Gennadi Alexandrovitch Kourakine avait fui Rostov en emmenant avec lui sa timide épouse Akulina Viktorovna Kagan. Gennadi n'aimait pas les bolchéviques qui lui avaient déjà tout pris. Gennadi et Akulina cumulaient deux handicaps en commun: être Russes blancs et être Juifs. Si Akulina avait eu dans son enfance un précepteur né à Brest , un marin tombé amoureux de la Sainte Russie à l'époque de l'alliance Franco-Russe, Gennadi ne parlait pas un mot de Français. Un autres chauffeur Russe lui avait appris que dire "Привет, мадам, привет, сэр, куда бы вы хотели пойти?" se verbalisait en Français par "Bonjour,Madame, Bonjour Monsieur, où souhaitez vous aller?"
Gennadi et Akulina logeaient chez un propriétaire Juif de la rue Pavée. En traversant la rue, ils pouvaient entrer dans la synagogue qui étaient encore presque neuve. Pour survivre, Gennadi était rentré à la G7, une compagnie de taxi qui acceptait les étrangers réfugiés, et comme les seules réfugiés " à la mode" étaient Russes, Gennadi avait trouvé une seconde famille qu'il rejoignait chaque matin au garage de Levalllois. Si Gennadi n'était pas orthodoxe dans sa pratique du Judaïsme, il avait toutefois refusé de conduire le samedi et avait "recruté" un autre chauffeur pour travailler à sa place, en partageant les gains de la journée.
Gennadi ne connaissait pas encore Paris, mais il avait noté en caractère cyrilliques, sur un bout de papier devenu gras à force d'être manipulé, la liste des gares et comment y accéder, les emplacements des cabarets Russes où on pouvait laisser couler ses larmes en pensant au pays, les lieux de plaisirs pour messieurs, les lieux de plaisirs pour dames, les hôtels pour gens aisés. Au rythme raisonnable de vingt nouveaux mots par semaine, Gennadi serait dans quelques années un vrai parigot! Il avait appris à aimer l'odeur de cuir de la Renault KZ.11 qu'il conduisait neuf heures par jour six jours sur sept...