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AU COMMENCEMENT ETAIT LE MANCHE

1957

La nouvelle maison de campagne se trouve à soixante kilomètres à l’est de Paris. C’est le refuge de week-end dans cette vie de privilégié ! une heure trente de route avec au bout la récompense de ce petit coin de Brie. Une vielle maison, des bouquins, des rosiers, des chats, et trois gamins qui courent dans les herbes hautes.

L’art du pilotage, par MONVILLE et COSTA, édition de 1955. Un bouquin à la couverture bleue sur laquelle sont dessinés une mouette, une « chaussette » rouge et blanche, les contours d’un nuage qui invitent à l’imagination. J’ai trouvé le livre dans la bibliothèque du père, entre deux autres livres en Polonais.

(Coulommiers-Voisin vu du ciel . On peut voir les alvéoles pour les chasseurs de nuit Allemands)


Tout est expliqué avec des schémas, des calculs savants. Axes de roulis, axe de lacet, axe de tangage, tout je te dis, l’entoilage des ailes, les commandes, le moteur. A trois kilomètres de la maison se trouve l’aérodrome de Coulommiers-Voisin, utilisé pendant la dernière guerre par la Luftwaffe comme terrain pour y baser la chasse de nuit. Les DC-3 de la Postale d’Air France tournent souvent au-dessus de la maison après leur décollage.

Les pilotes s’entrainement régulièrement, et volent si bas que je peux voir clairement l’immatriculation des aéronefs sur le dessous des ailes. Le bruit infernal des moteurs Wright Cyclone me terrifie et me fascine en même temps. En juillet 1962, un avion que je vois régulièrement passer régulièrement après son décollage s’écrase dans un champ en bout de piste, le pilote ayant touché un camion avec une aile. Une moitié du fuselage du F-BAOE se retrouve dans un champ. Cinq victimes sur les huit navigants qui pilotent ces engins exploités par le C.E.P (1)

Parfois, le week-end, mon père invite un de ses collaborateurs à venir le voir en avion. Jean-Paul M. traverse alors l’Ile-de-France avec son Stampe SV4 et se pose à Coulommiers-Voisin. J’aime bien l’odeur de l’huile chaude, j’aime aussi celle de l’essence d’aviation. Pour démarrer l’avion, il y a une cartouche d’air comprimé qui lance l’hélice mais tu n’as droit qu’à cinq essais. Si ça ne marche pas au bout du cinquième, tu n’as plus qu’à changer de cartouche ! J’ai tout de suite aimé l’aviation dans cette période bénie entre la ville et la campagne. Comme un séminariste ressent l’appel qui va le transformer, j’ai ressenti, moi, ce besoin de me rapprocher des avions.

(Tableau de bord du Jodel D.112. Et ça volait bien....!)

1969 « Atterrisseurs, aérofreins ? » Sans objet ! » « Commande ? » Libres et dans le bon sens ! « Huile ? Quantité vérifiée ! « Electricité ? » magnétos off ! « Extincteur ? » Sans objet « Visibilité ? Visibilité extérieure satisfaisant, rien sur les ailes « Essence ? Quantité suffisante ! « Réglage ? » Compensateur en position de décollage, altimètre au zéro, réchauffage carbu sur froid !

Puis, après avoir fait une ou deux injections j’ouvrais le petit coin de la verrière en altuglass en récitant la litanie habituelle : « Frein serré, manche en arrière, contact sur les deux magnétos, tu peux lancer ! » Alors, dans un geste presque artistique, l’homme à l’extérieur donnait à l’hélice en bois l’impulsion nécessaire à la mise en route du moteur de 65 chevaux Continental qui propulsait le vieux Jodel Wassmer D 112 du Cercle Aéronautique de Coulommiers et de la Brie, le CACB.


Un grand hangar en métal dans lequel ou rangeait les aéronefs en fin de journée, les vieux planeurs Caudron C800, un Rallye "Commodore » et surtout un Fieseler « Storch » hérité probablement d’une époque où le « champ d’aviation » de Voisins était une des bases de la Luftwaffe, spécialisée dans la chasse de nuit ! A mes côtés, mon instructeur Roger T (0)

qui m'a enseigné comment remplir mon carnet de vol. Il bosse chez Aerospatiale à Saint-Nazaire. C’est un perfectionniste qui me torture pendant les heures ou nous sommes en l’air au-dessus de la Brie et même parfois plus loin !

(Un DC 3 de la "Postale" qui s'entrainait à Coulommiers. En passant au dessus de la maison à 300 pieds, ça faisait un boucan du feu de dieu...)


« Augmente la pente, augmente la cadence, la bille au milieu non de dieu ! tu vois quoi sur tes instruments, tu fais chier, c’est quoi cette approche de merde ». Roger T m’a appris à tricher sur les approches merdiques en effectuant une glissade à droite ou à gauche pour m’aligner comme il faut avant l’atterrissage. Pour payer les heures de vol qui coûtent 80 francs, j’effectue pour ma mère des tâches de jardinage, et je passe de nombreuses heures « au terrain » à faire le plein des avions, gonfler les pneus, laver parfois les parebrises. Un mécano de la vieille école, bougon comme le veut la tradition, et qui aurait pu s’appeler Lagoupille ou Lamolette, est chargé de l’entretien des aéronefs et plus particulièrement du Fieseler « Storch » souvent utilisé pour le remorquage des planeurs qui sont ensuite lâchés au-dessus de la vallée du Grand-Morin.

Au printemps et en été, alors que nous déjeunons dans le jardin de la maison familiale située dans le tour de piste de Coulommiers-Voisins, on peut voir les appareils tourner dans le ciel d’un dimanche après-midi, à la recherche des conditions idéales pour faire durer leur vol. Roger T m’a montré comment se sortir d’un décrochage, comment poser correctement le petit Jodel en éviter de massacrer le train et en chouchoutant la roulette de queue. Il m’a aussi appris à garder un œil sur le trafic aérien et me précise que dans peu de temps, les règles seront changées parce qu’un nouvel aéroport à côté de Roissy-en-France est en train de se construire !


Le petit Jodel n’est pas équipé de radio, alors il faut ouvrir les yeux ! Roger T m’a entrainé à la navigation aérienne avec carte couverte de « peau de couille » pour pouvoir ensuite effacer les marques ou repères faits au crayon gras. Il me dit que pour une "nav » tu as simplement besoin d’avoir une carte et une montre. Alors j’ai ma carte achetée chez « Aero-Shopping » et ma montre à deux balles. je loupe le terrain de Pont-sur-Yonne, je le loupe de beaucoup sans même m’en apercevoir et cela met Roger T. dans une telle rage qu’il prend les commandes, fait demi-tour et une fois au-dessus du fameux terrain, mets l’avion en piqué en me hurlant « Et ça, c’est quoi bordel de merde ! c’est pas Pont sur Yonne, ça?"

Je regarde le « badin » qui est au taquet, j’ai du mal à rester assis sur le siège en dépit de la ceinture, et je me dis que la prochaine fois, je regarderai un peu mieux le sol au lieu de garder les yeux rivés sur les instruments !

(L'approche de Coulommiers sur piste "27"


Mais ce soir, c’est différent. IL y a dans cette fin de journée de Juin une grande douceur dans l’air et je trouve Roger T. bien silencieux. Visite pré-vol faite nickel, vérification des fermetures « Dzus » du capot moteur, vérification du niveau d’huile, tout le truc en fait qui va faire la différence entre un vol sympa ou une fin de journée merdique. « Vas-y, tu peux lancer ! » . Le moteur tourne comme une horloge, la température d’huile est dans l’arc vert et dans l’anticipation d’une ballade et d’une leçon de perfectionnement, je roule tranquillement vers le seuil de piste. Pour n’importe quel instructeur, un élève pilote n’en fait jamais assez, n’en sait jamais assez. Alors j’ai soif d’apprendre et je m’aligne pour un décollage vers l’ouest avec bien sur le soleil dans les yeux, pas de pare soleil, et une envie de bien faire chevillée au corps. Plein pot… ! l’avion roule sur la piste en dur utilisée par les boches pendant la dernière guerre… je laisse le badin prendre ses marques et au bon moment je soulage l’aéronef tout en le maintenant en position horizontale à quelques mètres au-dessus du béton. Et je monte, un œil sur la vitesse, l’autre sur le trafic, l’oreille entraînée attentive aux plaintes d’un moteur en surrégime ou au contraire sous-alimentée.


A 500 mètres de hauteur, je vire à gauche de 90°. J’ai fait cet exercice tant de fois que je me sens finalement à l’aise. Une fois au-dessus de la vallée du Grand Morin, un deuxième virage à gauche me ramène parallèle à la piste 09/27 que j’aperçois clairement sur la gauche de l’appareil. La montre pour vérifier le temps, la cadence quand on tourne, la pente à contrôler pour éviter de perdre ou gagner de la hauteur, le Roger T. qui m’a tellement habitué à recevoir ses remontrances que je suis presque anxieux que sa colère n’ait pas encore éclaté, l’inquiétude au dernier virage au moment de s’aligner pour faire quelque chose de propre, un atterrissage dont on puisse être fier, un atterrissage légitime qui ne fatigue ni l’avion ni l’homme.

(Les Américains font des travaux après la libération...)


Pas de glissade cette fois- ci, j’étais bon du premier coup. Sortir les volets, réduire les gaz en utilisant la drôle de petite manette sur le côté du tableau de bord, chercher le sol de façon à s’assurer que les roues du train toucheront la piste avec douceur, l’embrasseront comme dit Roger T. Laisser l’avion rouler sur son erre jusqu’au taxiway sur la gauche qui va nous mener au parking, devant la baraque peinte en blanc de l’Aéroclub. Entrée sur le taxiway et Roger T. qui me dit « mets les freins ! » Alors je mets les freins et j’entends Roger qui me dit : « bon, ben je te laisse, va te balader, refais le plein avant de rentrer l’avion. Fais gaffe à l’heure ».


Il sort pesamment de l’avion, toujours son blouson en cuir sur le dos, pas un sourire, pas un regard en arrière et je le vois qui s’éloigne vers les bâtiments. Alors, livré à moi-même, réalisant que le grand jour est arrivé, je me refais la check-list de décollage et je retourne au seuil de piste, seul à bord, avec ce mélange d’inquiétude et de fierté que ressentent probablement tous les élèves pilotes avant d’être lâchés en « solo ».


Mi-Juin, la fin d’une belle journée de début d’été. Plein pot, l’avion roule. A 110Kmh, une légère traction, trois, quatre mètres de hauteur, un palier pour gagner en vitesse, rentrer les volets, sortir du tour de piste. Au loin, Paris, mon Paris brille dans la lumière du couchant.

(Accident tragique lors d'un vol d'entrainement: 6 morts)

Dans le ciel, il y a juste ce petit Jodel piloté par un novice, alors n’abusons pas, retour au terrain. Atterrissage face à l’ouest, le soleil dans les yeux, le béton de la piste qui se rapproche, la petite route de Maisoncelles-en-Brie avant le seuil de piste, dans ma mémoire l’histoire du DC3 d’Air France. Contrer un peu aux pieds le vent qui veut faire dévier le petit avion, les deux roues du train chuchotent un instant avec le sol,manche en arrière, plein réduit,laisser rouler un peu et laisser l'inertie faire son travail.


Je suis posé. Retour au parking, check-list de fin de vol. Ah, oui, faire le plein de l’avion avant de le rentrer dans le hangar. Mais personne ne m’a jamais dit ou était cachées les clés de le pompe !


(Il semblerait bien que le "grand"hangar ait été bombardé ? Royal Air Force ? Les Allemands ? Les Américains ? En tout cas, il va falloir réparer cela...!)


(0) Roger T. Instructeur bénévole au CACB dans les années 60. (1) CEP= Centre d'Exploitation Postal

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