Micheline et Josépha ne le savaient pas: elles étaient demi-soeur, filles d'un père pas très sérieux qui avait laissé derrière lui une ribambelle de femmes grosses de ses oeuvres. C'était à l'époque du grand empire colonial Français. Charles Maucontour était receveur principal à la poste de Saïgon. A la terrasse du Continental, rue Catinat Charles avait rencontré Mauricette et Françine. Il était tombé amoureux des deux, la même semaine.Charles était une fine lame et ne fréquentait pas les bordels de Saïgon, de peur d'y être reconnu par un de ses subordonnés de l'administration postale. Il préférait donner ses rendez-vous galant dans un petit deux pièces de la rue Chasseloup-Laubat.
Micheline travaillait chez un radiologue du boulevard de Strasbourg,Josépha était gouvernante dans une famille d'Américains expatriés qui résidaient à Neuilly. Elles s'étaient rencontré dans un train revenant du Sud-Est, avaient partagé les souvenirs de leurs enfances en "Indo" et avaient aimé leurs histoires respectives. Quand il s'agissait de parler des parents, les deux étaient d'accord sur un point: il valait mieux ne rien en dire . " J'ai très peu connu mon père" disait l'une, "je ne me souviens pas de lui répondait l'autre" . Mais les deux se rappelaient des odeurs de Saïgon, du goût des mangues, et du retour sur le navire des Messageries Maritime, le "Maréchal Galliéni"
Comme il n'y avait pas de hasard, c'était la vie qui s'était chargée de mettre en rapport Micheline et Josépha. Comment pouvaient elles savoir que treize jours après cette rencontre habituelle au café de la rue de Turbigo, elles se retrouveraient à l'étude de Maître Rohan-Chabot pour assister toutes deux à la lecture du testament de Charles Maucontour qui venait de décéder à Brive. On ne sait comment, peut être en trafiquant pour arrondir ses fins de mois, il avait fait fortune dans le caoutchouc et laissait à ses deux enfants naturels plusieurs millions de francs. Micheline et Josépha l'ignoraient, mais cela faisait déjà plusieurs années que Charles Maucontour avait retrouvé la trace de ses filles.