Erik était revenu soixante ans après et il avait eu la même sensation d'un coup de poing à l'estomac.Il avait senti la même eau de javel que celle qui flottait déjà dans les couloirs au plancher de bois du sept, rue Prisse d'Avennes. Il s'était aussi senti prisonnier, comme avant, obligé de se fondre dans la masse des écoliers grisâtres.Pendant que la vie se déroulait à l'extérieur de la forteresse,les prisonniers tournaient en rond dans la cour de récré où se dressaient de courageux marronniers qui tentaient de survivre au monoxyde de carbone.
Il y avait surtout l'odeur de la craie, des petits bâtons d'une craie blanche,rose,bleue ou jaune.
A l'heure dite, et sans espoir aucun qu'elle ne puisse rester ouverte, pour faire comme si, la grande porte se refermait en emprisonnant les futurs fonctionnaires, les possibles médecin,le grands avocats, les tristes notaires, les poètes rêveurs, les vétérinaires en puissance.Le seul espoir d'évasion était celui qui portait le regard au delà de la fenêtre. A cette époque, Erik se raccrochait à la vision au delà de la cour, d'un autre immeuble dans lequel habitait d'autres gens qui n'allaient plus à l'école,qui n'étaient plus privés de leur liberté,qui n'avaient plus à remplir les encriers avec de l'encre violette. Erik n'avait jamais compris pourquoi, mais passer la porte de l'école,c'était comme si une main invisible lui arrachait le coeur.
En fin de journée, quand Madame Perron avait,des centaines de fois, effaçée le tableau noir, fait disparaître les participes, refluer les confluents, "récapité" Louis XVI, ou disserté sur "soumettons-nous à la règle" ou "aimons la France notre belle patrie" puis d'un coup de chiffon, envoyé les mots au fond des cervelles écolières, une fine couche de poussière de craie recouvrait les trois pupitres situés au premier rang, la où prenaient racines les bons élèves,là ou se donnaient les bons points, et ou se distribuaient aussi les coups de règles de le bout des doigts.