans, qui se sentait l’âme bucolique, et la tête étrangement légère, avait simplement dit à Yvette : « que c’est beau, cet endroit, c’est merveilleux » et Yvette, naïvement, lui avait répondu…. « Et encore, c’était plus beau avant… ! vous auriez dû venir quand vous n’étiez pas là ».


Le regard du sous-marinier s’était quelque peu assombri. « C’est la guerre, Yvette. Je ne l’ai pas voulu. Je n’ai pas choisi. J’ai la mer en moi, comme d’autres ont l’air et sont aviateurs, d’autres encore la montagne, et passent leur vie à escalader les plus hauts sommets du monde ».

Yvette avait bien aimé cette approche. Le militaire ne tirait aucune gloire des victoires de l’Allemagne. Il regrettait, simplement, cette débauche de béton qui dénaturait les rivages du grand océan. Yvette avait tenté le diable en questionnant habilement le militaire sur les persécutions antisémites en Allemagne. « Est-ce vrai ce qu’on dit sur les juifs, vous les détestez tant que cela ? »…


(Profondeur périscopique : prélude à une attaque ?)

Alors le visage d’Hans Ibbeken était devenu sombre, sa voix avait baissé d’un demi-ton, et il avait ouvert son cœur pour lui raconter son enfance et sa jeunesse. Il avait dit : « les juifs n’ont rien à voir dans les malheurs de l’Allemagne. Le responsable, c’est ce petit caporal, ce fou avec ses idées fixes, sa Gestapo, et sa SS ». Il avait raconté son père pasteur qui avait perdu la foi, la détresse de la mère, puis sa maladie, la dureté de la vie dans l’Allemagne des années vingt, l’incroyable aventure d’Adolf Hitler, qui avait connu la plus grande misère et se vengeait maintenant en menant l’Allemagne à sa perte.

Il y avait eu un au revoir devant la Citroën grise et Hans avait simplement dit : « Si vous ne me dites pas adieu maintenant, je reviendrai, si vous le permettez… ».

Yvette avait simplement souri. Alors, il était revenu. Une fois, deux fois, plusieurs fois. Novembre et décembre avaient cédé le pas à Janvier, puis février et mars étaient passés à leur tour. Yvette avait expliqué l’histoire de la « Cabane Tchanquée » de Martin Pibert, elle l’avait emmené manger des huîtres chez le couple Pagès.


Le mari de Madame Pagès avait été un temps aviateur, et en dépit d’une méfiance bien compréhensive et d’une cordiale détestation réciproque, les hommes avaient mis de côté leurs « irréconciliables différences » et avaient parlé moteurs, puis peu de temps après, ils avaient disserté sur les mérites respectifs des vins blanc de Bordeaux et d’ailleurs. Ils avaient visité les guerres, discuté des traités de paix, des échecs des politiciens, des espoirs des gens simples. Ils avaient parlé des pins de la presqu’ile qui longeaient l’océan, de l’odeur de la résine sous le soleil de juin ou de juillet, et le sous-marinier avait finalement avoué qu’il aimait la région, les huîtres et Yvette Petit, avec tout ce que cela pouvait comporter comme dangers, tant pour lui-même que pour elle.

Guerre, Paix, Espoirs…. Alain Pagès avait tenu un discours sage sur le futur incertain de la France. Il avait précisé : « Je ne discute jamais de politique avec les étrangers, amis ou ennemis, c’est un principe. En plus, je pense que la guerre est une affaire bien trop sérieuse pour être confiée à des militaires.

Hans, buvons un coup, Prosit comme on dit dans votre marine ».

Les hommes avaient trinqué, les femmes avaient souri...et, finalement, Monsieur Pagès avait repoussé l’assiette sur laquelle étaient empilées les coquilles de quatre douzaines d’huîtres, et s’était ensuite lancé dans un grand discours sur l’histoire de la base aéronautique de Biscarosse, les aventures de Jean Mermoz, de Nungesser et Coli et de Clément Ader.


Pour Yvette Klein et Hans Ibbeken, Il y avait eu un dîner à l’Hôtel « Le Bellevue », un déjeuner à l’Hôtel du Panier Fleuri, un thé à l’hôtel de la Mer, un autre dîner à l’Hôtel du Phare. Ils s’étaient embrassés à la Pointe des Chevaux, s’étaient de nouveau enlacé au sommet de la dune de l’Espalle.

C’était pendant la nuit à l’Hôtel Chantecler qu’Yvette Petit avait dit toute la vérité de son histoire à son marin au grand cœur. Elle, juive, réfugiée, en instance d’un départ pour l’autre côté de la Méditerranée, si la chance le voulait bien. Hans Ibbeken n’avait pas été choqué : « Tu es Juive ? Je suis Protestant » avait-il plaisanté…et l’inquiétude avait quitté le visage d’Yvette Klein.

Alors qu’un vendredi soir, les deux amants se promenaient, pas très loin de la Villa Algérienne construite par Léon Lesca qui avait participé à la grande aventure du port d’Alger, Yvette demanda à son bel officier : « Tu m’amèneras vivre dans un palais Mauresque, comme cette maison, après la guerre ? », puis elle lâcha son incroyable nouvelle : « Hansi, je suis enceinte…J’attends un enfant de toi, tu sais ce que cela représente. Il faut que je parte. Il faut que tu m’aides. » Hans Ibbeken aurait tout donné pour qu’Yvette ne lui annonce jamais une telle nouvelle. « Je dois fuir » lui dit-elle… « Je n’ai pas le choix, mais ton fils sera aussi le mien. Jusqu’à ce que cette saleté de guerre se termine, d’une façon ou d’une autre ». Le couple avait marché jusqu’à une sorte de passerelle en fer à côté du Fond de Lège, puis, en rebroussant chemin, ils avaient été jusqu’à Piraillan.


Yvette Klein avait maintenant peur…


Ce fut à son tour d’être surprise car, alors que la lumière déclinait, Hans Ibekken, encore secoué par la nouvelle qu’il venait d’apprendre, se tourna vers Yvette, les yeux tristes, et lui souffla dans un soupir : « J’embarque demain…je sais que nous ne nous reverrons plus. J’ai dans cette enveloppe un ausweis qui te permettra d’aller jusqu’en Espagne, des bons de transport par chemin de fer et des coupons pour l’essence si tu as besoin. Fuis vite…je sais que les juifs continuent à être pourchassés…tu n’es pas au bout de tes peines. Sauve-toi…. « Gott beschütze dich“ Dieu te bénisse“.


Ibbeken avait pris les épaules d’Yvette, il avait déposé sur le coin droit de la bouche un baiser d’une inhabituelle tendresse, et s’était mis à courir vers l’embarcadère, laissant Yvette interdite, incapable de bouger son corps, le coeur détruit.


Son monde venait de basculer dans le néant…


Alors que le brancard se dirigeait vers le service des urgences de l’hôpital de Schleswig, Hans Ibbeken se souvint soudain qu’il avait reçu exactement deux ans auparavant, en aout soixante-neuf, une curieuse photo représentant un officier de marine sur le kiosque d’un sous-marin Israélien, et une autre montrant une sorte de parade pendant laquelle un haut gradé accompagné d’un officier, passait en revue des marins de l’été Hébreu.


Dans l’enveloppe, avec les deux photos, une longue lettre de cinq pages résumait les vingt-huit dernières années d’Yvette Klein.


Elle y racontait son voyage vers Sitges, non loin de Barcelone, son embarquement sur un chalutier appartenant à des républicains espagnols juifs, son long périple vers Larnaca, son arrivée enfin en Palestine sur un bateau de la Hagannah, son accouchement dans une sorte d’habitat collectif que l’on nommait un Kibboutz.


Il n’y avait ni regrets, ni reproches, ni demandes indues. Le temps avait fait son œuvre,disait-elle, mais il n’y avait aucune amertume. La missive relevait plus de l’information que d’un retour ému sur une relation brutalement interrompue.


Avec la lettre se trouvait également un article du Jerusalem Post en Anglais. Hans Ibbeken l’avait déplié, et il avait reçu un choc violent en déchiffrant le texte :


“ Hans Amir Klein,le fils Israelien d’un officier de la Kriegsmarine, est nommé le même jour, commandant d’un sous-marin de l’Etat Hébreu et second de l’Amiral Avraham Botzer responsable de la marine Israëlienne“.


Il avait compris alors que tout était accompli, que sa vie avait servi à quelque chose…

(Hans Amir Klein le jour où il reçu le commandement de son sous-marin)

(Hans Amir Klein, officier de la Marine Israélienne avec l'amiral Avraham Botzer : un incroyable parcours....mais tout est-il vrai?)

Sur son lit d’hôpital, Hans Ibbeken souriait.

Les narcotiques commençaient à faire leur effet et son corps lui semblait de plus en plus léger.


L’infirmière qui était à son chevet l’entendit dire clairement :


Beim Tauchen ... auf Hundert zwanzig Meter !

En plongée….à cent-vingt-mètres….


Et ce fut tout….Hans Ibbeken venait de rejoindre les „trois filles du Rhin“. (1)


(1) Elles se nomment Wellgunde, Flosshilde et Woglinde. Les trois nymphes apparaissent dans le cycle d'opéras de Richard Wagner "Der Ring des Nibelungen". Il s'agit bien-sûr de nymphes "mythologiques". Elle logent " dans les profondeurs du Rhin et protègent les réserves d'or qui sont supposées s'y trouver...








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