Le réfugié, le malade, le pauvre, le laissé pour compte, tous m’avaient raconté la même histoire, même Aman l’Erythréen l' homme de la rue, et ceux qui dormaient entre deux grands cartons tout près du cinéma Gaumont “C’est une sœur du monde, tout ce que je sais est qu’elle s’appelle Muriel. Son mari se moque d’elle en disant qu’il a épousé Saint-Vincent de Paul, mais Muriel continue son petit bonhomme de
chemin semant du bon derrière elle.
"Parole de Sans Domicile, parole d’Erythréen », avait-il ajouté pour donner plus de véracité à ses propos...
Aman avait alors posé son vélo auquel était attaché une carriole sur laquelle étaient empilées ses maigres possessions, et avait continué son récit. Il avait raconté cette histoire édifiante d’une famille en attente d’expulsion faute de trouver un garant financier. Encore quelques jours, quelques heures et la rue attendait une mère et ses deux enfants. Il y avait également un sans domicile dormant dans sa voiture que Muriel avait recueilli pour lui éviter la souffrance de la solitude et du froid. Il y avait ses regards qui voulaient dire « je sais que vous souffrez, je ne peux pas faire plus pour vous, mais je vous donne un petit bout de mon cœur, un petit, parce que je dois en garder aussi pour les autres ».
Muriel avait croisé Aman et deux autres réfugiés dans un supermarché ,derrière la frontière Italienne, la main au dessus d’un paquet de yahourt, l’hésitation du pauvre dans le regard, alors bien sûr, son cœur n’avait fait qu’un bond et son sang qu’un tour, puisqu’elle avait donné aux Erythréens de quoi se nourrir pour le reste de la journée.
Muriel avait croisé le chemin de tant de cœurs en détresse, qu’au moment de citer tous les sauvetages, il n’était pas possible de tout coucher sur papier par peur d’oublier ici un sans-abri, là une femme en détresse, là encore un homme perdu à qui tout le monde avait refusé un regard.
Elle condamnait la détresse, disait que c’était injuste, plaignait la femme opprimée, vouait aux enfers ceux des hommes qui battaient leur compagne. Saint-Martin avait donné la moitié de son manteau et on en avait fait un héros de la chasse à la pauvreté et à l’injustice, Muriel avait donné la totalité de ce qu’elle pouvait à tout le monde, en disant simplement « c’est mon bonheur, si je pouvais, je les prendrais tous avec moi » et alors, on pouvait voir que ses pieds ne touchaient déjà plus terre, tellement elle devenait légère..
A L’Ukrainien en mal de Kiev, Muriel donnait quelques euros et des tickets restaurants, au Roumain qui pensait à Bucarest, elle achetait un paquet de cigarette de contrebande, en fin de journée, elle réalisait à quel point elle avait absorbé le mal en essayant de faire le bien. Muriel aurait pris chez elle les enfants en souffrance, les battus, ceux à qui l'on mentait, ceux qui seraient rapidement perdus pour toujours faute de sauvetage. Il y avait dans cette femme autant de Secours Catholique que de Croix-Rouge avec un petit peu d’Emmaüs et de Secours Populaire. Muriel se savait vouée à l’amour puisque l’amour lui faisait du bien. Elle aurait voulu venir à l’aide de milliers d’Aman, de centaines d’Igor, de Drago ou de Boubacar, mais il y en avait simplement trop et son cœur n’était pas assez grand pour tous.
Elle se demandait si les gens se moquaient d’elle, et attendait toujours de savoir la vérité...
Dans le visage d’Aman, dans le sourire qui s’était formé sur son visage émacié, Muriel avait eu un jour sa réponse. Elle savait que sa vie ne pouvait pas être comme n’importe quelle vie, qu’elle avait des choses à accomplir, que ces choses s’accompliraient dans un ordre donné pour qu’à la fin, elle puisse avoir toutes les réponses aux questions qu’elle avait en elle depuis son premier jour.
Elle avait essayé de faire une liste sur un papier pour ne pas oublier…mais le papier n’était pas assez grand et le crayon n’était pas assez pointu pour pouvoir écrire les détails, et puis on lui avait dit que ce qui était le plus important c’était de compter le nombre des sourires, et pas tellement de savoir ce qui faisait que les gens souriaient tous quand Muriel passait dans les endroits ou régnait la pauvreté, le malheur, la galère, l’injustice ou la méchanceté.