Gerard Desportes. avait trouvé une paire d'ailes toutes neuves. Il avait brûlé des heures de sommeil en rêvant à des vols long-courriers, Il avait cent fois accompagné Mermoz, deux cent fois fait le plein à Cap Juby, trois cent fois posé son avion à Villa-Cisneros..Il avait eu la chance en sortant de la Royal Air Force où il avait servi dans l'escadron GB 1/20 "Lorraine",d'être parmi les premiers pilotes recrutés juste après la guerre. Passer du "Spitfire" au Boeing 707 n'était pas une mince affaire, mais cette transition était derrière lui. Gerard aimait l'uniforme bleu sombre de la compagnie nationale,le galon doré de sa casquette.
Gerard Desportes aimait surtout le moment du repoussage,alors que l'appareil reculait en quittant son parking.C'était le moment du briefing avec le reste de son équipage, le moment de la précision, le moment de choisir les bonnes fréquences à la radio, de caler les instruments, de discuter des paramètres moteurs et de prévoir ce qu'il fallait faire au cas ou le décollage devrait être interrompu. Mais ce que Gérard aimait par dessus tout, c'était de sentir la puissance de l'aéronef qui l'emporterait au dessus de l'Atlantique, du Pacifique, de la mer de Chine. Plutôt que des petits trajets pour père de famille pantouflard, il avait opté pour des départs lointains avec en bout de ligne,à Djibouti, Quito ou Tananarive, encore un petit parfum d'aventure.
Pendant le trajet, Gerard Desportes, grand fumeur de pipe devant l'éternel, devrait faire une croix sur le tabac anglais et fumer discrètement un cigarette Américaine dans le galley à l'avant de l'appareil. Il ne comprenait pas pourquoi la compagnie autorisait les passagers à fumer à bord. Demain, il irait passer une journée sur l'île de Moucha où un vieux boutre le déposerait avec l'ensemble de son équipage. Cette semaine, sa destination était le lointain Territoire Français des Affars et des Issas, un petit bout de France qui avait abrité Henri de Monfreid. Régulièrement, les ailes Françaises se posaient à Ambouli, dans une chaleur infernale atténuée seulement entre quatre et cinq heures du matin...