Il n’y avait ni Yahvé....
ni Yeshoua...
ni Mahomet..
....
Il n’y avait ni les chevaliers Chrétiens, ni les cavaliers de l’armée de Salah U Din, Salah le juste. Il n’y avait ni dieu, ni maître.
Par contre, au travers des siècles, les marchands du temple avaient survécu, de générations en générations. Ils tenaient boutiques dans les ruelles du côté du Saint Sépulcre, à côté de la Mosquée d’Omar, à quelques mètres du Mur du Temple près duquel des Loubavitch (1) vendait pour quelques shekels un morceau de fil rouge qu’ils t’attachaient autour du poignet en te bénissant du bout des lèvres avant de passer au client suivant.
( Un "Loubavitch")
(Un morceau de fil rouge, et tu connaissais immédiatement tout de la Kabbale, tradition ésotérique du Judaïsme......)
Dans les boutiques, des arméniens concurrençaient les vendeurs arabes de la vieille ville, alors qu’à l’intérieur du Saint-Sépulcre, des popes bâtis comme des armoires à glace régulaient le trafic des pèlerins chrétiens qui n’avaient droit qu’à quelques secondes d’extase dans le tombeau, après avoir fait le voyage parfois du bout du monde. Dans certaines arrière boutiques, il était même possible de trouver des morceaux authentiques de la vraie croix, des clous datant de la crucifixion, tout dépendait de combien tu voulais mettre dans ta pseudo relique…
(Le Saint-Sépulcre)
Il y avait aussi, galopant, le syndrome de Jérusalem qui frappait souvent femmes et hommes, visionnaires de la mission qui leur avait été nécessairement confiée et dont ils découvraient l’existence le jour ou leur vie basculait dans l’irréel et le fantastique.
Sur le toit du Saint-Sépulcre, il se trouvaient aussi de petites cellules de quelques demi-mètres carrés ou de pauvres moines Ethiopiens, les réprouvés du christianisme, s’endormaient chaque nuit, le cœur dans les étoiles, remerciant leur créateur de leur avoir donné encore une journée de vie. Eux ne bénéficiaient que d’un pauvre autel, à l’écart des autres. Il fallait monter quelques marches pour se retrouver dans une pénombre bienfaisante, pour voir les bougies à moitié consumées, mille fois remplacées par d’autres bougies récupérées çà et là.
A L’intérieur du très vieux bâtiment, un partage rigoureux avait été fait de l’espace sacré. Chacun sa liturgie, chacun son encens, chacun ses heures de cérémonies, chacun son bon dieu, nom de dieu ! Coptes Egyptiens avec leur curieux couvre-chef, Franciscains zélés avec la cordelette qui leur servait de ceinture, dignitaires Orthodoxes qui marchaient difficilement dans leur parure cousue de fil d’or.
(Un pope orthodoxe Grec....Il fallait bien se tenir....)
Tu avais intérêt à bien te tenir dans le secteur grec. Au moindre écart de conduite, un pope s’approchait de toi et tu savais alors qu’avec un mot de plus, il aurait été capable de te filer une beigne à assommer un bœuf.
Il n’y avait ni Yahvé, ni Yeshoua, ni Mahomet et pourtant il y avait du monde dans les auberges de touristes du sacré, dans les hôtels de luxe des visiteurs d’une fois l’an, « comme- ça- on- s’en- sortira- bien- le- dernier-jour-du-jugement ». J’étais arrivé dans le pays pour y travailler. J’y suis resté quatre années et demi, à vivre avec cet aimant au quotidien qu’était la vieille ville. Ce n’était pas la vision des bâtiments religieux qui m’éblouissait, mais plutôt l’idée même que le « religieux » ait pu semer des graines dans cet endroit depuis si longtemps…En fait, ce n’était même pas le religieux qui m’intriguait et faisait parfois battre mon cœur un peu plus vite, c’était de savoir que depuis plusieurs siècle, l’esprit et l’histoire soufflaient ensemble régulièrement, des idées à ceux qui croient.
(Ultra-Orthodoxes à Mea Shearim)
Ce n’était pas le sacré qui m’intriguait, c’était le spirituel...Avoir le temps de s’interroger pour démêler l’imaginaires du réel, la fiction de l’Histoire, le juste de l’injuste à l’aune de mes pauvres connaissances.
Comme un millefeuille à plusieurs étages, Jérusalem repose sur plusieurs époques, plusieurs histoires, plusieurs civilisations. En un coup de pelle, tu te retrouvais chez les Ottomans, en deux coups de pelle, tu arrivais chez les Romains. Alors ce n’était plus Yeshoua qui était intéressant, mais c’était la découverte des vestiges de bains turques dans un chantier d’archéologie caché aux yeux de tous. Ce n’était pas non plus l’histoire de la Mosquée d’Omar qui était passionnante, mais plutôt la découverte des vestiges du second temple qui me transportait dans le passé.
L’esprit soufflait, l’histoire dévoilait peu à peu ses secrets, au rythme des pioches des archéologues, et le petit restaurant Saint Michel, à l’entrée de la vieille ville rappelait à chaque passage que l’on mange aussi du Houmous chez les Libanais.
(Religieux Coptes à Jérusalem: un drôle de petit couvre-chef...)
Sur la route de la vieille ville, il y avait les vestiges de vieux matériel militaire datant de la guerre d’indépendance. A chaque passage, ces vestiges devenaient de moins en moins important. Ce qu’il fallait c’était vite garer la voiture, s’enfoncer dans les ruelle qui descendait ver le souk, et se laisser dériver, enivré par les senteurs d’épices. De mystique, j’étais devenu incrédule. De futur « haredi » (2) j’étais devenu laïc convaincu. Je me réfugiais dans de petites cours ou chantaient des oiseaux chrétiens, des oiseaux juifs, des oiseaux musulmans, et leur chant était le même car les oiseaux, eux, n’ont pas de religion et font confiance à la vie pour boire ou pour manger.
Et si tout cela était vrai ?
Et si au contraire tout cela était faux ?
Je n’ai jamais trouvé la réponse. J'avais échappé au syndrome de Jérusalem...
(Membres de la ZAKA -**-)
Et puis il y eu les quelques semaines de guerre, avec un début vécu sur la frontière avec la Syrie et le Liban, le chien Noah terré sous le lit alors que les premières « Katiouchas » volaient au-dessus de nous, dans la région de Majdal Shams toute proche. Un dinner irréel dans un restaurant de montagne, des coups de canon tirés depuis le Liban, un embrasement rapide, trop rapide. Nous avions évacué les enfants qui étaient rentrées en France et la boite avait même prévu pour nous une évacuation vers Chypre par vedette rapide, avec chien, mais sans bagages.
Partir ? Mais pourquoi ?
(Evacuation d'un blessé de Tsahal)
Côté Israélien, c’était un peu bizarre. Les tankistes n’avaient pas les bonne fréquences radio, la logistique ne suivait pas, les roquettes et les obus tombaient maintenant sur Tibériade.
Quel pays où tu ne peux pas aller tranquillement passer quelques jours dans un coin perdu sans risquer de te perdre entre les explosifs et les mines.
On m’avait déconseillé ce voyage de trois jours, j’avais persisté. Je ne le regrette pas. Vers trois heures du matin, alors que les combats prenaient de l’ampleur et que les résidents étaient dans les abris, j’étais en train de regarder un film Français à la télévision. Comme si la vie allait continuer et que demain serait simplement un nouveau jour. Alors quoi ? Plus de petit restaurant en bord de mer à Nahariyya en regardant le soleil se coucher ? plus d’escapades dans le quartier arménien, plus de visites nocturnes chez Nanouchka, sur Lilienblum street ?
Il avait fallu convertir les employés de l’entreprise qui œuvraient à l’aéroport de Ben-Gurion, à l’écrit plutôt qu’à l’oral. Créer des procédures, mettre de l’ordre, encadrer, gérer, faire partir les avions le matin et l’après-midi faire à pied les quatre-vingt-dix-sept mètres qui me séparaient de Chinky Beach, là ou ne régnait plus l’esprit et où pour quelques shekels, on pouvait manger une salade de pastèque avec de la feta.
( Bar, Tel-Aviv)
(The beach in Tel-Aviv)
Yahvé, Yeshoua et Mahomet se méfiaient de leurs propres enfants : des policiers patrouillaient sur la plage, des bateaux semi-rigides de la marine croisaient à quelques encablures du bord de mer. En remontant vers Jérusalem, régulièrement, en sortant du cadre laïc de la "Colline du Printemps"(*), les questions se bousculaient à nouveau, sans que je sache pourquoi. Bien sûr, il y avait Mea Shearim (3) avec son cortège de femmes traînant une palanquée de mioches derrière elles, portant bas de laine et jupe longue même aux jours les plus chauds de l’été. Il y avait aussi, rigidifiés dans leurs croyances séculaires, les ultra-orthodoxes qui te suivaient d’un mauvais œil et dont le regard signifiait : « comment toi, un étranger irrespectueux, oses tu fouler notre sol » …En passant devant des « shul » (4) dont une fenêtre grillagée s’ouvrait parfois sur la ruelle, on pouvait entendre le bourdonnement de ceux qui lisaient, relisaient, et argumentaient les textes saints. Il y avait dans ces voix en hébreu un mystère que je n’ai jamais percé.
Ces hommes parlaient-ils de l’errance dans le désert, les histoires de mon enfance sur Moïse et Pharaon, des sauterelles, du Nil rougissant, d'un buisson ardent, de la mer rouge qui s’ouvrirait ?
Ils passaient la journée dans l’austère concentration "pour la plus grande gloire de Yahvé"....
Le Saint-Sépulcre était fermé chaque soir, et chaque matin, un complexe processus gouvernait l’ouverture du monument grâce à une échelle permettant d'avoir accès en tour premier à une petite porte...
Au fond du bâtiment, en allant à droite, il y avait une toute petite chapelle, vide de tour ornement, mais pleine d’un je ne sais quoi qui te faisait tourner la tête. C’était invisible, c’était évident, c’était là ! A côté des ors et des argents de l’orthodoxie, il y avait dans ce bout de lieu plus « d’essence sacrée » que dans le reste du bâtiment tout entier. Ce lieu un peu magique, aux murs noircis par des années de suifs brûlés te rapprochait de toi-même sans que tu comprennes pourquoi.
(Au marché Carmel, les saveurs de l'Orient.....)
J’avais fini par réaliser que le "questionnement" était encore plus important que le sacré, plus important que toutes les religions, plus grand que les illusions qui te semblaient pourtant si réelles.
A Jérusalem, il n’y avait ni Yahvé, ni Yeshoua, Ni Mahomet
Il n’y avait ni dieu, ni maître.
© Aug 2018 Sylvain Ubersfeld pour Histoiredu.
(1) Secte religieuse d’origine Russe fondée il y a 250 ans . Sa philosophie guide l’individu dans ses efforts pour raffiner chacun de ses actes et chacune de ses émotions, au travers, précisément, de la sagesse, de la compréhension et de la connaissance.
(2) Pluriel :Haredim.
Juifs orthodoxes ayant une pratique religieuse particulièrement forte. Ils ne constituent pas un ensemble uniforme et comprennent en leur sein des hassidim, des mitnagdim, des sefardi, des mizrahim, etc. Chaque communauté haredi interprète les principes qui leur sont communs avec quelques variantes.Depuis la fin du xixe siècle, ils rejettent partiellement la « modernité », que ce soit dans le domaine des mœurs ou des idéologies. Du fait de leur méfiance vis-à-vis des innovations sociales, les haredim vivent généralement en marge des sociétés laïques environnantes, même juives, dans leurs quartiers et sous la direction de leurs rabbins, seule source de pouvoir pleinement légitime à leurs yeux. C’est aussi le plus important groupe juif actuel affichant ses réticences face au sionisme, et même parfois son hostilité. Ils sont aujourd’hui fortement implantés en Israël, où ils ont leurs quartiers (et même leurs villes), leurs partis politiques, leurs magasins et leurs écoles. Ils sont également présents dans beaucoup de communautés juives de la diaspora, en particulier en Amérique du Nord et en Europe occidentale.
(3) Quartier de Jerusalem dans lequel résident de nombreux « Haredim » Mea Shearime veut dire « Les Cent Portes ».
(4) Mot Yiddish désignant une synagogue ( un lieu de culte du Judaïsme) A Jérusalem, beaucoup de « Shul » étaient dédiée à l’étude des textes sacrés du Judaïsme
(*) Tel Aviv veut dire en hébreu : La Colline du Printemps
(**) ZAKA ( זק"א - איתור חילוץ והצלה - חסד של אמת, abréviation de Zihuy Korbanot Asson signifiant « Identification des victimes de catastrophes ») est un organisme caritatif israélien, reconnu par le gouvernement. L'organisme a été créé en 1989 par Yehuda Meshi Zahav et Rabbi Moshe Aizenbach.Les membres du ZAKA, pour la plupart des juifs orthodoxes, participent à l'identification des victimes du terrorisme, des accidents de la route et autres catastrophes. Ils se chargent de collecter les restes de corps et les flaques de sang afin que les victimes puissent être enterrées avec intégrité. Ils fournissent aussi des aides de premiers secours et participent à la recherche d'individus disparus. Les fondateurs et les membres de ZAKA préfèrent appeler leur organisme et leur travail : Hessed shel Emet (ce qui signifie « vraie bonté »), car ils se consacrent à ce que les corps massacrés soient enterrés conformément aux lois de la Halakha. Après un attentat terroriste, les volontaires du ZAKA s'occupent aussi des corps de non-juifs et de ceux des kamikazes avec le même soin afin qu'ils soient renvoyés à leurs familles.