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GRANDE LESSIVE

Depuis que ma princesse Léa est sortie de son école de commerce, je regarde la vie différemment ! Au Griffith Collège de Dublin, d’érudits professeurs lui ont enseigné tout ce qu’une jeune fille devait savoir dans le domaine de la création des besoins, de leur assouvissement, du benchmarking, du « below the line », du « blind test », comme du « cœur de cible »


Si dans une de mes existences précédentes j’étais une femme, j’ai probablement gardé des séquelles d’une vie domestique agitée, emprisonnée entre les lessives d’une famille nombreuse, penchée sur une lessiveuse de l’ancien temps ou agenouillée dans un lavoir le long d’une rivière. Peut-être la « Mère Denis » (1) et moi avions des points communs ? Aurais-je été cobaye pour Procter et Gamble, testeur chez Henkel ou Sara Lee, « nez" chez Unilever, laborantin pour Colgate-Palmolive, examinateur olfactif pour Rickitt-Benckiser, ou simplement PDG de SC Johnson ?


(La mère Denis....c'est ben vrai,ça!)

Une chose est sûre : a un moment de ma vie, sans que je ne le sache, j’ai dû bosser chez un lessivier. Les marketeurs m’ont étudié, ont visité le tréfonds de mon âme, ont disserté sur mes désirs secrets, sur les images qui défilaient devant mes yeux alors qu’ils me faisaient respirer des lessives de couleurs différentes dont le parfum me faisait partir en voyage, dans un endroit où j’étais déjà allé, sans savoir où c’était. Ces mêmes marketeurs ont compris que j’étais sensible aux couleurs pastelles, aux évocations champêtres, et que dans le fond de mon cerveau, des messages graphiques ou bien de mystérieuses odeurs pourraient modifier ma volonté, influencer mes choix, me faire courber l’échine en me faisant prendre des vessies pour des lanternes, et un liquide à laver pour un viatique contre le mal être. Plus besoin d’inventer une machine à voyager dans le temps puisqu’il existe maintenant de quoi te renvoyer dans ton enfance, dans ton adolescence, dans les jupes de ta mère, dans les pantalons de ton père.


Dans le futur ? Non, on ne peut pas y aller en respirant de la lessive puisque le futur n’existe pas. Par contre oui, te retrouver devant la machine à laver à gaz de ton enfance, ça, on sait faire, partir dans un autre monde sous les tropiques, on sait faire aussi, te renvoyer dans les années cinquante ? garanti sur facture si tu tombes sur le bon produit. Aller, hop, on dévisse le bouchon, on ferme les yeux et on sniffe un grand coup. N’aies pas peur d’en prendre plein les narines, c’est moins dangereux que d’être éthéromane et ça fait du bien le temps d’une lessive, ou de plusieurs, ça dépend du linge à laver et de toi aussi bien sûr.

Est-ce un jour à lessive ? Du blanc plus blanc que blanc, de la couleur qui ne doit pas « passer » au fil des années, au fil des lavages ? Comme si c’était tellement important d’arrêter le temps, de ralentir le processus.

Je lave plus propre, je suis une lessive qui remet en état, je suis une lessive qui enlève les tâches du linge, comme on enlèverait les difficultés du quotidien, comme on éliminerait les souillures qui marquent peut-être le passé. Il faut laver, tout laver, mais le choix est tellement énorme que la tâche de choisir celui des produits qui ira traquer la crasse dans les moindres recoins de ton plus beau chemisier, ou de ton polo, est encore plus difficile que de mettre dans la machine à laver un peu de produit et un peu d’adoucisseur. De l’adoucisseur ? Ah oui ! …ce truc qui sent bon et qui rends ton linge plus souple ?


Attention, ne pas confondre et là, ça se complique un peu. On va expliquer cela à la mère Denis.


Aujourd’hui tu vas apprendre que l’assouplissant redonne de la souplesse au linge et facilite le repassage, alors que l’adoucissant adoucit le linge, le rends plus moelleux surtout pour les serviettes de bains qui ont tendance à être rêches une fois lavées.

L’adoucissant, lui parfume aussi le linge ce que l’assouplissant ne fait pas….


Chez les lessiviers, on a étudié le vocabulaire et ceux qui auraient souhaité développer un produit miracle qui serait à la fois adoucissant et assouplissant ont déjà été mis dehors…une telle invention aurait risqué de coûter de l’argent à l’entreprise…Redonner de la souplesse au linge ? Chemise psychorigide, pantalon sur de son bon droit, chandail qui campe sur ses positions, allez, on va mettre le tout au lavage avec un petit coup de produit et ça ressortira transformé, capable de s’adapter de nouveau au corps, sans gratter ou gêner les mouvements. Qu'est ce qui a besoin d’adoucissant ? Seulement tes serviettes de toilettes, est tu bien sûre ? Et toi , tu n'en aurais pas besoin par hasard ?


Souplesse, douceur, odeur, couleur…tout cela pour une lessive ? Les arbres ? les Îles du Pacifique, les évocations qui te font croire que tu ne fais pas la lessive, ou qui transforme le temps du linge à laver, en temps de voyage exotique, pour que tu aies une impression de liberté alors que tu sais très bien que tu ne pourras pas porter indéfiniment le même T-shirt ou le même jean, et qu’au lieu de faire autre chose, tu vas devoir faire une machine.


Alors toi, t’es comme un crétin, devant ton étalage énorme avec des jolies flacons en plastique, et tu commences à rêver…enfin je dis « toi », mais je devrais dire « moi » puisque c’est chez moi que les lessiviers ont découvert autant d’échos exploitables dans mon cerveau reptilien.


Allez, une petite dose de liquide et tu vas te ressourcer aux Seychelles, sept-mille-neuf-cent-cinquante-six kilomètres entre Victoria, la capitale, et ta machine à laver, parcourus en quelques secondes, le temps de décider si oui ou non tu vas acheter ce liquide jaune qui te fais penser au soleil dont tout le monde a besoin…

(ça y est, je me ressource aux Seychelles en buvant un mojito...)

On t’a fait une queue de poisson sur le parking du supermarché, un « étranger » en plus ? Tiens, voilà une lessive qui devrait te convenir puisqu’il y a sur le flacon un coq qui te rappelle que tu es « gaulois », et que tu mérites du respect…

(Va laver ton honneur dans la force et le respect....tu es un bon coq Gaulois...!)

Tu as un coup de blues ? Oui, bien sûr, je suis d’accord avec toi, c’était mieux avant, dans ton enfance voilà un autre produit qui existe depuis mille-neuf-cent-dix-neuf, l’enfance de ta mère peut être…voilà un dessin sur le flacon, avec une jeune femme, des étoiles dans le ciel, et deux taies d’oreillers, ou est-ce deux torchons, tout blancs. Sur le visage de cette femme, on peut même voir de la sérénité : elle a fait sa lessive, elle est satisfaite. En plus, c’est de la lessive au savon noir…souviens toi…c’était il y a bien longtemps, l’odeur de cette pâte qui sentait si bon, et qui pouvait tout laver….

(Cétait mieux "avant" ? des étoiles sur un fond bleu foncé: la nuit ? Une ménagère qui fait ses machines la nuit?)

Tu es plutôt adepte du luxe ? Bijoux, bracelets, colliers de perles ? Voilà un produit qui devrait te permettre de te sentir bien : il y a des perles dedans, et en même temps tu vas te retrouver dans un champ de coquelicots, à l’époque du temps des cerises, ce temps du renouveau, de la pureté et de la prospérité. En un clin d’œil, te voilà même au Japon lorsque les fleurs de cerisier tapissent le sol du « Nihon Tehei » (2)

(Des perles, du coquelicot, et des fleurs de cerisier ? Allez, en route pour le Japon..)

Pour arrondir les angles, tu vas adoucir ou assouplir ton linge…tu ne sais pas encore ce qui est le mieux…peut-être faut-il cajoler le gros pull en laine que tu as ramené d’un voyage en Irlande ? Ça-y-est, j’ai ce qu’il faut …ou alors tu penses que ta serviette de plage te serait reconnaissante de ressentir un peu de chaleur exotique qui lui rappellerait les vacances d’été ? J’ai aussi cela sur l’étagère.

(Chaleur exotique : ta serviette de bain va certainement aimer....elle aura l'impression d'être encore en vacances...)

Mais attends, j’ai encore mieux : tu peux même avoir la sensation d’être au Paradis, je te dis ! Oui, au Paradis, avec les saints, la bouffe gratuite, les anges et tout le tremblement, avec en prime la découverte d’une « divine envie » que tu auras ressentie quand tu te seras frotté au parfum de « l’espiègle » ou de « l’ audacieuse ».

(La Divine Envie.....un orgasme dans les bulles de lessive ?)

(Sensations paradisiaques, plaisir intense ? ça doit cacher quelque chose...je vais essayer....!)

(L'espiègle, provocant et gourmand....bon, ça va avec la Divine Envie? Si il n'y a pas du message subliminal la-dedans, je suis le Pape François...)

(L'irrésistible...au parfum suprême....c'est pour monter au septième ciel ? vers la sensation paradisiaque?)

Je ne sais pas si c’est la même chose pour toi, mais j’ai souvent pensé qu’au travers de la recherche d’une lessive, c’était un peu comme si on cherchait un moyen fiable de se « laver l’âme, peut être même le corps », transformer notre « propre sale », en propre, adoucir les rugosités de la vie, assouplir peut-être même tout ce qui peut être rêche dans le quotidien…replonger dans la douceur possible d'il y a "bien longtemps" ....


Alors j’ai bien regardé sur les étagères du supermarché, et j’ai trouvé le truc idéal qui pourrait convenir à mes chemises ou mes serviettes, comme à mon âme : sur le flacon d’assouplissant, il y a marqué « Soin Complet »...

Celui-là doit faire du bien aussi à l'âme, non ? : tu vois, sur le flacon il y a des cœurs dessinés…



(1) Marie-Jeanne Le Calvé, une ancienne lavandière devenue figurante dans les années 1970 pour une marque d’Electro-ménager fabriquant des lave-linges qui « méritaient votre confiance » : Vedette.

(2) Jardin Japonais



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