A force de regarder les Israéliens vivre au quotidien, je me suis souvent demandé s’ils ne recevaient pas automatiquement dès la naissance, un passeport Américain sans que personne ne soit au courant, tant l’influence du « grand frère d’Outre-Atlantique » est perceptible dans la société Israélienne, allant de la télévision par câble aux différentes chaînes de « fast-food » en passant par les plateaux-télé et les « télégrammes chantants ».
(Du sucre, encore du sucre....on est vraiment au Moyen-Orient...)
Bien sûr, tout le monde veut aller en vacances à Miami (une des plus importantes « colonies Juives » des Etats-Unis), les ados veulent absolument « surfer USA » tandis que des imitations de hippies se retrouvent régulièrement sur les plages pour ressusciter l’ère du Flower Power de Californie tout en consommant force substances plus ou moins illégales. Les appartements se vendent en dollars Américains, et les parents délaissent les déplacements en Europe pour privilégier les visites avec leurs jeunes enfants à Disneyworld. Aucune décision gouvernementale risquant d’affecter d’une manière ou d’une autre la stabilité politique dans la région ne peut être prise sans la bénédiction de l’Amérique, une sage décision quand on connait l’importante contribution des Etats-Unis à la vie économique du pays.
De la même manière, des « centres de dépenses » que l’on nomme parfois centres commerciaux, ou « mall » pour utiliser l’expression d’outre-Atlantique consacrée, fleurissent çà et là et ressemblent à ce que l’on pourrait trouver en visitant « Anytown USA ».
(Tout.....et pas cher.C'est marqué sur la devanture je te dis...)
La dimension religieuse n’est pas oubliée puisque qu’il existe également une chaine de supermarchés, en plus de cinq autres, dirigée par des Juifs orthodoxes, et portant le nom fabuleux de ZOL PO (qui peut se traduire par : Ici, c’est bon marché…sous-entendu, chez les autres c’est plus cher…) et qui attire chaque semaine des centaines de milliers de clients désireux de dépenser leur argent dans un supermarché « bien fréquenté » avec air-conditionné, en achetant des produits importés pour pouvoir vivre et consommer comme des étrangers dans leur propre pays…
Toutefois, et spécialement en Israël, tout ce qui brille n’est pas fait d’or, et les fruits et légumes achetés en grandes surfaces n’ont aucun goût malgré un prix outrancier. En fait, plus le fruit ou le légume semble sympathique, plus il faut s’en méfier. L’apparence est trompeuse par rapport au contenu. L’utilité du supermarché devrait se limiter à fournir aux chapardeurs, dont je fais partie, l’opportunité de déguster gratuitement noix salées diverses, cornichons « malossol », fruits secs, délicatement prélevés dans les grands bacs en métal, ou tranches de gâteau au pavot volées au rayon boulangerie, le tout immédiatement mis dans la bouche pour s’assurer que le déplacement au « super » aura été quand même utile.
(Au Bazar, les balais ont ...la tête en l'air...)
Pour ceux qui ont la chance d’habiter à proximité, pour les chef cuisiniers Israéliens, pour ceux qui recherchent avant tout l’authenticité et fuient les imbéciles produits emballés, stérilisés, et insipides, pour les ménagères en quête de saveurs, il n’existe qu’un seul endroit où aller, dans le sud de Tel-Aviv, un endroit sale, qui sent fort, un endroit magnifique aussi vibrant de vie, de cris, d’insultes également, ouvert de huit heures du matin à dix-huit heures, le marché Carmel ! Une douzaine de rues qui se croisent à angles droits et où l’on peut trouver tout ce qui serait disponible dans un supermarché, mais au tiers du prix. Il n’y a pas de vraies boutiques, mais plutôt des étals protégés la nuit par des rideaux en fer.
Pas de luxe, mais de l’authentique…et Il faut tout faire pour que les prix restent les plus bas possibles, que les loyers des emplacements n’augmentent pas, que les ruelles du marché Carmel ne se transforment pas en lieux de rendez-vous des néo-riches, des bobos expatriés ou des mafieux importés d’Europe de l’Est.
A Carmel, Josué côtoie Ahmed, Ephraïm parle avec Mahjoub, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. La couleur est partout, sur les étals, le vert des légumes comme la nature peut le fabriquer, le rouge des grenades, l’orange des melons, le jaune des poires, et les différentes teintes des maltaises, des navels et des pamplemousse gros comme une noix de coco qui vont te faire un vrai repas tellement la chair en est généreuse. Il y a aussi le « fruit de voleur », un truc qui vient d’extrême orient, de la taille d’un ballon de football. Quand tu l’as épluché, il ne te reste plus que l’équivalent d’une balle de tennis à déguster…un vrai piège à cons…mais la tentation est si forte….
(l'étal du Shmatnik, ou l'on vend des "shmates"...)
Pour celui qui veut acheter à manger, Carmel est le centre du monde...et le magasin des souvenirs d’enfance alimentaire pour les communautés d’Afrique du Nord comme les descendants des habitants des « Shtetls » de Pologne, Hongrie, Autriche, Roumanie, ou autres pays à l’est de Rome.
De tout…on peut trouver de tout…il suffit de savoir où, il suffit de parler à la « bonne personne » si d’aventure tu n’as pas encore découvert le bon produit…Il est là, mais tu ne l’as pas vu, parce qu’il était caché sur une étagère, derrière des boites de « Campbell soup » ou derrière des barres de savon artisanal…Il faut chercher, je te dis…
Tu as soif ? un petit coup de lait d’amandes te fera du bien…Tu cherches un vieux modèle de moulin à légumes ? un truc à main pas le machin électrique, quatrième boutique à droite en montant par la rue des « bouchers » …Tu veux un couteau de cuisine façon Japon, un wok façon Thaï, vas chez le syrien juste à côté du 52 Hakovshim street, tu trouveras ton bonheur…
Tonnes de gâteau au fromage, plâtrées d’aubergine farcies, alignements de strudels, mètres carrés de moussaka, litres de « baba ganoush » …ne va jamais à Carmel en ayant faim…
Le sud de Tel-Aviv, c’est un concentré de Moyen-Orient…dans le sud de Tel-Aviv, on ne parle pas, on crie ! Aucune conversation ne peut être tenue au-dessous de cent décibels, c’est comme ça…Pour retrouver la sérénité, il te faudra sortir du marché, prendre le temps de t’éloigner un peu, de laisser à ta tête quelques minutes pour faire le vide, alors que, sachets en plastique à la main, tu réaliseras que tu n’aurais peut-être pas dû acheter autant de fruits parce que c’est foutrement lourd à porter…
(Tomates,melons,pastèques: quand même plus goûteux que les produits de chez Zol Po...)
La bruit qui te tourne la tête ? C’est aussi celui du haut-parleur de la boutique où tout est à un shekel, qui te hurle dans les oreilles, du petit matin and début du soir, que tu trouveras à l’intérieur, tout ce qui pourra faire ton bonheur, depuis le couteau suisse jusqu’à l’ouvre-boite datant de la vie dans le ghetto, depuis les pinces-à-linge jusqu’aux baballes pour les chien-chiens et aux cure-dents en bois…
Gare au dérapage inattendu en passant à Carmel, là où les bouchers tiennent boutique car, comme en Afrique, la viande, exposée à l’extérieur, attirera les regards et les mouches, mais les abats seront laissés sur le trottoir à la merci des chats du quartier qui mettront plus ou moins longtemps à en faire leur repas du soir… La rue des bouchers, tu ne connais pas ? C’est tout près du magasin pour les Philippins…tu ne peux pas te tromper… (1)
(Supermarché: des produits stérilisés,imbéciles,sans goût.....vive le marché Carmel!)
Dans une petite rue, bien cachée, il y a les étals aux épices tenus par des arabes âgés, tellement âgés que tu te demandes si une fois ton achat terminé, ils ne vont pas tout simplement s’endormir pour ne plus se réveiller. Je suis dans les pages des mille-et-une-nuits, je vois ma princesse couverte de bijoux en or, je peux même ressentir le désir qui se réveille…vite, il faut manger un loukoum parfumé à la rose, c’est bon pour ce que j’ai…ça tombe bien, il y en a plein, alignés comme à la parade, dans de grandes boites en fer blanc….
Tout le monde doit pouvoir vivre, à Carmel, légalement ou illégalement. Dans les boutiques des Russes, il y a de la vodka de contrebande portant de vraies étiquettes en cyrillique, du pastis de Marseille entré en fraude dans des containers arrivant à Haïfa, du vin blanc ou rouge en provenance des pays de l’Est…Il y a aussi les vendeurs de fausses cigarettes de marque : si tu n’y fais pas gaffe, tu te retrouves à fumer tout ce que tu veux, mais pas du tabac.
(Un homme "bien inspiré" qui regarde les fleurs : il a un chapeau...un "tzaddik",peut-être?)
En montant plus haut dans la rue principale, après avoir passé l’angle où se trouve le vendeur de pita, tu rentres dans les quelques centaines de mètre carrés ou l’on vend des « schmattes » (2) avec ses prix incroyablement bas, ses fausses vraies marques qui sont souvent de vraies fausses étiquettes cousues à la ceinture d’un jean fabriqué dans la bande de Gaza, ou en Chine…Tu te rends compte ? Le Levi’s 501 à dix dollars ? Du jamais vu…alors tu achètes, ça te va pas mal, et puis tu t’en fous parce que c’est sympa d’aller à Carmel…c’est un peu comme si tu allais voir un spectacle de magie…On te fait croire que…mais tu sais au fond de toi-même même que tout ne peux pas être vrai…y compris le prix des vêtements griffés de marques de luxe…
Du faux Ralf Lauren, ça reste du Ralf Lauren, une petit crocodile contrefait cousu sur un polo, ça-y-est, je me suis payé une « Lacoste » …oui, Il faut bien que tout le monde vive…
Comme partout au Moyen-Orient, les Israéliens ont un amour immodéré du sucré .Les dentistes de Tel-Aviv devraient remercier l’éternel pour cette dérive vers les sucres d’orges, bonbons et autres Halva de différents types dont la consommation excessive alimente nécessairement par ricochet, les officines de soins dentaires…Les avocats aussi devraient « sacrifier à l’éternel » puisque des cabinets spécialisés attaquent régulièrement la municipalité de Tel-Aviv quand des « seniors » glissent sur un foie de poulet ou un morceau d’intestin, et se cassent au choix, un col du fémur, un tibia ,un poignet, lors d’un malheureux passage dans les ruelles mal nettoyées d’un Carmel en fin de journée.
(Tout et rien, de la baballe à chienchien, jusqu'au cure-dents....)
Les plus pauvres des pauvres, eux, bénissent Carmel, qui leur laisse vendre dans la rue, des petites choses qui ne serviront à rien mais que l’on achète au nom de la « Tzedakka » (3), par compassion, et parce que le doute existe toujours de savoir ce qui se passera le jour du jugement dernier et du départ vers « le monde à venir »
Carmel a ses odeurs, magnifiques mais changeantes suivant que tu ailles du Sud au Nord ou d’Est en Ouest. Odeurs de fraises qui t’envahissent, odeurs de la cardamome, parfums du cumin, effluves d’ordures qui se décomposent au soleil, tout un mélange curieux à la fois merveilleux et infâme, tendre et brutal…
Ce sont les mêmes odeurs auxquelles tu as déjà été confronté de Jordanie à la Turquie, de Khartoum à Téhéran, parce qu’au Moyen-Orient, tous les marchés se ressemblent : seuls changent les noms…
Odeurs de poisson, pain chaud, persil, fromage de chèvre, des odeurs qui te confirme que tu es bien en vie…
Carmel, tu vois, ce n’est pas Israël !
Carmel c’est « l’Est », l’Orient qui n’a pas de nom, mais qui en a mille.
(Des légumes jusqu'à la consommation des siècles, six jours sur sept...)
Tes concombres sont un peu mous ? Tes fraises n’ont pas le goût espéré ? Le pain est un peu dur ? Il y a une éraflure sur la casserole que tu as achetée chez “le Russe” (4) ? Ne te dis pas qu’on a essayé de te rouler dans la farine…Peut-être est-ce tout simplement parce que tu regardais ailleurs pendant qu’on te choisissait tes fruits ou tes légumes, ou bien peut-être est-ce parce que le commerçant a compris que tu n’étais pas un authentique Israélien ?
De toute façon, tu n’as plus le choix…car au marché Carmel, tout doit disparaître…!
(1) Il existe une très large communauté Philippine en Israël. Une bonne partie travaille comme aides à la personne. Les Philippins ont leur propre église située à Jaffa…et un magasin vendant des produits de Manille se trouve au marché Carmel.
(2) Un mot provenant du Yiddish qui désigne des vêtements de peu de qualité, des vêtements « communs ». Certains vendeurs de « schmattes » sont devenus richissimes à travers l’Histoire…
(3) Tzedakka vient du mot Tzedek (ou Tzadik) qui signifie « celui qui pratique la justice, qui fait ce qui est juste », celui qui sait être généreux envers un autre en subvenant ou en participants à ses besoins. Le Judaïsme a fait de la générosité et de la charité un de ses « piliers ». C’est un commandement accompli « au nom de l’Eternel ».
(4) Il existe en Israël une grande communauté de Russes, entrés dans le pays avec des papiers légitimes, ou pas, et qui s’intègrent avec plus ou moins de succès, à la société Israélienne. Certains s’en sortent bien, d’autres partent à la dérive et devienne parfois maffieux…