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PARCOURS

La maladie psychiatrique ? Je n’y avais jamais pensé…

Bon, ma gentille Maman avait sombré dans son Alzheimer et avait petit à petit disparu du monde à notre grand regret, avec une santé mentale bien sûr altérée, mais c’était normal, c’est comme cela que ça se passe, et puis, des malades Alzheimer il y en a tellement…alors oui, quand elle avait un comportement de plus en plus bizarre, on était triste pour elle…mais pour nous, ce n’était pas une « maladie », c’était un « passage obligé », un truc propre à elle, inévitable….


Les Hôpitaux spécialisés, j’en connaissais un, de l’extérieur, quand j’habitais dans le quatorzième arrondissement de Paris, Saint-Anne…

Quand j’étais à « la communale » et qu’un gamin faisait des trucs un peu bizarres, les instituteurs disaient « celui-là, celle-ci, ils sont bons pour Saint -Anne… »

Saint Anne, un vaste complexe de bâtiments qui dataient de Napoléon III, dans la deuxième partie du 19ème siècle, un machin en pierre, avec quelques jardins, et une cohorte de « mal en point » qui y trouvaient refuge...c'était une autre vie, un autre siècle, un autre médecine.


Délires, hallucinations, symptômes positifs, isolement, camisole chimique, anhédonie, établissement fermé ou ouvert, que de mots inconnus…

Mais cela, c’était avant…


Quand tu es réveillé par le téléphone en plein milieu de la nuit, c’est en général parce que quelque chose de particulier est arrivé…et c’est rarement une bonne nouvelle…mais là, c’était vraiment étrange…un gros chagrin de Mattéo que sa mère n’arrivait pas à calmer…


Dans la voix de Mattéo, j’ai décelé quelque chose d’inhabituel…aussi inhabituel que ce coup de fil à trois heures du matin…

Le chagrin de Mattéo est immense : des gens de la planète Orion lui ont dit que demain, il serait mort…Je n’ai pas tout de suite compris…Orion, la mort, de quoi s’agit-il…Le plus profond est le sommeil, le moins facile il est d’en émerger… « Pourquoi pleures-tu Mattéo, c’est un cauchemar… »

« Non, non…ils me l’ont dit…Ils viendront me chercher demain…demain matin je serai mort…je ne veux pas mourir… ».


Je n’ai jamais entendu, dans la voix de Mattéo, une telle détresse…mais,vivant à neuf-cent kilomètres de chez lui, il n’est pas possible de le prendre dans les bras et d’essayer de comprendre pourquoi ce réveil aussi éprouvant, à une heure où même les ados dorment….


C’est maintenant Nana (*) qui a le téléphone dans la main. Elle connait bien Mattéo, elle est à l’origine de cette merveilleuse aventure qu’a été son adoption à Tahiti….

Mattéo, c’est l’ingénieur, celui qui veut savoir comment fonctionnent toutes choses, celui qui veut connaitre la finalité de tout, qui veut comprendre où va l’âme après la mort…Mattéo, c’est aussi un petit garçon qui a grandi presque tout seul, un petit Tahitien qui aime les animaux, prends un grand plaisir à s’interroger sur l’espace, les étoiles, les planètes, les anneaux de Saturne….mais Mattéo c’est aussi un ado qui devient un peu plus silencieux…


Quand je passe à Paris, je les retrouve, lui et son frère, un autre gentil Tahitien pour dîner chez un traiteur chinois du côté du Boulevard St-Michel…Je pose des questions, les deux me répondent, me racontent des bribes de leur vie faite de lycée, de copines, de souvenirs, des gamins comme tous les gamins…pourtant, je n’arrive plus à faire parler Mattéo…j’ai même beaucoup de mal…Est-ce la distance entre le sud et Paris qui fait que nos conversations ont du mal à s’établir ? Il n’y a aucune agressivité de la part de Mattéo, juste une sorte d’indifférence polie qui me surprend, sans m’inquiéter….


En reprenant mon TGV à la Gare de Lyon, je pense bien sûr à cette distance qui me prive de voir mes enfants évoluer, grandir, se transformer. Je me souviens qu’il y a peu de temps, Mattéo, qui suit des études professionnelles, était tout fier d’avoir reçu son habilitation « haute tension » pour pouvoir intervenir sur les installations électriques de grande puissance…


Avril…Pâques approche….


Envoie-nous donc Mattéo pendant quelques jours…ça lui fera du bien »

Sa maman est tout de suite d’accord…le lendemain, les billets sont pris…vient le moment d’aller chercher Mattéo à la gare de Toulon…le surlendemain.


Mattéo descend du train, une grand Maori qui a vite pris sa taille d’Ado. Il a fait du rugby, il est attaché à sa terre, joue du ukulélé, c’est un ado tout ce qu’il y a de plus ado, avec des projets incertains, mais une grande facilité pour s’adapter, mais aujourd’hui, il est dans la lune, il est « autre part » …mais je ne sais pas où…

« Raconte nous Mattéo, que s’est-il passé, c’était un cauchemar ? Allez, raconte… »


Trente-huit kilomètres jusqu’à la maison du côté de Brignoles… Mattéo ne dit rien….c’est surprenant…et une fois sur le canapé du salon, Mattéo s’ouvre, il parle, il raconte….


Orion, les voix qui lui donnent des ordres, les gens qui lisent dans ses pensées, les complots contre l’humanité….Je deviens en quelques instants « le prophète des animaux » et Nana, sa Nana qu'il connait si bien, le prophète de « La Vérité »….


Il y a dans le jardin une « confrérie d’anges »…Mattéo est perdu, nous aussi….Convaincu qu’il est investi d’une mission, Mattéo nous demande d’enregistrer une vidéo qui devra être diffusé à la télévision….Le téléphone « intelligent » de Nana est mis à contribution, on enregistre la logorrhée. Tout y passe, ceux qui font du mal aux animaux, les politiciens, les terroristes, les….


Il faut que Mattéo dorme…..Nous l’amenons jusqu’à sa chambre, il s’assied sur son lit, l’esprit ailleurs, il y restera jusqu’au lendemain matin, quand nous le trouverons dans la même position…Mattéo a tout oublié, sauf ce qu’il vient de vivre et dont il nous parle, par bribes, les mauvaises fréquentations, le shit, le deal, la drogue, l’alcool, la perte de repères, la descente en enfer avec les menaces d’un « dealer » à qui il doit de l’argent….une dérive complète dont personne n’avait connaissance….


De l’aide, trouver de l’aide…vite, la voiture, aller à l’hôpital Saint-Musse de Toulon, aux urgences psychiatriques, puisque manifestement c’est de ce côté-là qu’il faut chercher….

Un entretien entre Mattéo et de jeunes psychiatres qui savent tout mais ne savent rien, une prise en charge du problème teintée « d’inhumanité » envers Nana puisqu’elle n’est « que la belle-mère », une constatation également : l’hôpital n’a pas de structures pour un mineur en crise de délires psychotiques…Mattéo habitant en région parisienne, « l’administration » de cette crise doit se faire sous l’égide du CPOA, le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil, situé à l’hôpital Saint Anne, dans le quatorzième arrondissement de Paris.


L’autoroute, avec Mattéo perché dans son univers, avec ses voix, un peu, mais pas trop, « adouci » par le valium qui lui a été donné à Sainte-Musse….impossible de faire le trajet d’une seule traite….trop dur pour lui….il faudra dormir quelque part à Lyon, avec l’angoisse au ventre de ne pas savoir gérer l’inattendu, la crise, le délire….Mattéo est un polynésien, un « gaillard »….et quelques petites pilules ne font pas grand-chose à son corps…nous veillons pendant trois heures avant qu’il ne s’endorme...et le lendemain matin, c’est la deuxième partie du trajet….

« On va retrouver maman… » lui avons-nous dit…. « Elle nous attend dans un endroit avec des médecins spécialisé qui vont pouvoir nous aider » …


Hôpital Saint Anne……de pauvres âmes qui errent dans une cour, pas très loin du bâtiment ou se tient le « centre de régulation des admissions », le CPOA….Entretien, pas ou peu de dialogue avec les parents, ensembles ou séparément, blouses blanches, conciliabules, décision…une ambulance emporte Mattéo vers l’hôpital Paul Guiraud de Clamart…Nouvel entretien, nouveaux psychiatre, nouvelles pauvres âmes qui errent comme des « zombies » à la recherche d’un café ou d’une cigarette, et séparation obligatoire d’avec Mattéo…

« …vous pourrez commencer à le voir dans une quinzaine de jours seulement… »


Dans la petite cour meublée d’arbustes rachitiques, à quelques centaines de mètres du Petit Clamart, je retrouve Mattéo. J’ai du mal à le reconnaitre : il ne marche pas, il se traîne…il ne se traîne pas, il titube, mais il sait dire à un « voisin de peine » : « C’est mon père, laisse-nous quelques instants », alors l’autre s’en va, en titubant également. Mattéo prend des médicaments, beaucoup de médicaments, beaucoup trop peut-être ? Je ne sais pas, je n’ai pas le droit de juger, mais le résultat est impressionnant : Mattéo n’est plus Mattéo. Il a suffi de quinze jours. Les autres, que nous ne connaissons pas, donnent l’impression d’être vidés de leur contenu….

« Nous ne savons pas » disent les médecins.et le temps passe, avec isolement de quelques jours pour Mattéo qui a eu un comportement agressif, reprise du contact, adaptation….

« Il faut le sortir de là »

En unité fermée, Mattéo n’a pas le droit de sortir du périmètre protégé par des serrures. D’un côté l’enfermement, le sien, de l’autre la grande liberté, la nôtre, celle qui vient de s’en prendre un bon coup puisque nous aussi, bien sûr, sommes partie prenantes de cette « étape de vie ».


Les visites ressemblent à des incursions en prison. Aucun parent n’est prêt à cela….

La maladie psychiatrique a ceci de particulier qu’elle est en fait « invisible ».


Un bras cassé, une tumeur, un calcul rénal, tout cela se voit par l’une ou l’autre des méthodes d’imagerie médicale…mais une maladie psychiatrique, une maladie mentale, tu ne vois rien du tout…tu te retrouves à devoir expérimenter un contact différent avec la malade, le patient, ton fils, ta fille, ton conjoint, ton parent…et c’est seulement après un peu de temps que tu t’aperçois que tu es loin d’être prêt. Le langage que tu utilisais hier n’est plus adapté, ce que l’autre comprenait avant-hier n’est plus perçu de la même manière aujourd’hui. Tu es perdu, tu ne sais plus quoi faire, la seule chose dont tu es certaine ou certain est que celui ou celle que tu aimes souffre, alors tu ne peux que souffrir avec lui, de façon différente, et tu ne peux que t’interroger encore et encore sur « pourquoi », « comment », « depuis quand » et te dire : et moi qui n’ai rien vu venir…


Paumé ! je te dis…Largué… perdu…tu ne comprends rien…tu perds toi aussi tes repères….

Le sortir de là…négocier une « évasion » …mais il faut trouver un endroit de remplacement, dans le sud, pour qu’il soit plus proche de nous ?


Clinique des Trois-Cyprès, la Penne-sur-Huveaune…un vague bled-dortoir pas très loin d’Aubagne…un service fermé mais avec des activités, des jeunes, une équipe soignante fabuleuse…une des différences entre le « public » et le « privé ». Le patron du service est le Professeur Marcel Rufo. Un séjour de cinq mois,pour Mattéo,afin d'essayer de se reconstruire un petit peu…et puis un retour en région parisienne puisque c’est là où sont ses repères, et son intégration dans un autre établissement « privé » faute de trouver dans le public une structure permettant une « hospitalisation de jour » adaptée au mal de Mattéo, et de tous les autres…


« Mes voix me disent de te prendre ta carte bleue et de te tuer » …vacances sous « haute tension » on a du mal à s’endormir sereinement….

« Mes voix me disent d’être ton amoureux… »

Découverte de l’étrangeté de certains propos hors de place, hors de la norme, hors de l'éducation,hors du monde réel...


De temps en temps, Mattéo va à la salle de sport…


Pour quelqu’un qui ne le connaitrait pas, il semble parfaitement « normal » si tant est qu’il puisse exister une normalité, pour les biens portants autant que pour ceux qui souffrent…mais la salle de sport ne l’inspire plus…le ressort qui faisait avancer Mattéo s’est cassé. On ne sait pas exactement comment, ni pourquoi.

Mattéo est calé dans un immobilisme avec pour seul ouverture vers autre chose les deux écouteurs de son téléphone Androïde, et la musique qu’il choisit d’écouter.


Il a du mal avec la vie, il a du mal avec le plaisir, il parait que cela fait aussi partie de la maladie.

On l’aime toujours autant, et même si nous n’étions pas prêts, c’est aussi notre parcours à nous, puisque nous devons également avoir quelque chose à comprendre….


De temps en temps, une sorte de sourire effleure le visage de Mattéo. Si tu lui demandes comment il va, il te répondra : » ça va super bien… »


On attend simplement le jour où on trouvera un nouveau ressort pour lui redonner cette joie de vivre qui lui fait défaut, et l’envie de rejoindre le monde et de recommencer à avancer...


Je suis persuadé que cela arrivera….


(*) le diminutif de mon épouse


© 2017 Sylvain Ubersfeld

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