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F-BAOE

30 juillet 1962...Le DC 3 du CEP (Centre d'Exploitation de la Postale) immatriculé F-BAOE fait des tours de piste en passant au dessus de la maison. C'est normal, les jeunes pilotes d'Air France s'entraînent à Coulommiers-Voisin, ce terrain d'aviation comme on dit encore, situé à deux nautiques de chez nous. La maison se trouve en plein dans la parallèle à la piste, ce qu'on appelle " la branche vent arrière". Le gros DC 3 ( pour un petit mec de 11 ans, un DC 3 c'est gros) tourne depuis huit heures du matin. Je le sais, mais parents m'ont acheté un réveil qu'il faut remonter et c'est le bruit des moteurs Wright R-1820 qui me fait sortir du lit les matins de semaine, au premier survol. Huit heures du matin, je te dis.Ils commencent à tourner bien tôt mais c'est magnifique de voir cet avion qui passe si bas qu'il en fait vibrer les meubles. C'est les grandes vacances, on peut faire ce qu'on veut. Le petit déjeuner est vite avalé, poudre de chocolat au cacao, lait pris à la ferme chez Madame Leclère la veille au soir, tartines coupées dans un "gros pain" de deux kilos.

Déjà dans l'air, il y a l'odeur du blé et du maïs en cours de moisson. Vite, aller dehors, se planter le nez en l'air, les oreilles aux aguets en attendant le passage du monstre.

Le terrain de Coulommiers-Voisin ? un truc qui a servi pendant la guerre comme base pour la chasse de nuit de la Luftwaffe en 1944, la NachtJagdgeschwader Groupe 4, avant d'être dénommé A-58 par le Neuvième Air Force Américaine. De temps en temps, un ami de mon père vient s'y poser avec son Stampe SV-4 ou son "Brochet" construit maison. Sur le terrain de Coulommiers il y a un Fieseler "Storch", un avion d'observation que les boches n'ont pas eu le temps d'emmener avec eux quand les pilotes on déserté les lieux devant l'avance Américaine. On l'utilise pour tirer les gros planeurs-école C 800 d'une étrange couleur intermédiaire entre l'orange et le marron. Il a été repeint d'un bleu fade pour masquer les croix de fer sur les ailes, mais c'est bien un appareil Allemand avec son moteur Argus As 10 C-3. Il faut à Monsieur Larmignat, le mécanicien attitré, tout son talent pour le maintenir en état de vol, dix sept ans après la fin de la guerre. Quand le moteur est mis en route, il vaut mieux ne pas rester derrière l'avion: ça souffle fort, tellement fort que ça peut bien te bousculer un petit gamin dans mes âges...

Parfois, en allant à Coulommiers en voiture, je peux apercevoir le DC-3 au parking, pas très loin de la route.Il est magnifique. Il brille au soleil de Juillet. Le soir, il repart vers une destination inconnue, pour revenir le lendemain, et refaire des "tours de piste" avec des " touch-and- go", ces fameuses "remises de gaz après toucher des roues". Dans un mois, six mois, huit mois, Michel Mangin, Robert Navailles , Jean Pénicaud, ou plein d'autres qui auront tourné pendant des heures dans le circuit d'approche de Coulommiers-Voisin, partiront chaque nuit aux quatre coins de la France avec le courrier, comme dans les histoires qu'on peut lire sur les petites vignettes des tablettes de chocolat. Combien de temps entre chaque tour de piste ? Vingt minutes? un peu moins, je pense que cela dépend des talents du pilote et de la patience de l'instructeur. De temps en temps le bruit s'interrompt. Une pause déjeuner ? Un plein d'Avgas 87? Mais là, le silence devient long...c'est curieux. On entend juste le bruit du tracteur Massey-Ferguson du père Bovard, celui de la moissonneuse-batteuse de Monsieur Leclère. En décollant face à l'ouest, une aile du F-BAOE à tapé dans un camion sur la route de Maisoncelles. L'avion s'est écrasé dans un champ à quatre-cent-cinquante mètres du seuil de piste.

Sur les huit membres de l'équipage, cinq n'auront jamais l'occasion de livrer le courrier comme le faisaient les anciens de l'Aéropostale...

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