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93,RUE LAURISTON

Je m’appelle Pierre BONNY.

Dans quelques heures je serai fusillé au Fort de Montrouge, près d’Arcueil, à deux kilomètres et demi de la porte d’Orléans, à quelques dizaines de mètres à peine de cette Nationale 20 par laquelle la 2ème DB est arrivé à Paris le 24 aout 1944.

Je suis un traître et un collaborateur sans scrupules. Je n’ai aucuns regrets. Hier, jour de Noël, le froid a envahi la France, un froid vif, du jamais vu depuis novembre 42.

Dans quelques heures également, mon complice Henri Chamberlin dit Lafont, tombera également sous les balles du peloton d’exécution. J’étais policier, lui était tortionnaire. Nous avons choisi le mauvais côté, persuadé de la victoire de l’Allemagne. Nous avons perdu.

(Pierre BONNY en haut, Henri CHAMBERLAIN en bas)

Moi, l’ancien flic chassé de la police après mes magouilles dans l’affaire Stavisky, moi, maître chanteur, Lafont, lui paumé depuis toujours, mis au ban de la société, voyou, bagnard, évadé de Cayenne qui a fait carrière en trempant ses mains dans le sang de nos ennemis. J’aimais bien le luxe et mon train de vie, impossible à maintenir avec mon traitement de fonctionnaire de Police. Mon appartement du Boulevard Péreire, mes costumes faits sur mesure, tout cela demandait de l’argent, beaucoup d’argent. Est-ce par appât du gain que je me suis fourvoyé, ou est-ce tout simplement par manque d’humanisme, manque d’humanité, antisémitisme, mépris pour les lois et pour la justice ?

(Mon "cher ami" Helmut Knochen, patron de la SIPO rue des Saussaies. J'étais en liaison avec lui chaque semaine)

Trop tard pour savoir, trop tard pour comprendre. Des historiens curieux, des revanchards pointilleux ne manqueront pas d’éclairer les générations à venir. Mon bureau se trouvait rue Lauriston, un beau quartier de Paris. Les boches n’aimaient que le beau, le solide, l’authentique. Gestapo Française ! Il existait même une annexe au 4 Place des Etats-Unis, on pouvait y aller à pied !

En 1940, quand les vainqueurs ont eu besoin de recruter 2000 policiers auxiliaires, plus de 6000 candidatures sont arrivées dans les services compétent. Mes piges de journaliste à l’Œuvre manquaient un peu de piment. J’étais fait pour la grande aventure.

(Le "93", de sinistre mémoire)

Au diable les états d’âme, ce qu’il me fallait c’était de la puissance, de l’autorité, un statut, puisque celui de grand flic m’avait été volé. En 1940, le journal dirigé par Marcel Déat avait quitté Paris, alors j’ai sauté sur l’occasion en rentrant fin 1941 comme bras droit d’Henri Lafont à la Gestapo Française.

Pas très loin de la rue Lauriston le Haut-Commandement Allemand s’était établi à l’Hôtel Majestic. Un certain Otto Von Stulpnagel a eu la lourde responsabilité de gérer l’occupation du pays. Je ne l’ai jamais rencontré. Les contacts entre Helmut Knochen et moi ont toujours été cordiaux. Pour aller en voiture Rue des Saussaies où se trouvait le siège de la SIPO dont Helmut était le patron, une quinzaine de minutes suffisaient : avenue Kléber, Place de l’Etoile, avenue Hoche, et j’arrivai devant le bâtiment du ministère de l’intérieur. Toutes mes relations de la Gestapo à Paris étaient en fait regroupées dans un seul et même quartier, le mien.

(l'ancien Hôtel Majestic, siège de l'OKW, le commandement général de la Wehrmacht en France)

Siège de la Gestapo Allemande au 72 avenue Foch, Annexe au 180 rue de la Pompe, tandis qu’au 31 avenue Foch se trouvait le bureau des affaires juives. Nous étions en bonne compagnie.

Du temps de ma splendeur, le tout paris des crapules me mangeait dans la main. Tous, tu entends, tous me devaient quelque chose, qui un ausweis, qui un tuyau sur un bon coup à venir, qui une information monnayable. Nous étions les rois avec toute la bande de voyous qui gravitaient autour de nous.

Les vrais mercenaires, les fausses comtesses à la jambe légère, les débauchés de toutes sortes,tous voulaient leur part du gâteau.

(La bande d'Helmut Knochen rue des Saussaies! Des canailles, des bourreaux, des bouchers...)

(Violette MORRIS, Nazie convaincue, collaboratrice, abattue par la résistance en Normandie lors d'une "chasse aux partisans, en Avril 1944)

(Joseph Joanovici, personnage controversé de l'époque sombre. Tour à tour fournisseurs des Allemands, collabo, et soutien à la résistance. Juif originaire de Chisinau en Moldavie, il est mort à Clichy en 1965. Personne n'a jamais su la "vrai vérité")

Jeudi 31 aout 1944, j’ai été arrêté avec Henri Lafont à Bazoches, dans le Loiret.

Ils ont tellement de preuves contre nous que je me demande pourquoi ils ne m’ont pas fusillé tout de suite.

Mon procès a commencé le 1er décembre 1944, il y a vingt-cinq jours. C’est déjà fini. Le juge a essayé d’estimer le nombre de mes victimes, il n’y est pas arrivé.

J’étais un flic d’exception, je suis devenu un salaud. Je m’appelle Pierre Bonny, J’aurais pu être quelqu’un de bien!


© 2017 Sylvain Ubersfeld pour Paris-Mémoires

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