Les mal pensants disaient de lui qu'il n'aimait ni les humains, ni les bêtes..... Moi, j'avais croisé cet homme, sur la route de Majdal Shams, à un jet de pierre de la frontière Syrienne.. Il avait un sac à dos et tenait dans ses bras un tout petit chien, trop petit pour marcher sur les pierres tranchantes de ce coin du Golan...Je me rappelle, c'était le onze juillet deux-mille-six...Le long de la route qui montait vers Neve Ativ, on entendait les tirs de canon...."Ne t'inquètes pas" avait il dit à son épouse, ce sont les artilleurs qui s'entraînent.... On lui avait dit que c'était de la folie de partir pour la frontière, mais il n'avait pas tenu compte des avis sages de "ceux qui savaient". Il aimait cette région qui semblait n'appartenir à personne tant elle était imprégnée des deux cultures...Plus loin au Nord, il y avait la frontière avec le Liban...Il s'était souvenu d'une famille chrétienne de Beyrouth rencontrée plus de quarante ans auparavant en Egypte.... Il s'était demandé ce qu'étaient devenus les Andraos...
Vers l'Est, un vague amas de fils de fer barbelés suivait la ligne de cessez-le-feu de mille-neuf-cent-soixante-quatorze....la fameuse "ligne Alpha". L'homme au petit chien m'avait raconté comment il avait aimé cette montée depuis la Galilée vers le Golan, comment il aimait les grands espaces, les vastes cultures, l'idée même d'un plateau reposant alors que tout le reste n'était que collines et parfois même montagne. Il savait que demain soir, il reviendrait vers Tel-aviv, en passant par un coucher de soleil sur Nahariya et une "Maccabi" dégustée à la terrasse d'un bar de plage. Il se poserait les mêmes questions, retrouverait les mêmes réponses, ressentirait les mêmes hésitations, mélangerait les mêmes souvenirs, tirerait les mêmes conclusions que les fois précédentes...On lui avait vanté le Golan, il y était allé une fois, dix fois, cinquante, passant le long de la frontière, en route pour Roch Hanikra et ses eaux bleues.
Pendant la nuit, dans le bungalow treize d'un "zimmer" (1) de Neve Ativ, aprés avoir dîné dans un restaurant portant l'étrange nom de "La sorcière et le Chaudron", les tirs avaient commencé et le petit chien avait plongé sous le lit. Alors que, sur TV 5 Monde, Lino Ventura s'apprêtait à emballer Jean Gabin, le patriarche du Clan des Siciliens, les tankistes Israéliens se préparaient au choc . Pour Ariel, sa femme et Noah, l'aimable boule poil, Il était trop tard pour partir, redescendre vers le sud, vers la sécurité relative de Tel-aviv et la proximité de Chypre, a peine à quelques heures en vedette rapide, lui avait on dit . "Si cela tourna vraiment mal, on vous exfiltera" par la mer...Tout le monde voyait déjà l'aéroport Ben-Gurion bombardé par d'aventuriers pilotes " ennemis", Syriens peut être, Iraniens plus sûrement. Le lendemain matin à la radio, Kol Israel (2) avait annoncé le début de la guerre....Il fallait trouver un moyen de quitter ce piège sur la frontière....
(1) Une combinaison d'hôtel, chambre d'hôtes, auberge familiale... (2) La Voix d'Israel , Radio d'Etat
© 2019, Sylvain Ubersfeld pour Une Photo et Trente Lignes.