(Ce post est une reprise d'un ancienne publication datant de 2014. Son texte apparaît dans les colonnes de PARIS-MEMOIRE car il a pour bases le thème des maisons dites " de société" d'avant 1946 à Paris et certains lieux de plaisirs pluriel Parisien dont l'existence en 2016 apporte de nouveaux éclairages sur le terme " débauche" )
Le bas de soie à la couture géographiquement alignée le long du mollet, ça avait de la gueule quand on suivait, dans l’escalier d’un hôtel de passe de la rue Godot-de-Mauroy, une belle de jour ou une belle de nuit tarifiant ses prestations parfois à la tête du client et très certainement sans amour.
On était abordé boulevard des Capucines ou rue des Italiens ; Tu montes, chéri ? Alors il fallait faire rapidement le choix entre respecter l’interdit ou se laisser aller à la chaleur d’une passe rapide, dans la tiédeur d’un après-midi de Juin ou l’intimité au chaud d’un lundi d’hiver.
Au nom de la lutte contre « la débauche » Marthe avait déposé devant le conseil municipal de Paris un projet pour la fermeture des maisons closes. Les ronds-de-cuir de l’entre deux républiques, ceux qui n’avait jamais foutu dans une maison de passe, ou qui avaient énergiquement effacé de leur mémoire cet acte de débauche, approuvèrent le projet imbécile, mettant de ce fait au chômage le personnel qualifié es-serviettes et savonnettes de respectable établissements parisiens tels que le SPHINX, le ONE-TWO-TWO et des 193 autres boites-à-rideaux qui fleurissaient alors dans la capitale.
Taulières, sous-taulières, femmes de chambre préposées à la literie, bonnes pour la reconversion ou la clandestinité. Les bordels avaient fermé leurs volets, comme dans la chanson, mais au nom de la lutte contre « la débauche ». La débauche, lutter contre la débauche, une noble idée qui ne pouvait provenir que d’un milieu bourgeois de femmes desséchées et d’homme castrés maritalement.
Lutter contre la débauche dans un pays où les monarques d’autrefois pratiquaient des parties carrées, pentagonales ou même octogonales, quelle idée singulière pour une ancienne tapineuse…Comme si la débauche n’était pas un penchant naturel, comme si la débauche était une maladie honteuse, intellectuellement transmissible…
Débauche : usage excessif de tous les plaisirs des sens…comme si le plaisir devait être limité, estropié, mis en cage : ce soir tu as le droit à 37 minutes de plaisir et comme dessert tu pourras te taper deux religieuses…..fais-pas ci, fais-pas ça, touches pas à la dame, laisses le monsieur tranquille. Pauvre plaisir encarté, utilisé à dose homéopathique par une société étriquée….tu m’étonnes que la débauche explose et que la recherche du plaisir soit devenu un but en soi…
Pauvre plaisir judéo-chrétien basé sur un savant équilibre avec la douleur, qu’elle soit physique ou morale. Pauvre débauche condamnée à mort sans jamais n’avoir rien fait d’autre que de rester une tentation proche, au coin d’une rue, au coin d’une paire de bas, au coin d’un sauna spécialisé, d’un donjon ou d’un club échangiste…Marthe, t’es vraiment cloche …. !!!
Tu t’imaginais que fermer les boxons fabriquerait un nouveau monde. Bravo la vision à long terme ! Pourtant tu connaissais le sujet, toi qui t’étais fait pécho en 1905 pour racolage, par la police des mœurs, cette police qui devait combattre le vice avant qu’il ne se glisse en cachette dans la société toute entière et ne ravage la vertu des femmes et le portefeuille des hommes. Tu as sacrément merdé sur ce coup, ou alors tu n’as pas compris que jamais il ne serait possible de mettre en cage les sens de la femme, mais surtout les sens de l’homme.
C’est un débauché disent parfois d’un homme libre ceux qui sont atrophiés du plaisir, c’est une débauchée disent souvent d’une libertine, celles dont le corps ne vibre plus depuis bien longtemps. De la jalousie nait l’insulte. Brûlons ce que nous ne pouvons avoir, dénigrons ce que nous ne pouvons ressentir. Plaisir des sens.
Les cinq sens. C’était dans les « leçons de choses », ancienne appellation pour les pompeuses sciences de la vie et de la terre. Blouse grises, encriers en faïence blanche, porte-plume obligatoire, les écoliers de la république se plongeaient dans l’éducation sensorielle, sans excès mais avec appétit.
(Un bien étrange fauteuil dont l'utilisation est intimement liée à Edouard VII. Tout est fabriqué en France par des artisans Français...!)
Développer la faculté à percevoir des sensations auditives, tactiles ou gustatives, découvrir la perception des odeurs, et les sensations visuelles, une mission éducative en tout bien tout honneur. Où se termine l’expérience et où commence l’excès reste un point d’interrogation. Existe-t-il véritablement une norme des activités érotiques ?
J’ai des yeux pour voir mais aussi des yeux pour regarder, et là s’associent plusieurs plaisirs en un, dont celui du cochon de voyeur qui sommeille au fond de l’homme et réclame sa pitance visuelle à intervalles réguliers. Goûter, prendre la mesure du monde comme le font les nouveau-nés en portant à la bouche ce qui leur tombe sous les mains, rien de tel pour pacifier les anxieux et revigorer les paresseux.
N'est-ce pas ?
Entendre, mais surtout écouter les feulements, les voix rauques des petites morts au cours d’une session de singulier pluriel. Toucher, toucher à tout sans pudeur et sans limite, avec surprise, sentir l’autre qui ne fait plus qu’un avec soi-même, et le tout plusieurs fois par an ? par mois ? par semaine ? par jour ? Ah ! ce sacré mot « excès ». Ce qui dépasse les limites convenables, les limites admises. Ah ! ce sacré mot « limite » comme s’il pouvait exister un contour statufié à l’imagination humaine au royaume de Vénus.
Les convenances dans le domaine de la jambe-en-l’air, c’est quoi ? Tu ne te mélangeras pas avec tes semblables ?, tu ne partageras ni ta femme ni celle des autres ?, tu ne fesseras point ta prochaine avec une raquette de ping-pong ? , tu ne feras rien passer au travers d’un « glorieux orifice » ….tu n’attacheras point de femme sur une croix de Saint André…ou bien tu ne deviendras pas disciple du Roi Candaule.
La morale est idiote. On parle d’un dérèglement des mœurs avant même de nous expliquer ce qu’est le règlement, on établit des interdits sans se souvenir du plaisir qu’apporte le viol de ces mêmes interdits. Quel plaisir de gourmet, quelle finesse, quelle maîtrise, quel accomplissement pourtant dans la transgression des tabous. Débauche et Perversion, voilà un sujet qui a du faire l’objet de thèses. Les deux vont si bien ensemble que l’on a du mal à s’imaginer l’un sans l’autre.
Des mots, tout cela, rien que des mots qu’il faut mettre à nu, dont il faut traquer le véritable sens, ou le véritable non-sens. Que ceux qui couvrent les libertins d’opprobre s’interrogent donc sur la façon dont fonctionnent les humains. Que ceux qui n’ont jamais lorgné sur une paire de jambe jettent la première pierre. Que les amoureux des belles lettres se tournent vers des synonymes comme luxuriance, saturnales, ou éventuellement le mot magique « concupiscence » qui cerne si bien le sujet, au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain.
La débauche n’existe qu’à travers une vision étriquée de la société, une négation bornée des appétences, une certaine peur d’admettre que tout un chacun peut devenir, un jour…un débauché.
Copyright Sylvain Ubersfeld.2014