Anton Hagopian avait un passeport Français et un cousin au quai d'Orsay qui lui avait dégoté un vague poste de conseiller à l'Ambassade de France d'Istambul. Hagopian n'avait ni femme,ni enfants, ni maîtresses. Il était impossible de le faire chanter,pris en photo avec quiconque dans une chambre d'un palace international a Davos, au Caire ou Buenos-Aires. Hagopian passait sa vie dans l'Orient-Express, il y donnait de discrets rendez-vous à d'autres hommes de la même espèce que lui.Derrière des lunettes à l'imposante monture se cachaient des yeux qui pouvait pénétrer l'âme pour aller contempler les péchés d'il y avait trente ans. Hagopian était "un homme d'affaires"
Ses clients montaient dans l'Orient-Express à Istamboul, Bucarest, Budapest ou Vienne et aux fur et à mesure des kilomètres, des tours de roues, des services aux "wagon-restaurant", se nouaient des alliances commerciales, se défaisaient des gouvernement provisoires ou temporaires.Alors que le train ralentissait pour le passage des frontières, Hagopian avait toujours au coeur cette petite pointe d'inquiétude. "Que va-t-il se passer cette fois?" Ses clients s'appellaient Petru Bobesco, Abel Szabados, GIancarlo Antonelli, Max Blomberg, ou Heinz Schneider. Comme Hagopian, ils n'avaient ni enfants,ni femme, ni maîtresses.
Dans les serviettes en cuir dormaient de nombreux catalogues que l'on ne sortait que quand c'était le bon moment, une fois le café servi , alors qu'on savait qu'on passerait l'après midi à finaliser tel ou tel contrat. Hagopian aimait bien donner ses rendez-vous dans un bureau roulant qui traversait l'Europe. Il y avait de la réclame en Français sur les panneaux réservés à cet effet: "un foie, deux reins, trois raisons de boire Contrex". Hagopian était fier d'être Français et Arménien. Depuis de nombreuses années déjà ,il vendait au plus offrant, des produits fabriqués par Herstal, Oerlikon, Bofors ou Beretta. Ils se foutait pas mal de savoir ou allaient ces produits une fois les contrats signés...