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STOCKHOLM RADIO? TIGER 9021 !

Un avion, qu’il soit un DC-8 ou un B747, un équipage, une caisse de bord remplie à ras bord après chaque voyage (il fallait faire les comptes à Los Angeles régulièrement, ce qui permettait de passer quelque temps à côté de l’océan Pacifique) et nous partions pour de nouvelles aventures, pour de nouveaux pays.


Nous portions un uniforme bleu nuit, des chemises d’un bleu clair, une cravate à « clip » et les épaulettes, signe de l’appartenance à cette confrérie d’un genre spécial qui regroupait « les gens de l’air ». La façon de se chausser reflétait la personnalité de chacun. Certains portaient des bottes à la façon des gens de l’Ouest Américain, des « Laredo » ou des « Tony Lama », d’autres avaient opté pour les « Spitshine », des chaussures de sécurité d’apparence militaire, recouverte d’une épaisse couche d’un vernis transparent de protection. On les surnommait « spitshine » parce qu’il suffisait de cracher dessus et de frotter avec un bout de chiffon doux, pour qu’elles brillent de tous leurs feux. Bien sûr, à chaque passage chez « Tarpy Tailor », le tailleur de la compagnie, la note s’alourdissait de deux ou trois chemises, ou éventuellement un nouvel uniforme complet pour remplacer celui-qui avait été souillé à tout jamais lors d’un précédent transport animalier.

(Antenne radio HF quelque part en Europe)


Flying Tigers était une compagnie généreuse. La compagnie prenait grand soin de ses « charter reps » et quand nous étions en opération en Pologne, au Nigéria, ou dans n’importe quelle partie du monde, nous avions la liberté de prendre telle ou telle décision ou initiative dans le seul but de pouvoir maintenir la mission dans le cadre horaire alloué. Il fallait être créatif quand aucune solution manifeste ne pouvait être trouvée. La règle non écrite était simple et reposait sur trois piliers indestructibles : garder l’avion en mouvement, prendre soin de l’équipage, démontrer systématiquement notre « Tiger Spirit », cette culture maison qui nous avait appris que « nous pouvions tout faire ».


Et effectivement, nous pouvions tout faire, en nous reposant sur des équipages d’un type spécial, les « Cow-Boys » de Ned Wallace, qui avaient choisi l’imprévu des vols affrétés plutôt que la morne routine du service commercial régulier. La forte personnalité de ces navigants était connue de tous et même s’ils avaient eu pour la journée leur compte d’heures de vol et ressentait une fatigue légitime, beaucoup d’entre eux n’hésitaient pas à donner un coup de main pour décharger un avion afin de pouvoir au plus vite rejoindre ensuite l’hôtel ou prendrait place le repos bien mérité pour une durée de douze ou quatorze heures. Cet esprit « pionnier » était l’un des caractéristiques de la division « charter ».


Bien que le système de télécommunication mis en place par SITA soit disponible dans de nombreux pays (voir L’AGE DE PIERRE), il n’en était pas toujours de même pour des pays lointains et quelque peu oubliés par le monde moderne. Parfois, des considérations d’ordre politiques, plus ou moins connues ou visibles, impliquaient également qu’il était préférable que nos échanges de communication avec le siège ne se fassent pas au vu et au su de tout le monde. Apporter de l’aide humanitaire au Tchad, des matériels militaires en Irak, des fournitures diverses vers la Libye de Kadhafi, ou de l’équipement de défense de Zurich vers la République de Chine Populaire, nécessitait parfois une adaptation du programme à telle ou telle situation spécifique et il fallait s’assurer que nos communications resteraient confidentielles.

(La caisse de bord était sous la responsabilité du loadmaster...)


Il y avait le besoin, même en vol, de pouvoir être joint, ou joindre, à tout moment, le siège de la compagnie au 7401 World Way West, en Californie, sur l’aéroport de Los Angeles. La division « charter » et le centre de contrôle des opérations et de la maintenance (Ops Con) étaient situés dans le même bâtiment mais à des étages différents. Il était vital pour nos opérations que tout changement de programme, qu’il soit dicté par un retard imprévu ou un problème de maintenance, soit connu de tous le plus rapidement possible, afin de définir de nouveaux horaires, de nouvelles destinations, ou des étapes intermédiaires pour refaire le plein de carburant sur le chemin d’un retour vers les USA si la situation le nécessitait.

Nos mécaniciens d’accompagnement, rompus à toutes les gymnastiques techniques et aux pannes classiques de tel ou tel type d’appareil avaient toujours une solution « temporaire » permettant de continuer jusqu’à destination, mais dans certains cas, même le talent ne suffisait pas. Je me souviens en particulier d’un mécanicien qui régla en quelques instant un problème de radar en panne sur un DC8 en vol, en utilisant la partie métallique du papier intérieur d’un paquet de cigarette pour refaire un fusible. Heureusement, car lors de ce vol, particulièrement sensible, faire demi-tour aurait eu des conséquences dont personne ne pouvait mesurer la portée…nous étions ce jour-là entre Rome-Fiumicino et Baghdâd, peu de temps après le bombardement par l’armée de l’air Israélienne, de la centrale atomique « OSIRAK » avec à bord un chargement d…………destiné au pays dirigé par un dictateur moustachu prénommé Saddam.


(Chaussures dites " Spitshine")


Nous étions bien loin à l’époque des systèmes de communications tels qu’ils existent en 2017, qu’ils s’agissent de téléphones cellulaires ou de systèmes de vidéo-conférence. Ces nouveautés technologiques auraient pourtant été les bienvenues dans notre petit monde du transport aérien des années quatre-vingt si elles avaient pu être rapidement disponibles pour le grand public.


Le premier système de téléphonie cellulaire analogue avait été mis en place en Amérique du Nord sous le nom de système AMPS. Sa commercialisation pris place aux Etats-Unis en 1983, en Israël en 1986 puis en Australie en 1987. Il s’agissait d’une technologie « pionnière » qui contribua largement à développer les marchés du téléphone et de la technologie cellulaire en dépit de sérieux problèmes techniques. Les communications n’étaient pas cryptées et pouvaient donc être entendues à l’aide d’un scanner. Il y avait également des problèmes de fréquences. Le 6 mars 1983, le téléphone mobile DynaTAC pu se connecter au réseau premier réseau téléphonique 1G mis en place par Ameritech. Le développement de cet outil avait couté cent millions de dollars et avait pris une dizaine d’années pour être finalement mis sur le marché. Ce téléphone permettait une durée de conversation de trente-cinq minutes et son temps de charge était de dix heures ! En dépit de ces limitations, la demande était si forte que les listes d’attentes comportaient plusieurs dizaines de milliers de personne, toutes obnubilées par l’acquisition prochaine de ce fantastique engin.

(Equipements radio sur un avion. En haut, le boitier de la radio HF)


Faute d’avoir accès à cette nouvelle technologie en cours de distributions, nous dépendions pour nos communications importantes, d’un système de radio à Hautes-Fréquences (HF) nous permettant d’entrer en contact avec le siège, quand et d’où nous le souhaitions, que ce fut dans les airs ou au sol. Le système de radio HF Permettait à l’équipage de communiquer régulièrement la position de l’aéronef aux différents intéressés par le biais du réseau ARINC ou de SITA. Par le biais d’un opérateur spécialisé situé en Suède, nous avions la possibilité à tout moment d’être mis en contact avec le siège par l’intermédiaire d’un « phone patch » Si au début de mon activité, la station Suisse de Berna-Radio était largement utilisée, Flying Tigers s’était tourné vers l’opérateur Suédois qui lui avait semblé plus fiable. Dans les manuels Jeppesen, dans la section consacrée aux communications radio, nous avions accès à des « cartes de propagations » qui nous permettait, en fonction de l’heure et de la position de l’avion, de savoir quelle était la fréquence radio qui devait être utilisée.


De son côté, l’opérateur Suédois maintenait une veille radio sur les fréquences qui figuraient sur nos cartes. En dehors d’informations opérationnelles simple qui tenaient en quelques mots pour indiquer une arrivée à destination, ou un départ, les « phone patch » étaient bien pratiques même s’ils étaient coûteux. Les équipages de maintenant pas systématiquement une écoute radio sur les hautes fréquences, chaque appareil de la taille des nôtres, avec l’équipement requis, était muni d’un dispositif connu sous le nom « d’appel sélectif » ou SEL-CAL. Ce dispositif permettait d’attirer l’attention de l’équipage afin que celui-ci sache qu’il devait se mettre en écoute sur telle ou telle des fréquences radios HF pour recevoir des informations concernant la navigation, ou des messages opérationnels en provenance de la compagnie. Chaque appareil avait sa propre identification SEL-CAL qui se composait de deux blocs de deux lettres, séparées par un tiret.

(Sel Cal BL-FM pour ce DC8)

Si nous étions appelés en vol par un opérateur radio, qu’il fut ARINC ou Stockholm Radio, une petite clochette tintait dans le cockpit et devant les yeux du commandant, un petit voyant s’allumait en orange.

Bloqués au sol au Nigéria à cause d’une grève aéroportuaire, retardé à Freetown ou en panne à Entebbe, la solution immédiate était l’appel au siège. Alors on mettait en route la radio, on choisissait la fréquence qui permettrait la meilleure transmission, et on appelait, tant pour prévenir que pour déterminer quel serait le « plan B » à mettre en place…


(Carte de propagation publiée par AVIOLINX, le "nouveau nom" de Stockholm Radio. Au tout début de son histoire en 1937, Stockholm radio était un service de radio pour les navires en mer..Les cartes de propagation que nous utilisions étaient un peu différentes, car formatées spécifiquement pour Flying Tiger par la société Jeppesen qui nous fournissait les cartes de navigations, les planches d'approches......)


« Stockholm Radio, Stockholm Radio, Tiger XXXX on the ground in YYYY, frequency ZZZZZ,how do you read… »

Et au bout de quelques instants, après avoir, si nécessaire, correctement positionné son antenne de façon à permettre une communication la plus claire possible, l’opérateur de Stockholm Radio nous répondait…

« Tiger XXXX, Stockholm Radio, I read you five, go ahead »

« Stockholm Radio, Tiger XXXX requiring phone patch company headquarters at 213-646-49-62 »

La voix de l’opérateur confirmait sa compréhension de notre demande…

« Tiger XXXX, copied okay. Stand-by for a patch…. »


Alors, pour quelques instants, la vie devenait un peu plus facile…


© 2017 Sylvain Ubersfeld pour Histoire d’U

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