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WITAMY POLSKA (Bienvenue en Pologne)

…et pourquoi les Polonais ne pourraient-ils pas avoir des noms dont on pourrait se souvenir facilement ? Font-ils exprès de rajouter des « X », des « Y », des « C » ou des « Z » juste pour faire chier le monde et s’assurer que personne ne peut prononcer un nom de famille sans se couvrir de honte, comme Przemysław ou Wiedźmin….


Au début des années 80, Wojciech Jaruzelski, le chef de cet état satellite de l’ours Soviétique, est pris dans une révolte qui ressemble à une révolution. Il faudra encore à la Pologne, une longue attente pour retrouver un véritable caractère républicain qui lui sera restitué le 31 décembre 1989. Dans une Union Soviétique en fin de parcours historique, Mikhaïl Gorbatchev aura déjà lancé la fameuse « perestroïka » signalant de facto les prémices des changements à venir et la fin du Communisme tel que mis en place en Russie au début du 20 ème siècle en en « Europe de l’Est » depuis 1945.

(Varsovie, les années trente....)


L’élection du cardinal Karol Wojtyla, plus connu sous le nom de pape Jean-Paul II combinée aux échecs économiques du système communiste, dans cette Pologne éminemment Catholique furent ils le terreau sur lequel poussèrent les syndicats ouvriers ? Cela ne serait pas surprenant. Le syndicat ouvrier indépendant, formé en décembre 1980 et dirigé par Lech Walesa, « SOLIDARNOSC », était devenu un vaste mouvement anti-communiste comprenant en son sein des membres de cultures politiques diverses allant des Catholiques Romains aux membres de la gauche antisocialiste. A la fin de 1981, SOLIDARNOSC comptait neuf millions de membres, soit un quart de la population du pays et trois fois plus que le très officiel « Parti Ouvrier Polonais » mis en place par l’URSS quand la Pologne était encore dans l’obligatoire giron de Moscou. Stanislas Kania, le secrétaire général du Parti Ouvrier Polonais (1) avait perdu la main, Wojciech Jaruzelski fut choisi par Moscou pour tenter de remettre de l’ordre au pays du « Roi Casimir » et de fil en aiguille, de privations en arrestations, ce fut bientôt l’état d’urgence et la loi martiale proclamés le 13 décembre 1981, la suspension du syndicat SOLIDARNOSC en 1982,et la mise en place d’un système de chantage par le biais d’un rationnement alimentaire et « économique » savamment orchestré par l’appareil politique favorable au régime communiste, le tout accompagné d’un cohorte de restrictions des libertés civiles et de la vie politique.


(W.Jaruzelski, un "presque" dictateur aux ordres de Moscou. Il fut l'initiateur de la loi martiale)


Entre 1981 et 1983, à l’époque où la Pologne était encore techniquement un » république populaire, l’église catholique Polonaise de Chicago, la deuxième communauté polonaise la plus importante après la ville de Varsovie, avait procédé à une collecte qui avait visiblement été un succès puisqu’avec les fonds réunis il avait été possible d’acheter 42 tonnes de vivres divers et de médicaments, et affréter un DC-8 des « Flying Tigers » pour acheminer le tout depuis l’aéroport O’hare de Chicago jusqu’à celui d’Okecie, près de Varsovie, au pays de Frederic Chopin. Cette mission prit place au début d’une année, les jours étaient encore très court et le froid de Chicago m’avait déjà préparé pour celui que je trouverais nécessairement en Pologne. La presse mondiale consacrait au moins une page aux évènements Polonais. Sur les photos prises par les correspondants de presse, on pouvait voir des chars T.34 gracieusement fournis par le grand frère soviétique, de longues queues de Polonais attendant devant des magasins vidés de toute substance et de toutes marchandises, des manifestations réprimés sans ménagement par la « Milicja Obywatelska » (2)


Les volontaires de l’église catholique de Chicago avaient été soutenus par des donateurs institutionnels. Il s’agissait en l’occurrence d’une compagnie connue dans le monde entier, spécialisée en produits d’hygiène et de parapharmacie, fondée dans le New-Jersey en 1886, et qui avait très largement contribué à ce que ce projet de vol humanitaire puisse voir le jour.

( La loi martiale a été proclamée....)

Après un rapide arrêt à Shannon, pour y récupérer du carburant, nous étions arrivés à Varsovie au « tournant du jour », alors que la nuit commençait à grignoter les contours du ciel. Le dossier météo qui m’avait été remis avant de quitter le sol Américain était correcte en tous points : pour faire froid, il faisait froid, le thermomètre indiquait -9°c qu’est-ce que cela serait en plein milieu de nuit….

Je n’avais pas remis les pieds en Pologne depuis un certain voyage en voiture, avec mes parents, en pleine guerre froide, dans les années soixante. Avec une certaine fierté, j’ouvrai la porte passager puis la porte cargo.


VARSOVIE.

Aéroport d’OKECIE (3)


Le côté « passagers » de l’aéroport d’OKECIE est rempli d’appareils de type AN24 et TU134 aux couleurs de la compagnie nationale Polonaise. On dirait que la totalité de la flotte de la « L.O.T », Lotnicze Polskie, composée uniquement d’appareils fabriqués en Russie fournis par le grand frère, est bloquée au sol. (4) C’est la grève. L’état d’urgence ne rend pas les choses plus faciles et pour permettre un déchargement de l’appareil qui contient 18 Palettes recouvertes d’un filet « avion », il faut entamer des négociations sur la base de « la bonne foi » et de la « charité chrétienne » avec les représentants de l’église de Pologne, inquiets du temps que nous pourrions perdre, mais surtout peu désireux de devoir à leur tour négocier avec de « officiels » de l’aéroport, à la recherche d’un ou plusieurs « pots-de-vin ». Les volontaires de l’église déchargent en deux heures le contenu de l’appareil, transférant dans des camions aux phares obscurcis pour ne laisser passer qu’un mince pinceau de lumière, les centaines de cartons de médicaments et de produits de première nécessité.

(l'ancienne époque de la LOT avec la flotte "soviétisée" et les uniformes moches...)


Comme je le fais souvent, anticipant de possibles problèmes au moment du départ, je me présente au bureau de piste de l’aéroport pour y prendre contact avec le personnel de l’aviation civile. Tout le monde est heureux de voir sur le terrain de Varsovie, un appareil Américain, arrivant en plus de Chicago, la « seconde capitale » de Pologne. L’époque étant troublée, je prends soin de me faire expliquer ce qu’il faut faire ou au contraire ne pas faire. Mon dernier voyage remonte à il y a bien longtemps, quand le rideau de fer était encore une réalité indéniable. Une jeune fonctionnaire de l’aviation civile, Ewa P (5) partage avec moi les informations sur la vie nocturne à Varsovie, m’explique les étranges règles concernant le taux de change entre Zloty et Dollar Américain et me fournit d’autres indications et des numéros de téléphone d’urgence que je peux contacter si jamais je rencontre « des difficultés » sur lesquelles elle ne s’étend pas. Ewa organise pour nous le transfert en direction de l’Hôtel Intercontinental situé en centre-ville. La situation à Varsovie n’est pas simple. Bien que l’extraction du charbon ait pendant longtemps été une des activités industrielles les plus importants du pays, le charbon reste introuvable dans la capitale soumise à la loi martiale (6).


(magasin d'alimentation vide: comme chez les soviets, une façon comme un autre de contrôler le peuple)

La nourriture est très rare et les devises très recherchées. Beaucoup de « Varsoviens » sont prêts à tout pour se procurer quelques billets verts, quelques Francs Suisses, ou de bon Marks Allemands, permettant de « joindre les deux bouts » …alors effectivement, les étrangers sont véritablement les bienvenus en Pologne, dans cette étrange période où les uniformes sont visibles à chaque carrefour. Beaucoup d’entre eux cherchent à acquérir de petites économies en devises en vue d’un départ définitif vers un pays plus accueillant, Etats-Unis ou Australie.

Mon dernier voyage en Pologne remonte aux années 60, quand avec ma famille, nous étions revenus pour quelques jours sur les lieux où mon père avait passé sa jeunesse. Il avait fallu, en voiture, et en suivant un trajet spécifié à l’avance, passer le rideau de fer, coucher dans d’étranges hôtels, et payer l’essence avec des coupons prépayés réservés « aux étrangers ». Nous avions traversé la Forêt Noire, la Tchécoslovaquie après être passé à Nuremberg et étions arrivé finalement au pied du palais de la culture de Varsovie, un monument d’une laideur toute stalinienne.


La Pologne a changé. A l’hôtel Intercontinental où nous venons d’arriver, déposés par une limousine affrétée par les autorités aéroportuaires, de nombreuses prostituées attendent le client, sagement alignées entre l’entrée de l’hôtel et la réception. Sont-elles une vingtaine, une trentaine, je ne sais plus…impossible de ne pas admirer la perfection de certaines de ces femmes, impossible également d’ignorer qu’en temps normal, l’hôtel ne tolererait pas une présence aussi « visible ».


(Loi martiale : les chars sont dans la rue, pour calmer les ardeurs des opposants....)

Il fait beaucoup trop froid pour se mettre en quête d’un restaurant. Nous mangerons donc à l’hôtel. Pour remercier l’équipage d’avoir montré autant de flexibilité dans ses horaires de travail, j’invite les hommes de l’air et le maître d’hôtel nous apporte bien vite le « menu pour étrangers ». En se penchant vers moi, il me signifie discrètement que si nous souhaitons et pouvons payer en dollars Américains, le repas nous reviendrait au quart de son coût si nous réglions en monnaie locale. Devant cette incroyable nouvelle, je commande champagne, champagne et vins de France, pour fêter dignement cette soirée un peu particulière dans un pays qui a perdu le Nord et ne sais plus où se trouvent l’Est ou l’Ouest.

Le maître d’hôtel précise qu’il peut également fournir d’autres « douceurs » pour les chambres à coucher si nous payons également pour ces « extras » en utilisant des devises, « même des Livres Sterling » précise-t-il…mais les « douceurs » en question ne franchiront pas le seuil de ma porte…ou si elles le franchirent, je ne m’en souviens pas…c’était il y a si longtemps, et l’époque était vraiment si troublée….


Je suis prêt à me mettre au lit…le téléphone sonne, la réception m’informe que je suis attendu dans le hall de l’hôtel. Vite, passer une chemise, un pantalon, attraper un chandail propre, passer un coup de brosse dans la crinière défaite de mes cheveux…. Au rez-de-chaussée, Ewa P. est là, dans son uniforme de l’aviation civile. Elle me propose de passer chez elle pour y boire à la santé de la « future Pologne » ...alors comment refuser ? Mais trouver un moyen de transport reste problématique : les taxis sont en grève illimitée et le service de tramway fonctionne au ralenti. Ewa m’explique qu’il est maintenant courant de « pirater » un autobus qui jouera le rôle de taxi pour dix ou vingt dollars, suivant le parcours. Un volontaire est rapidement trouvé, et le chauffeur tout content d’avoir pu récupérer un « Andrew Jackson » tout neuf qui ira rejoindre les autres dans sa tirelire.

(Faire un plein ? réparer un moteur ? on dirait que ce n'est pas facile pour cet appareil de la compagnie nationale L.O.T)

Le bus nous dépose devant chez Ewa dans le quartier de Mokotow.Le chauffage central ne fonctionne pas et la température extérieure oscille entre -15 et -18. La "Slivovitz" aide à faire remonter la température du corps, mais les effets de la boisson seront bientôt plus pénibles que les quelques bienfaits ressentis lors de sa consommation. Quand je suis finalement de retour à l’hôtel juste à temps pour réveiller l’équipage, régler les détails de transport vers l’aéroport et payer les chambres, je ne supporte même pas le bruit d’une tasse en porcelaine cognant sur sa soucoupe autour de la machine à café. La Slivovitz devait être listée comme « ennemie du peuple » … Le trajet vers l’aéroport est une vraie torture, j’ai l’impression que mon crâne va tout simplement exploser. Heureusement, il y a ce bon vieux masque à oxygène dans le cockpit : cinq à sept minutes sur 100%, en respirant doucement le gaz salvateur, et je suis de nouveau prêt à repartir en mission. De son côté, Ewa P a bien fait son travail : le vol est autorisé au départ. Dans le dossier météo qui a été remis à l’équipage se trouve un télex en provenance du siège de Flying Tigers à Los Angeles, me demandant d’indiquer par retour si je suis disponible pour une mission au Tchad afin de livrer à N’Djamena, la capitale, des tentes et des médicaments pour la population de ce pays en pleine guerre civile. Bien sûr, ma réponse est immédiatement « oui » …Dans quarante-huit heures, j’attraperai quelque part en Europe, un autre DC8 en route pour l’Afrique.

Le « commissariat » de bord mis à bord par les cuisines de la compagnie nationale LOT est principalement à base de poisson sous toutes ses formes, accompagné de pain noir, un gros pain de campagne qui trahit des difficultés d’approvisionnement. Dans deux heures, nous survolerons l’Allemagne, en descente vers le siège Européen de Francfort…et si nous avons encore faim, nous pourrons toujours aller, ce soir, au « Baseler Eck », un établissement proche de l’hôtel, pour y déguster une « Schweinehaxe ».

(Pilotes Polonais dans la Royal Air Force pendant la seconde guerre mondiale: réputés pour leur courage et...leur indiscipline)


La porte passage est fermé et verrouillé, le toboggan est armé. L’avion est vide. V1 et VR (7) sont atteints en quelques dizaines de secondes. En montée initiale vers cinq-mille-pieds, alors que le commandant fait faire à l’appareil un long virage sur la gauche, je peux voir la Vistule briller sous le soleil matinal. Je ne le sais pas encore, bien sûr, mais quand la Pologne redeviendra une véritable République (1989) et que le rideau de fer ne sera plus que le souvenir d’une « mauvaise histoire », je reviendrai dans le pays, à la recherche d’information sur mon grand-père Moïse, éradiqué de la surface de cette terre au printemps de 1942.


© 2017 Sylvain Ubersfeld pour Commercial Air Transport et Histoires d’U


(1) Parti Ouvrier Unifié Polonais : le parti « officiel » mis en place en Pologne par l’Urss, et obéissant aux consignes de Moscou.

(2) Milice « Citoyenne », un corps de police chargé de la répression des manifestations.

(3) Le nom de l’aéroport de Varsovie à l’époque. Ce nom a été changé pour « Lotnisko Chopina » en hommage au compositeur gloire de la Pologne Frederic Chopin (1810 Zelazowa Wola – 1849 Paris)

(4) Partout où existait un pays satellite de l’URSS, les flottes civiles et militaires était fournies par Moscou. Les constructeurs soviétiques étaient principalement TUPOLEV et ANTONOV. A la fin du régime communiste en Pologne, les appareils de LOT, la compagnie nationale, furent tous remplacés par des avions fabriqués en Occident.

(5) Ewa P. quittera clandestinement la Pologne, sera hébergée pendant quelque temps à Paris ( un peu trop près de chez moi...) et obtiendra finalement un visa pour s’installer en Australie et y commencer une nouvelle vie.

(6) La loi martial avait un impact extrêmement sévère sur l’économie du pays. Les magasins d’alimentation étaient vides et de longues queues étaient visibles dans les rues.

(7) V1 = Vitesse dite « de décision » Vr = Vitesse dite de « rotation »



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