Le beffroi de la gare de Lyon regardait tout cela sans se faire de soucis pour lui même! Personne n'allait toucher à sa grande horloge, point de repère des voyageurs en retard en partance vers le sud.Lui était un monument historique. Le reste ? De vagues zones destinées à une mort prochaine. Pas très loin du beffroi se trouvait un petit quadrilatère qui avait grandi trop vite et sans discipline. Tu avais là un ou deux troquets où les cheminots venaient se noircir, tu avais au sol du vrai pavé qui avait du connaitre l'époque d'avant le chemin de fer, tu avais des fils électriques indisciplinés, et puis surtout tu avais le garage à Albert, mais si, tu sais bien, Albert, celui qui était maqué avec Ginette de L'Etoile de Kléber.....
Albert, c'était un gars bien comme il fallait. Tout le monde savait que c'était un ancien hareng, mais finalement, ce qui comptait le plus c'est qu'il était toujours disponible pour faire le quatrième au cartes, ou éventuellement te dépanner avec une plaque d'immatriculation en trop, ou quelques sacs quand tu étais dans la merde et que t'avais pas clappé depuis deux jours. Albert faisait dans la réparation automobile. Il avait acheté son petit bout d'univers à côté de la Gare de Lyon, et l'avait payé avec du pain de fesses. Il disait en se marrant: "le jour où j'aurai les cognes au cul, ce sera plus pratique pour mettre les bouts..." mais ça s'était bien passé. Il était en train de revendre son bout de territoire à un marlou qui faisait dans l'immobilier.
Depuis longtemps déjà, le sol était glissant sur les pavés.C'était un mélange de graisse, d'huiles de vidange, avec sur le dessus une fine couche de suie, de la suie fine qui venait probablement de la gare de Lyon. Les anciens collègues d'Albert passaient de moins en moins dans le quartier. Joseph l'Orannais se faisait rare, les frères Giovanni également. Il avait réussi à décider Ginette à partir à Brazza. Dans trois semaines, les dés seraient jetés. Le garage vendu, un aimable tas de billets bien planqués au fond du pavillon de Saint-Maur, Albert pourrait commencer une nouvelle vie. C'était très à la mode...de plus en plus de copains plaquaient tout pour se refaire une virginité, un peu comme si ils savaient que les temps allaient devenir durs pour les voyous, qu'ils soient, ou pas, rangés des voitures....