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MALGRÉ EUX

"E Güeter" avait dit l'un, "E bessere" avait répondu l'autre.

Alors, ils avaient tiré de leur "brotbeutel", leur sac à pain, un gigantesque sandwiche au jambon qu'ils avaient acheté au "soldatenheim" de la Place Blanche deux heures auparavant. Sous leurs yeux, il y avait Paris et les souvenirs d'une visite en 1937 à l'exposition universelle sur les arts et techniques de la vie moderne. Curieusement, les deux étaient présents mais à trois mois d'intervalle, l'un en juin, l'autre en Octobre. Ils étaient venus en train depuis leur Alsace, en utilisant le réseau d'Alsace-Lorraine, puis Compagnie des Chemins de fer de L'Est. Frantz Maier avait passé trois jours à l'hôtel de l'exposition, pas loin de la tour Eiffel , Anton Becker avait séjourné chez Tante Grétel, qui habitait du côté de la Bastille. Anton avait adoré le pavillon de la maison Pernod et Frantz s'était intéressé à celui de la société Philips, une entreprise Hollandaise qui présentait une sorte de radio pour la voiture. Les deux s'étaient arrêté au pavillon de la société Sarlino qui fabriquait et commercialisait une sorte de revêtement souple pour les sols. Ils étaient revenus à Paris, malgré eux, combattants pris le cul entre deux chaises, amoureux de la république et du "rot und wiss", le drapeau de leur patrie. Ils n'auraient jamais pensé qu'on pourrait en arriver là.


Depuis un an déjà, ils avaient été forcés de rejoindre la "Heer", l'armée de terre de la Wehrmacht. " On a eu de la chance, on aurait pu finir chez les SS...!" Frantz Maier pensait souvent à son village de Creutzwald en faisant ses gardes devant l' Hôtel Meurice , la résidence du gouverneur militaire de Paris. Anton Becker, lui , se disait qu'il aurait préféré être à Mittersheim avec son frère, au lieu de servir dans l'arméee Allemande comme chauffeur attaché au service des trois armes du Palais du Luxembourg. " Il y a plein de jeunes étudiantes" plaisantait-il. Personne ne leur avait laissé le choix. Personne ne leur avait interdit de s'enfuir, il n'avaient simplement pas eu le temps, et puis rejoindre l'Afrique du Nord ? Comment, l'Angleterre ? C'était irréaliste...et puis il y avait eu Josef Bürckel, le Gauleiter, qui avait décidé.....et ils étaient devenus vert-de-gris, malgré eux.

Le plus dur, en dehors d'être au service d'une armée d'occupation et d'un régime qui n'avait pas d'égal dans le domaine de la brutalité aveugle et de la haine, était de sentir peser sur eux, même si ils leur tournaient le dos, les regards méprisants des Parisiens. Quand ils croisaient une belle Parisienne rue de Rivoli, Anton et Frantz baissaient les yeux plûtôt que de devoir affronter le dédain visible que les femmes avaient pour les uniformes "feldgrau". Anton s'était dit qu'il aurait été bien d'avoir un signe distinctif sur la vareuse ou sur le bras, pour indiquer qu'il servait sous la contrainte, mais l'état-major Allemand ne partageait pas sa vision des choses. On lui avait dit "Wenn Sie Elsässer sind, dann sind Sie Deutscher", si vous êtes Alsacien, alors vous êtes Allemand.

Alors depuis le moment où ils avaient revêtu l'uniforme vert sombre, et portaient à la ceinture une boucle assurant que "Dieu était avec eux", Anton et Frantz comptaient les jours et se réjouissaient à chaque mauvaise nouvelle que le grand quartier général tentait de cacher. " Allez, encore quelques mois et on sera chez nous" avait dit Frantz , "Gott sei dànk", dieu soit loué, avait répondu Anton...

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