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DE MON TEMPS...

Les billes en terre cuite et les petits cyclistes en métal peint sont restés dans ma mémoire et ne veulent surtout pas en sortir. Les billes en terre cuite, c’était celles de Bretagne, achetées dans une boutique qui vendait épuisettes et fil de pêche dans la petite bourgade de Loquirec lors de vacances venteuses à Pâques ou à la Trinité.

(Tanks protégeant l'Assemblée Nationale durant le putsch des généraux en pleine guerre d'Algérie)


Les petits cyclistes, c’était le parcours du traditionnel Tour de France pendant le mois de Juillet ou nous rééditions dans le sable de la cour les exploits du jour des Rudy Altig, Roger Rivière et autres Bahamontès ! Une pichenette envoyait la bille le plus loin possible sur le parcours, le petit cycliste en métal était posé là où la bille s’était immobilisée, le prochain joueur à son tour faisait avancer son cycliste et tout cela nous suffisait.


Les copains avaient tous des billes en verre avec plein de couleurs dedans qui faisaient de jolies spirales arc en ciel mais pour moi, la terre de mes billes cuites apportait une âme et surtout permettait de conserver mon bien identifiable puisque totalement différent des billes des autres joueurs.


La fin des années cinquante se profilait à l’horizon .Aux limites de mon petit monde, là où se trouvait le dernier terrain herbeux où se posaient parfois des tourterelles ou des pigeons ramiers, dans ce quelques ares d’herbes folles protégés jusque-là par une palissade en bois sur laquelle il était interdit d’afficher, les cohortes du BTP mandatée par la Ville de Paris érigèrent pas les loin des immeubles bourgeois de la fin du dix-neuvième siècle , au détour d’une rue ou régnait un grand calme, deux immeubles d’habitation que l’on appelait autrefois HBM (habitation bon marché) et que l’on nomme maintenant HLM .

Tout autour de Paris, sur l’empreinte immobile des fortifications détruites depuis 1919 et sur laquelle s’étaient établies des générations de marginaux, réprouvés de la société, chiffonniers et autres mal lotis, les travaux avaient commencé pour construire une route circulaire permettant de contourner la capitale et ses foutus bouchons. Des camions de chantiers dans tous les sens, de moins en moins de terrains vagues pour aller y débusquer des lapins !

(Algériens sous la garde de policiers suite aux manifestations indépendantistes à Paris. Les accords d'Evian ne sont plus très loin, la fin de la guerre non plus...)


Le 12 avril 1960, la première section du Boulevard Périphérique située entre la porte de la Plaine et la porte d’Italie, est inaugurée. Il y a encore deux ans de guerre d’Algérie à se taper, alors des rumeurs courent ! Dans le béton du futur périphérique se trouveraient de nombreux cadavres d’opposants à l’Algérie Française pour les uns, et de porteurs de valises travaillant pour le FLN pour les autres. Les Parisiens d’aujourd’hui rouleraient-ils sur les morceaux d’une histoire particulièrement douloureuse ?

L’Algérie préoccupait beaucoup. Au journal télévisé de la RTF on voyait des images ou des films d’attentats perpétrés dans la casbah d’Alger. J’ai gardé en mémoire un certain mois de 1961 ou tout le monde parlait d’un putsch, une menace contre la république. Mon père m’avait emmené voir l’assemblée nationale gardée de tout cotés par des militaires loyalistes alors qu’un quarteron de généraux félons avaient entrepris de renverser la république.


Des mouvements politiques en quête de fonds n’hésitaient pas à aller chercher à la source l’argent dont ils avaient besoin. Le métro de la recette, qui circulait chaque soir sur le réseau ferré souterrain, permettait la collecte des sommes recueillies dans la journée à une époque où la carte bancaire n’existait pas.

Des tonnes de pièces, des monceaux de billets, étaient rapatriés chaque nuit vers la caisse centrale de la RATP située quai de la Rappée. L’état avait mis en place une protection militaire dans cette période incertaine et le train de la recette circulait avec des soldats armés de mitrailleuses couchés sur le toit du wagon de tête afin de prévenir toute tentative de hold-up dans les tunnels ou lors de l’arrêt rapide en station pour le ramassage des sacs chargés de « nouveaux francs » mis en place depuis un peu plus d’un an.

(Un petit déjeuner teinté de France Coloniale...)


Dans la foulée de quelques films Américains et celle de l’invasion du Rock-and-Roll, les premiers « blousons-noirs » faisaient leur apparition à Paris sous le regard horrifié des parents qui mettaient en garde leur progéniture contre tout fréquentation de ces voyous habillés de cuir ! Au début des années soixante, la morale, la pudeur et la bienséance avaient encore sept ou huit ans pour voir pousser les graines d’une révolte à venir dans les années proches, mais bien sûr personne ne le savait et les blousons noirs faisaient l’objet de tout le mépris et de toutes les peurs.

« Tu deviendras un blouson noir » disait ma mère en se désolant devant les annotations portées sur le carnet de correspondance... !

Le 18 mars 1962, La France signe les accord d’Evian mettant fin à presque huit ans de guerre et cent trente-deux ans de présence Française en Algérie. Dans trois mois j’aurai onze ans. L’Algérie ne m’évoque pas grand-chose même si je suis chaque jour imprégné par les commentaires des parents qui s’inquiètent du futur, et particulièrement par les analyses du père qui voit dans tout changement possible de la société la main des communistes ! Une idée fixe ? ou bien la peur de voir se transformer la France en un pays miné par le déclin économique et la dictature d’un système de pensé orthodoxe proche de la ligne d’un certain Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev, ancien copain de Jo Staline et grand pourfendeur de libertés individuelles !


Du côté de la porte d’Orléans, les travaux continuent. Des immeubles de « l’ancien temps » sont promis à la démolition pour faire place à des bâtiments plus luxueux, dans un marché immobilier en plein développement ! Après le réveil pénible du matin, un bol de « BANANIA » et « ya bon ! »

Le tirailleur Sénégalais dessiné sur la boite en métal me fait un sourire et il me plait bien ! Je n’ai bien sûr aucune idée de l’aventure coloniale des pays européens et heureusement je n’ai aucun préjugé. L’Afrique, c’est les lions, ce sont les cartes de géographie suspendues sur les murs de la classe, Tintin au Congo, les quelques billets de banque que j’ai trouvé à la maison datant d’une époque ou nous comptions parmi nos proche un Haut-Fonctionnaire en poste à Conakry. Elevé dans une famille avec des principes complètement hermétiques à la fantaisie, j’ai eu toutefois la chance de ne pas grandir au milieu de préjugés, à moins que se fut simplement une tendance naturelle à la découverte qui devait me mener plus tard sur les chemins du monde et des cultures différentes.

(Tu deviendras un blouson noir...disait ma mère...)


Rue Sarrette, en allant vers la Porte d’Orléans, il y a un magasin qui m’intrigue par sa devanture sur laquelle sont inscrits les mots "Produits Coloniaux ». Tu entres là-dedans, ça sent le thé, mais pas un seul thé, des centaines. Tu aurais pu penser que tu croiserais au moins un Chinois, mais non, c’est un vieux monsieur qui ouvre pour toi des grandes jarres en métal qui sentent le rêve et le pays lointain où tu n’iras jamais, alors ma mère achète deux-cent grammes de Lapsang Souchong et quatre-vingt grammes de thé à la bergamotte.

Depuis un peu plus d’un an, le Dahomey de mes leçons de géo s’appelle le Bénin et dans quelques mois un certain lieutenant-colonel Bastien-Thiry embusquera un commando au Petit-Clamart dans une tentative de faire payer au Général de Gaulle l’abandon de l’Algérie Française ! Depuis presque deux ans, le paquebot «France » redonne des couleurs à la Compagnie Générale Transatlantique. Yvonne de Gaulle, tante Yvonne comme l’appellent les Français, a baptisé le grand navire à Saint Nazaire.


Rue Alphonse Daudet, il y a encore si peu de trafic que le double sens de circulation est encore possible. La Citroën 15CV 6 du père se gare facilement devant la 2CV de ma mère, devant le débit de boisson du bougnat, Monsieur Chareirre, un exilé du Cantal.

( La Citroën 15 CV 6... sacrée époque, grand confort...)

Daniel Cohn-Bendit a dix-sept ans et fait un séjour en Angleterre. Angelo Roncalli, le réformateur, Pape de son état est toujours aux manettes à Rome. Un certain René Dumont, futur candidat écologiste avant la date à l’élection présidentielle de 1974 écrit un livre prémonitoire sur l’Afrique Noire mal partie tandis qu’un groupe de tendance « rock and roll » se forme en Angleterre sous le nom de « pierres roulantes », les Rolling Stones alors qu'un autre groupe de quatre garçons signe un contrat avec une maison de disque au curieux nom de Parlophone.

Les « trente glorieuses » sont à leur apogée et je prends toujours l’autobus tout seul. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes!

Mais il y a plusieurs vers dans le fruit et personne ne se doute que dans moins de six ans, la société va imploser.

©sylvain Ubersfeld 2017 pour Paris-Mémoire

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