Alexandre se moquait bien de la fuite de la chasse d'eau dans les toilettes à la turque du couloir du septième étage."Plic,plic,plic,plic..." Toute la nuit, les gouttes tombaient sur le sol. Dans la chambre où il étudiait flottait encore le souvenir d'une Thérèse, d'une Andrée, d'une Pazita ou d'une Colette, qu'on disait "bonnes à tout faire" et que les bourgeois bien pensant avaient sauvées de la misère rurale en les prenant à leur service. Le baron Haussmann avait vu diablement juste, en prévoyant un "septième étage", celui de la domesticité, avec son plancher en bois mille fois brossé à l'eau de Javel, à tel point qu'en sortant de sa chambre, Alexandre pouvait presque voir une femme de ménage, à genoux, en train de frotter le sol, tellement l'odeur était envahissante.
La tête perdu dans des considérations électroniques, des équations savantes de mesures du son, des calculs pointus à base de décibels, Alexandre s'accordait parfois un petit coup d'oeil par la tabatière, attrapant un morceau de scène de vie quotidienne, l'image d'un homme se promenant dans son appartement en se brossant les dents, celle d'une femme accrochant une jarretelle. Il avait placé sa table de travail face au mur pour ne pas tenter la distraction à cause des fenêtres sur cour qui tentaient de masquer les intimités.
Le temps se partageait entre le pensum des heures passées au septième étage, les nuits chez son père qui habitait,lui, au troisième ,les journées similaires qui l'amenaient sur la route du diplôme et le début de sa vie professionnelle. Alexandre était attaché à la rêverie.Il s'imaginait parfois, faisant le tour du pâté de maison, chaussé de baskets, en sautant de toit en toit, évitant le piège des cours profondes qui séparaient les royaumes des différents immeubles. Quand il revenait dans la chambre treize, au septième étage, Alexandre savait qu'il garderait de cette période un souvenir qui ne pourrait jamais s'effacer...