1958, changement de république ! L’affaire des piastres qui a éclaboussé le gouvernement de l’époque est derrière nous et la guerre d’Indochine est terminée depuis quatre ans. La France a devant elle une autre guerre, aussi meurtrière, mais pour le moment, on souffle un peu !
Dans quelques mois, Michel Debré sera nommé premier ministre. Au début de l’année, un événement important a marqué les esprits, la création de la CEE. Jamais personne n’aurait pensé une telle chose possible !
Depuis 1923, le salon des Arts Ménagers se tient tous les ans à Paris, au Grand Palais. Encore trois ans et le salon s’installera au CNIT, à Puteaux, qui est en train de sortir de terre ! Mais pour le moment, c’est à quelques centaines de mètres du Palais de l’Elysée que se retrouvent les machines à laver, les réfrigérateurs et les accessoires de ménage tels que cireuses et autres aspirateurs !
Pour y aller, on prend le métro et on descend à Champs-Elysées Clemenceau ! Jusqu’à il y a peu, dans l’appartement du troisième étage de mon petit royaume, il y avait une machine à laver "Laden" » qui fonctionnait à l’électricité ET au gaz ! Une veilleuse devait être allumée avant toute utilisation, et je regardais avec une admiration non feinte, le père qui, à genoux sur le carrelage, portait une allumette devant le petit bec de gaz d’où sortait bientôt une flamme bleue.
Dans le domaine du progrès technique qui faisait son apparition mon père avait remporté de haute lutte un combat contre la copropriété pour faire installer au 2 rue Alphonse Daudet un ascenseur « à clé » autorisant ceux des propriétaires qui paieraient une cotisation spécifique, à utiliser la cabine au lieu de monter à pied. Seuls les propriétaires du premier étage avaient refusé de contribuer financièrement à l’aventure, jugeant que vingt marches, ce n’était pas la fin du monde.
Paris se transforme doucement, mais plus vite toutefois que la société elle-même, engoncée dans plusieurs siècles de tradition sur fond de valeurs judéo-chrétiennes. Les architectes de la ville de Paris ne se sont pas encore penchés sur le cas du quartier de Ménilmontant qui n’en finit pas de mourir, qui n’en finit pas de vivre, non plus, dans les souvenirs d’un temps ancien. L’insalubrité régnante faisant du tort à la « Ville-Lumière », les habitants de Ménilmuche dont beaucoup étaient Arméniens, Grecs ou juifs Polonais finiront par déménager quelques années plus tard quand Paris fera peau-neuve !
Mais pour le moment, il y a des travaux dans tous les sens et d’un mois à l’autre, les quartiers changent de visage, les clodos perdent leurs repères, les tranchées où passeront les canalisations du progrès séparent même parfois les commerçants de leur clientèle.
(Héliport de Paris. Il y a eu à un moment une liaison entre Paris et Bruxelles, par hélicoptère)
En 1958, peu de personnes possèdent une radio-portable, un " transistor" comme on le nommera plus tard. La diffusion de programmes par la télévision ne se fait qu’à dose homéopathique avec deux ou trois programmes par jour, le reste du temps, si on met le poste sous tension, une magnifique mire en noir et plan avec en son centre l’image des chevaux de Marly. Pas de matraquage radiophonique ou télévisuel ! On peut encore respirer et apprécier le graphisme toutefois convaincant les affichistes de l'époque.
En ce début de "consumérisme", dans la foulée de la mise sur le marché des premières offres de crédit à la consommation appelés encore pudiquement « prêts d’équipement »,on fait de la réclame et les murs de la ville comme les autobus et le métro se couvrent d’affiches aux formats différents vantant les qualités des produits de l’époque tandis que la vie quotidienne passe à la vitesse supérieure grâce à l’introduction de nouveaux objets qui vont, c’est certain, bouleverser la vie de tous les jours sans retour possible en arrière.
(La SNCF encore majoritairement à la vapeur...)
La grande marche du Siècle a démarré. Il y a le presse pommes-de-terres, les nouveaux réfrigérateurs, les nouvelles machines à laver, la yaourtière, le moulin à café électrique, et l’aspirateur qu’il faut traîner puisque pas un seul ingénieur de l’époque n’a pensé à équiper l’engin avec des roulettes.
Il y a aussi la cireuse Electrolux qui fait son apparition : j’aime monter dessus, la mettre en route, et la laisser m’emporter dans un tourbillon de cire liquide sur le plancher en chêne de Hongrie, jusqu’à ce que le câble et sa fiche mâle soient violaments arrachés de la prise !
Pendant que je poursuis une scolarité pour le moins aventureuse, la maison de la Radio sort de terre tout doucement, recouvrant un vaste terrain situé au 116 quai de Passy et le futur Palais de l’Unesco voit lui aussi le jour. A onze kilomètres de Paris, il y a le vieil aéroport d’Orly et en été, quand le vent porte les bruits en provenance du Sud, je peux entendre les moteurs des Constellations d’Air France dont il reste encore dix-huit exemplaires en exploitation.
(ça picolait sec chez les cheminots de l'époque...)
Mais surtout, il y a, juste sortie de la terre, l’inquiétante ossature du futur nouvel aéroport qui permettra aux ailes Françaises de partir encore plus loin avec l’introduction chez Air France des B 707 dès le début des années 60, quand j’aurai neuf ans !
Si les murs de certains immeubles portent encore la trace de peintures murales d’avant mon époque, d’autres se couvrent d’énigmatiques affiches qui portent parfois à la réflexion : comment donc faire pour qu’un avion puisse transporter un éléphant qui aurait mangé une voiture avec une bague dedans ?
J’ai l’impression qu’il va me falloir du temps pour comprendre tout cela !
(Bidonvilles et modernité: le CNIT en fin de construction à ma Défense.Encore du chemin à faire pour loger tout le monde)
©2017 Sylvain Ubersfeld pour Paris-Mémoire