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Ad Majorem Dei Gloriam

Pour la première fois de ma vie, j’avais été prix d’excellence !

( Le Cours St Pierre....des claques à assommer un boeuf.....et pas le droit de se plaindre...)


C’est vrai, j’avais redoublé la quatrième au Cours Saint Pierre, une sombre et insignifiante bâtisse de la rue du Moulin-Vert dirigée par un sadique qui te balançait des paires de claques à assommer un bœuf ! Ce sinistre individu, blouse grise, dents de rongeur jaunies par la nicotine, béret presque « de milicien » sur la tête, tenait dans sa main un sifflet. A la moindre incartade au moment des récréations, ou à l’occasion d’une bousculade dans les couloirs, le directeur donnait un coup strident, et les crétins impétueux et indomptables devaient impérativement se figer sur place.

Alors, « Totor » fondait sur le coupable, le meneur de chahuts, le trublion, et d’un geste précis et haineux, la main partait vers le visage du malheureux avec un grand « clac ». Etait-ce la menace permanente qui m’avait fait travailler lors de ce redoublement ? sans doute ! Toujours est-il qu’au mois de juin 1966, avec les vacances toutes proches, et les pensées déjà ancrées du côté de Lokireg, tout près de Plestin-les Grèves, je me retrouvai sur l’estrade de la salle paroissiale, les bras chargés de livres que je ne lirais jamais et applaudi par les parents bien catholiques de rejetons décevants qui eux, n’avaient pas reçu de prix !


« Que va-t-on faire de Sylvain l’année prochaine ? I faut qu’il soit sérieux c’est l’année du BEPC… »


Dans sa grande clairvoyance, le « Mensch » (*) avait pressenti que mon parcours scolaire ne m’amènerait pas vers des métiers prestigieux et avait recommandé une inscription à l’école ORT (**) de la rue des Rosiers pour y apprendre un métier manuel. Mais du côté de ma mère, cet « échec » eut été une tache sur la respectabilité familiale dans un milieu où les enfants n’avaient pas encore la notion d’un choix d’avenir.


(La cour de l'Ecole Bossuet...De nouveaux immeubles ont poussé tout autour, mais c'est bien celà.Il y avait une entrée rue Guynemer et une rue Madame)

Alors, au bout du rouleau, elle avait trouvé une énième école privée, l’école Bossuet, un établissement religieux situé dans un quartier bien-pensant, niché presque au bout de la rue Guynemer, entre les jardins du Luxembourg et la Rue Madame. J’avais accepté ce choix d’exil et en échange d’une semaine de travail décente, je pouvais être autorisé à rentrer à la maison, d’un coup de métro. Les cours avaient lieu au Lycée Montaigne, ou je faisais un second passage et dont je connaissais bien le fonctionnement, les interdits, et les souterrains dans lesquels les « initiés » entraînaient les plus téméraires d’entre nous.

(Vavin, fin de week-end...avec passage obligé par la rue Jules Chaplain)


La mixité ne favorisait par vraiment les études et la proximité du Luxembourg était une tentation souvent insurmontable. La semaine commençait le dimanche par un départ de l’appartement, les tripes en vrac à l’idée de devoir rejoindre l’internat. Cinq stations avec les premières rames de métro « à pneus » alors que les anciennes rames vert et rouge commençaient à disparaître du paysage parisien. Je descendais à « Vavin » et passait toujours quelques instants à me balader Rue Jules-Chaplain, Rue Bréa, dans l’espoir de croiser une de ces belles de nuit, qui n’était encore qu’une « belle de fin de dimanche ». Il fallait garder un œil sur la montre et se réserver du temps pour redescendre la rue Vavin jusqu’à la Rue d’Assas, puis en tournant à gauche dans la Rue Guynemer, rejoindre ma « résidence secondaire » dirigée par des Jésuites sans humour.

(Vin de Messe : il fallait remonter un verre plein jusqu'au dortoir.....et le boire bien sûr, pour avoir son nom dans le carnet des "initiés")


Seul un vieux religieux âgé, qui dispensait malgré une surdité avancée, des cours de piano aux plus jeunes, possédait cette étrange capacité de sourire qui faisait défaut aux autres. Les cours avaient lieu au Lycée Montaigne, un bâtiment voisin qu’on pouvait rejoindre que cinq minutes en coupant à travers le jardin du Luxembourg. Le soir, en revenant du Lycée, les devoirs étaient faits dans une salle d’étude du sinistre bâtiment religieux, et si les chiffres ou les lettres s’alignaient sur le papier glacé des cahiers quadrillés, les pensées, elles, flottaient encore auprès de quelques demoiselles qui partageaient mon jardin secret.

(Le foyer d'accueil du Lycée Montaigne....si tu devais t'asseoir là, c'est que tu allais passer un mauvais quart d'heure chez le censeur ou chez le "protal")

Parmi les activités ludiques pratiquées dans ce noble établissement, reflet d’une société quelque peu étriquée, avec menace de privation de sortie et crucifix obligatoire, la consommation du vin de messe relevait plus de l’exploit que du plaisir. Les paris était pris et le voleur soiffard devait se glisser dans la sacristie de la chapelle, au bon moment, sans être vu, et ramener pour preuve de son exploit, un verre rempli, sans le reverser, afin que son nom puisse être inscrit dans le carnet des « initiés ». Un autre moyen de passer le temps était le découpage des pieds de chaises du réfectoire par introduction de ces derniers, tour à tour, dans le cylindre de la machine électrique qui coupait les baguettes servies lors des repas. L’exercice consistait à décider à l’avance de la taille de la « réduction », puis, une fois la manœuvre réalisée, en mesurer les effets à l’aide d’un double décimètre.

(Le Fleurus: à l'époque, c'était un troquet de quartier sans prétentions, avec du vrai zinc recouvrant le comptoir)

Les chaises utilisées par le « personnel d’encadrement », celle du Père Supérieur en tête, se raccourcissaient et la vision de ces disparités nous mettait, lors des repas, dans un état d’hilarité qui faisait oublié la « dureté » de nos vies de "réprouvés", chassés du foyer familial, les uns par sanction (c’était mon cas), les autres pour des raisons beaucoup plus sérieuses telles que l’impossibilité de trouver près de Romorantin ou pas trop loin de Laval, la possibilité de préparer « une grande école » sans être victime de distractions….


Les internes sérieux, le nez dans leurs bouquins, les promesses faite au parents attachées en bandoulière , ne chahutaient pas avec nous. Ils cherchaient leurs inconnues au troisième degré quand nous, nous avions déjà trouvé les nôtres dans le vestiaire des filles du Lycée Montaigne ! Le soir, alors que le quartier s’endormait doucement, les copains de peine se racontaient leur journée et s’inventaient des amours pour la vie, des expériences non-vécues, des promesses de fidélité qui seraient oubliées à la vision des photos dans le magazine « Paris-Hollywood » qui circulait sous le manteau dans les dortoirs de la vénérable institution catholique.(***)

(Paris-Hollywood...petit lever des starlettes....on planquait tellement les magazines qu'on oubliait sous quel matelas....)


Entre le Lycée Montaigne et l’internat, au coin de la rue de Fleurus, se trouvait un café de quartier, un troquet tout simple, loin de ce qu’il est devenu " de nos jours". Un comptoir en zinc auquel venaient s’accouder les jardiniers du Sénat, ceux des jardins du Luxembourg, les retraités de la Rue Notre-Dame-Des-Champs et les bourgeois dévoyés de la Rue d’Assas. Pour vingt centimes de nouveau francs, tu avais droit à cinq billes. C’était un flipper à l’ancienne, avec des bruits de bon aloi, et des parties gratuites faciles à gagner. C’était tout bénef pour le mastroquet qui servait des demis aux assoiffés en mal de compos d’Anglais ou d’Histoire, qui élisaient régulièrement domicile dans ce refuge béni, pour éviter la confrontation sur papier avec leur nullité académique. On posait la clope sur le bord du billard, et on tentait d’atteindre les cibles qui s’illuminaient…


« …putain ! t’as la « gate open », alors on avait droit à une bille supplémentaire…

(un "vrai" flipper de ma jeunesse. On pouvait jouer à quatre...la déco ? souvent des Indiennes, des cow-boys, des gangsters, tout un imaginaire merveilleux avec les bruits qu'il fallait...)


Les jeunes filles en fleurs qui avaient décidées de s’abstenir de tel ou tel cours, étaient assises autour d’une table, bien souvent sans un regard pour nous. Elles auraient sans doute aimé un peu plus d’attention, mais quand tu joues au flipper, faut pas se disperser…

Quand nous avions repoussé jusqu’à l’impossible le retour vers l’internat, nous profitions des quelques minutes qui nous séparaient de l’école pour nous fabriquer de fausses excuses, d’improbables histoires à base de retard d’un prof, du manque de concierge pour ouvrir la porte du lycée, ou autres sornettes du même type, sensées nous épargner la punition ecclésiastique.

(Notre voisin F...M... ! On allait épier ce qui se passait chez lui....)


Alors que des travaux de ravalement prenaient place dans la cour de l’institution, des échafaudages métalliques permettaient d’accéder à une vue « en hauteur » de notre petit monde. Une fois la nuit tombée, nous allions tour à tout, épier à travers une fenêtre de l’immeuble voisin, un député déjà célèbre qui deviendrait un jour Président et résidait, lui aussi, en face du Luxembourg.

Le père Deverjoie, dispensateur des cours de piano pour les futurs Mozart ou les prochains Chopin, donnait ses leçons dans une sorte de véranda extérieure dont les vitres étaient teintées pour éviter aux élèves les tentations optiques et les grimaces de leurs congénères. Une porte en bois permettait l’accès au local. Une fois l’élève et le maître installé dans l’endroit, le jeu consistait à empiler une, deux, ou trois poubelles devant la porte, taper ensuite au carreau, et interpeller le vieux religieux pour l’amener à sortir d’urgence…

(Le monogramme des "Jèzes" , leur devise ? Ad Majorem Dei Gloriam : pour la plus grande gloire de dieu...)

« Mon père, mon père, venez vite, il-y-a untel qui s’est blessé en jouant dans la cour, vite mon père, vite… » Alors le brave homme, qui avait dû dépasser les quatre-vingt ans, ouvrait la porte et trébuchait sur les détritus…et comme les crétins que nous étions, une grande fierté nous envahissait, cella d’avoir pu mener à terme notre mission perturbatrice.


Mais Jacques-Bénigne BOSSUET, évêque de Troyes, et moi n’avions pas la même vision de la vie et après un sabotage en règle de l’orgue de la chapelle, préparé pour un office religieux d’importance, la convocation chez le père supérieur pour un conseil de discipline exceptionnel vue le crime de lèse-dieu et l'affront au corps enseignant, déboucha sur une relégation définitive hors de l’institution, mais avec le pardon chrétien du pauvre vieux musicien que j’avais offensé.

(Ecole Bossuet: ne me cherchez pas, c'était peu de temps avant que je ne vienne semer le trouble...)


Les exercices spirituels d’Ignace de Loyola furent vite oubliés, comme fut bien vite oublié également le devise de l’Ordre : « Ad Majorem Dei Gloriam ».


Ma gloire à moi fut, malgré tout de figurer sur la liste des reçus au BEPC, cet examen qui ouvrait la porte au passage chez les « plus grands », ceux qui avaient prévu d’être quelqu’un dans la vie.


Mais je savais déjà que je ne serais jamais de ceux-là…

© 2017 Sylvain Ubersfeld pour Paris-Mémoires


(*) surnom donné à mon Père, du Yiddish : un homme de parole et de grande vertu, un exemple pour sa communauté.


(**) ORT , Organisation Reconstruction Travail. L'ORT est présente dans plus de 100 pays, avec 270 000 étudiants et plus de 26 000 collaborateurs. Elle siège maintenant au Parlement européen en tant qu'ONG. Il s'agit d'une école professionnelle fondée à l'origine en Russie à l'époque du Tsar Alexandre II, et destinée à former les populations Juives aux métiers manuels dans une Russie en plein développement industriel. Les premiers cours dispensés par l'école ORT étaient des cours d'électricité et de mécanique automobile.


(***) Un magazine de filles à poil qui a du faire les beaux-jours, ou les belles-nuits, des internats de Lille jusqu'à la frontière Espagnole

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