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METRO

(Billet de la Loterie Nationale. Le profit des ventes était censé faire vivre les "gueules cassées" survivantes de la grande guerre)

Déjà, il fallait habiter pas trop loin d’un « bouche » de métro !


Dans certains quartiers, tu devais te taper un peu de marche à pied, qu’il neige, pleuve ou vente, mais bon, dans les quartiers ouvriers ou dans les quartiers d’affaire, ça allait. 5 à 7 minutes, tu étais devant ta bouche de métro.

Bien trop souvent hélas, placé tout près de la bouche de métro, il y avait un petit kiosque en bois de la Loterie Nationale. Une petite vieille ou parfois un mutilé de guerre vendait des billets aux couleurs chatoyantes, dont le profit de la vente irait aux « poilus » survivants, ces hommes charcutés par la « Grande Guerre » qui n’avaient plus qu’un demi-visage, des demi-jambes ; une vie ravagée....

Quand tu passais devant et que tu voyais la triste « gueule cassée » d’un homme mutilé choisi par le destin, toi le parigot, ça te foutait la trouille et ça te faisait de la peine.


(Gueules cassées! Beaucoup de victimes étaient encore en vie dans les années cinquante)

Et pourtant, en 1955 la grande guerre était terminée depuis 37 ans seulement et beaucoup de ses acteurs encore en vie, des hommes de la soixantaine qui avaient connu l’horreur absolue et le prix à payer pour la folie humaine.

Il y avait aussi l’accordéoniste, perdu dans son monde, qui s’installait bien sûr aux endroits les plus passants, à l’extérieur si il faisait beau, dans le couloir du métro si il flottait.

De temps en temps, pendant les mois d’hiver, tu sortais du métro et l’odeur des châtaignes chaudes et du charbon de bois te sautait à la gueule ! Pour quelques francs, un homme ou une femme aux mains calleuses et ultra cuites te mettait une dizaine de marrons dans un cornet en papier journal.

(Encore quelque temps et on fera la transition entre Sergent Major et pointe "Bic")

Parfois, dans certaines grandes stations tu descendais les escaliers et en entrant sous terre, la première chose que voyais c’était un grand panneau « WC-CIREUR ». Ne me demandes pas qui a eu l’idée d’associer les deux turbins, j’en sais rien. Le mec qui cirait les pompes, il avait une sorte de fauteuil pour les clients, et lui il se mettait sur un petit pliant et cirait les pompes de ceux qui étaient trop flemmards pour fait ça tout seul.

L’autre, la dame-pipi, elle était jamais jeune ! ça aurait peut être donné des idées à certains ! valait mieux pas. Tarifer le trop plein de vessie, c’était une idée impériale, mon pote!. Vespasien, qu’il s’appelait ! Mais ça c’était avant ! Avant avant !


Tu donnais ce que tu voulais je crois ! Bon c’était y a longtemps, quand les gens avaient peut être bon-cœur ! Alors tu filais une pièce….de toute façon, si tu filais rien, la bonne femme te gueulait dessus en disant d’une voix bien forte pour te faire chier : « n’oubliez pas le service » et toi repartais comme un con,la braguette à peine refermée, en sentant le regard des voyageurs qui avait entendu l'invective, pesant sur tes épaules.

Après tu pouvais aller chercher ton chemin avec les correspondances sur une espèce de plan électrique. T’appuyais sur un bouton avec le nom de la station, une chié de lumières de couleurs s’allumaient en te montrant le trajet à prendre!

(Billet s'iouplait....)

Il y avait du violet, du rouge, un beau vert, un bleu profond, avec un peu de bol si tu allais loin, t’avait droit à trois ou quatre couleurs. Bon ; t’avais repéré ta station d’arrivée, tu devais acheter un ticket à la guérite parce que les distributeurs automatiques, ça existait pas !


Souvent, c’était une nana, pas trop vieille, pas trop moche, qui n’avait pour horizon que le « Nous Deux » ou le tricot qu’elle mettait de côté pour te vendre ton bout de carton bouilli. Tu achetais un carnet ? Les billets étaient reliés avec une sorte de ficelle.

(Des éclairs plein la loge de conduite, normal qu'il ait des éclairs sur la casquette...)

C’était la machine qui fabriquait ça. En début de journée,le fonctionnaire introduisait dedans un énorme rouleaux de carton : il en sortait des billets de première ou de deuxième classe. A cette époque, il y avait le métro du bourgeois qui allait au Bon Marché, en descendant à Sèvres-Babylone, et et le métro du boulot qui prenait son billet de seconde, à moins qu’il ne soit un habitué de la carte hebdomadaire qui donnait droit à un aller et retour par jour . Pas de carte bancaire ! ça n’existait pas ! tu payais tout cash, avec de la ferraille et des billets.

Chaque jour, les stations de métro engrangeaient une quantité impressionnante d’argent liquide qu’il fallait ensuite rapatrier vers le siège de la RATP. Des sacs de pièces et de biftons avec dessus la république, la gueule de Victor Hugo ou la tronche de Napoléon. Liberté, Egalité, Fraternité, la valeur littéraire de Victor (500 francs), l’horizon militaire du légendaire Corse qui valait, lui 10.000 francs !

Avec un peu de bol, tu descendais sur le quai pour attendre ton métro. Tu pouvais l’entendre arriver de loin. C’était un métro qui avait vu des milliers de kilomètres de tunnel …mais avant de rentrer sur le quai, tu devais donner ton billet à un poinçonneur ou une poinçonneuse qui te mettait un trou dedans pour le valider, un moyen comme un autre de s’assurer que tu ne resquillerais pas dans un futur proche.

(L'accordéoniste: je me demandais où il pouvait bien habiter, et pourquoi il était dans la rue...)


"Parait qu'il n'y pas d'sot métier, moi j'fais des trou dans des billets" T'étais en règle, tu pouvais partir en voyage...

Il y avait des portillons électriques. Quand le métro arrivait, les portillons se fermaient en bloquant des dizaines de personnes. Aux heures d’affluence, tu entendais les gens de la première ligne, coincés entre le portillon et la masse de crétins qui poussaient derrière, qui gueulaient : « poussez-pas derrière, vous voyez pas que c’est fermé ? »


Le métro arrivait.


Cinq voitures, quatre vertes, une rouge. La rouge pour les bourgeois avec des sièges en simili cuir, des effluves de parfums de luxe, les vertes pour le reste, avec ses senteurs d’humanités transportées, le regard vague des boulots en retour d’usine, des midinettes en mal de grande secousse, le journal plié en quatre, les mots croisés de la ménagère, le sommeil qu’on rattrape, l’écolier qui rêvasse, bref que du normal …

Aux manettes du train, deux personnes. La grand maître à bord, le chef des étincelles, celui qui savait dompter les éclairs dans sa cabine: le conducteur.

Juste derrière lui, missionné pour ouvrir et fermer les portes, le chef de train qui, à l’aide d’un bouton-poussoir injectait de l’air sous pression pour fermer les lourdes ou vidait son circuit en arrivant à la station suivante pour que les portes puissent être ouvertes.

(Tous les chemins mènent de la Nation jusqu'à Rome)

Si tu voulais l’aventure, la vraie, il fallait passer par Montparnasse et changer de ligne : tu avais droit à la beauté magique des rames du « Nord –Sud », une ancienne compagnie privée qui te faisait voyager de la Mairie d’ISSY jusqu’à La Porte de la Chapelle en passant par les quartiers chics, en traversant sous la Seine. La céramique des stations faisait du bien à l’œil. C’était pas comme sur le reste du réseau où ça faisait un peu triste…Si tu voyageais en première avec un billet de seconde, t’étais marron ! Mais souvent la délicieuse frayeur m’a poussé à la transgression des règles tarifaires, un geste de rébellion bien innocent mais ô combien militant....! Après, les premières classes ont été supprimées ! Le bourgeois a déserté le métro ou du moins il s’est fondu dans la masse.

Dans le métro des années cinquante, tu étais chahuté dans tous les sens . Il n’y avait pas de gomme entre toi et la voie du train. Quand un à-coup te propulsait sur ta voisine d’en face ou celle d’à côté tu t’excusais mais c’était bien parce que tu avais respiré son odeur…

(Il y avait les rames de l'ancien "Nord-Sud", voitures bleues en seconde, voitures rouget et jaune en première. L'aventure commençait à la Mairie d'Issy pour se terminer Porte de la Chapelle)


Dans le métro, tu avais encore moins de siège que maintenant ! Des métros, y en avait pas autant non plus…Si tu loupais ton train, tu devais attendre 5,6,7 ou même 11 minutes pour le suivant également aussi plein que le précédent. Tu rentrais en forçant les voyageurs à absorber ton corps, tu éviter de respirer pour te faire encore plus mince, les portes se fermaient dans un grand claquement et une petit cloche dans la cabine du pilote confirmait la mise en route de la rame.

(Le train "chauleur" en 1958)


Ton trajet était rythmé par la vision fugace des affiches, des réclames, dans les tunnels. La nuit, des mecs mettaient en place des publicité sur les murs….et toi tu pouvais voir le lendemain "Dubo, Dubon, Dubonnet", avec le dessin d’un mec qui buvait l’apéro. Il y avait aussi la réclame pour le cirage Lion Noir, les stylos BIC et une affiche terrible montrant le dessin d’un gamin qui marchait avec des béquilles en forme de bouteilles de pinard.

(Sans commentaires: une affiche à faire peur....)

« Quand les parents boivent, les enfants trinquent ».

La France picolait bien , la France picolait beaucoup . C’était l’époque des litres « 5 étoiles » consignés et du vin à la tireuse dans les épiceries qui commençaient à ressembler à des "petites surfaces ». Et parfois effectivement, des gamins se faisaient taper dessus par une mère ivrognasse ou un père alcoolique et tout cela était d’une tristesse accomplie !

Sur le quai, il y avait déjà des distributeurs de friandises. 5 choix, 5 casiers verticaux protégés par une vitre que personne n’aurait eu l’idée de briser. Le choix était mince mais ça nous suffisait. Barres toute mince de chocolat CEMOI ou POULAIN, c’était sympa.

Pour traverser Paname, il te fallait quarante-cinq minutes les bons jours. Les mauvais, une heure ou plus. Dans les années cinquante, quand tu prenais le métro, personne ne se serait jeté sous un train pour foutre sa vie en l’air et gâcher la journée des voyageurs. Le chagrin se déclinait en avalant des pilules sur fond de Police-Secours !

(C'est bon, Paulo, tu peux rouler....)

Et puis il y avait l’odeur ! Cette odeur indéfinissable que tu pouvais sentir dès que tu entrais sous terre. Tu aurais senti la même odeur à Buenos-Aires où à Romorantin, et en fermant les yeux tu te serais cru dans le métro à Paris. C’était une odeur qui imprégnait ton cerveau, on ne savait pas pourquoi ou comment… Avec un peu de bol, tu pouvais voir passer, entre deux rames pour les voyageurs, un train de travaux , ou même le « train chauleur » qui désinfectait les tunnels à grands jets rotatifs. Ca sortait de l’ordinaire ! Tu ne savais pas d’où ils venaient et où ils allaient : l’aventure traversait ta station.



T’arrivais de l’autre côté de la ville, t’arrivais dans un quartier chic, ou chez les démunis du vingtième de l’époque, tu sortais, tu tombais toujours sur un café…. « Au départ », « café du Métro », « Zeyer », partout où il y avait une bouche de métro, un troquet n’était pas loin.

« Léon, un p’tit blanc sec; tu comprends,le métro ça dessèche...


Dans les quartiers bourgeois, il y avait moins de troquets. C’était bien connu, les bourgeois buvaient chez eux, entre bourgeois !


© 2016 Sylvain Ubersfeld pour Paris-Mémoires

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